Que vont faire les pouvoirs publics de l’argent récolté grâce à la taxe intérieure sur la consommation de produits énergétiques (TICPE), la fameuse taxe sur les carburants ? C’est plus compliqué qu’on ne le croit.

Chaque semaine sur youmatter, nous répondons à une question de nos lecteurs sur l’actualité ou les enjeux du développement durable (posez vos questions sur le développement durable sur notre page ici). Cette semaine, c’est Tiphaine (41) qui nous demande : « Que va faire le gouvernement avec l’argent de la taxe sur les carburants ? Est ce pour l’écologie ou pour les poches du gouvernement ? ».

La hausse du prix des carburants suscite en ce moment beaucoup de débats. On se questionne ainsi sur le rôle de la hausse des prix des carburants dans la transition écologique, sur l’impact sur le pouvoir d’achat des ménages, ou encore sur l’utilisation de l’argent récolté grâce aux taxes sur les carburants.

Sur ce dernier point, il y a une véritable controverse. La taxe sur les carburants (TICPE) devrait rapporter environ  environ 33.8 milliards d’euros en 2018, il est donc légitime de se poser la question de l’utilisation de tout cet argent public. Les opposants à la hausse des prix indiquent qu’une part trop faible des revenus issus de la taxe iront réellement à la transition écologique, alors que de l’autre, ses partisans arguent qu’elle aidera à financer des projets de transition. Qu’en est-il vraiment ? On vous explique.

Comment sont affectés les revenus de la taxe sur les carburant (TICPE)

Les règles des finances publiques françaises sont un peu particulières concernant l’usage qui est fait des revenus d’une taxe ou d’un impôt. C’est un peu compliqué, mais en résumé on décide pas à priori comment seront répartis les revenus d’une taxe. C’est chaque année, dans le projet de loi de finance, que les parlementaires valident les différents budgets publics, notamment le budget général de l’Etat, mais aussi des comptes spéciaux ou des transferts financiers, et ces budgets sont alors alimentés par les différentes taxes et impôts de l’année. C’est ce qui permet d’équilibrer les dépenses et les recettes dans le budget.

Dans le projet de loi de finance 2019 (consultez le rapport complet de l’Assemblée Nationale sur le PLF 2019 ici), il a été décidé que plusieurs budgets seraient en partie alimentés par les revenus de la taxe sur les carburants, la TICPE. Voici un tableau récapitulant les différents budgets alimentés par les revenus de la TICPE :

affectation taxe carburant TICPE

On y voit que parmi ces budgets, il y a un compte d’affectation spécial de l’Etat : le compte spécial Transition Énergétique. En 2019, selon le Projet de Loi de Finance, 7.2 milliards sur les 33.8 milliards de revenus de la TICPE devraient être attribués au compte spécial Transition Énergétique.

Pour autant, cela ne veut pas dire que « seulement 7.2 milliards » (soit 21.2%) des recettes de la TICPE financent la transition écologique. D’abord, parce que la « Transition énergétique » n’est pas le seul aspect de la transition écologique (ce n’en est qu’une petite partie). Mais aussi parce que les autres budgets financés par les revenus de la TICPE participent AUSSI à la transition écologique, d’une certaine façon.

La taxe sur les carburants (TICPE) et le financement local de la transition écologique et solidaire

Alors, à quoi correspondent les autres budgets financés par la TICPE ? D’abord, il y a des transferts spéciaux aux collectivités locales (régions et département) pour un montant d’environ 11.7 milliards. En gros, cela signifie que 11.7 milliards issus des revenus de la TICPE (soit 34.5%) iront non pas à l’Etat, mais aux collectivités. Mais alors, pour financer quoi ? Eh bien plusieurs choses.

Une partie est transférée à certaines régions (environ 600 millions) au titre des lois Grenelle pour le « financement d’une infrastructure de transport durable, ferroviaire ou fluvial ». Une autre est transférée aux départements et aux régions afin de financer les transferts de compétences liées à la décentralisation, par exemple la gestion du RSA pour les départements, mais aussi les schémas régionaux d’aménagement de développement durable et d’égalité des territoires ou la prévention et la gestion des déchets pour les régions. Par ce biais, la TICPE contribue donc à financer d’autres volets de la transition écologique et solidaire que son seul volet énergétique : l’aspect infrastructure, les politiques solidaires, l’aménagement du territoire et la gestion des déchets, notamment dans les collectivités. Eh oui, il n’y a pas que l’Etat qui finance la transition écologique et solidaire : les collectivités aussi, et il faut bien leur donner des budgets pour cela. C’est en partie le rôle de la TICPE.

Une fraction (1 milliard soit 3.2%) est aussi directement transférée à l’AFITF (Agence de financement des infrastructures de transport de France) pour financer le développement des réseaux et infrastructures de transport. Ici ce sont donc les usagers de la route qui participent à son financement via la taxe sur les carburants.

Le grand gagnant de la taxe sur les carburants : le budget de l’Etat ?

Enfin, une bonne partie de la TICPE est effectivement transférée au budget de l’Etat. Au total, ce sont environ 13.3 milliards d’euros qui sont versés en 2018 au budget de l’Etat grâce à la taxe sur les carburants. Pour autant, cela ne veut pas dire que l’Etat « s’enrichit » grâce à cette taxe. Les choses sont un peu plus compliquées que ça.

Sur ces 13.3 milliards d’euros versés au budget général de l’Etat, il y a encore environ 3.9 milliards sont transférés directement aux régions et aux départements : c’est la quote-part de TICPE garantie aux collectivités. Il s’agit d’une « fiscalité transférée au titre de l’acte II de la décentralisation ». Cette fiscalité transférée permet de partager les recettes de la taxe sur les carburants entre l’Etat et les collectivités en fonction des volumes de carburant consommées localement. Cet argent sert à alimenter le budget des collectivités pour leurs différentes missions : accessibilité, éducation, lutte contre la précarité énergétique, aménagement durable du territoire. Là aussi, cela finance dont en partie (ou indirectement) des missions d’intérêt écologique et solidaire.

Ensuite, sur ce qui reste de l’argent versé au budget de l’Etat sur les recettes de la TICPE, on ne peut pas vraiment dire que l’Etat s’enrichisse. Le budget général de l’Etat sert avant tout à financer toute l’action de l’Etat : l’éducation, la santé, ou encore la sécurité, l’agriculture… Mais aussi le budget de la mission développement durable de l’Etat, notamment le budget du Ministère de la Transition Écologique.

Où va l’argent des taxes sur l’essence et le gazole ?

En résumé, il est difficile de dire simplement où va l’argent récolté via ces taxes sur les carburants car les finances publiques sont régies par des règles assez complexes. Ce que l’on peut dire, c’est qu’une bonne partie va directement à la transition énergétique (20%) mais une partie importante va aussi à des missions de transition écologique et solidaire via les transferts faits aux collectivités (aménagement du territoire, solidarités avec les plus démunis), ou encore à l’entretien des infrastructures de transport. Le reste va alimenter le budget de l’Etat, qui sert à toutes les autres missions de service public (éducation, santé, investissements publics…).

Enfin, il faut garder à l’esprit que si tous ces montants paraissent relativement importants, ce sont aussi eux qui permettent toute l’action de l’Etat et des collectivités, à la fois dans le domaine de la transition écologique, mais aussi dans tous les domaines où les citoyens attendent des actions de l’Etat : infrastructures, investissements, santé, éducation.