Si l’on vous disait que des quantités gigantesques de gaz à effet de serre s’apprêtent à être relâchées dans l’atmosphère, au point que cela pourrait bouleverser encore plus vite que prévu notre climat ? C’est le gros problème de la « bombe méthane ».

En matière de changement climatique, on entend presque systématiquement parler de CO2. La raison est simple : le CO2 est l’un des gaz à effet de serre les plus abondants dans notre atmosphère et c’est aussi celui que nous émettons le plus à cause de notre consommation d’énergie fossile. En grande partie, ce gaz est responsable des dérèglements climatiques que vit notre planète. Mais ce gaz polluant n’est pas le seul qui pose problème : le méthane par exemple, est aussi coupable.

Ce gaz de la famille des alcanes peut-être utilisé comme combustible pour le chauffage ou pour produire de l’électricité. Il est d’ailleurs le composé le plus important du gaz naturel (3ème source d’énergie la plus utilisée dans le monde). Mais surtout, le méthane est un gaz à effet de serre très puissant. Pendant longtemps son influence sur le climat a été sous estimée car c’est un gaz qui a une durée de vie assez courte dans l’atmosphère : au bout d’une dizaine d’années il finit par se décomposer. Mais depuis une dizaine d’années, on commence à mieux connaître le méthane, et une chose est claire : on a largement sous estimé les risques que représente ce gaz pour le climat.

Selon le 5ème rapport du GIEC sur le climat, le méthane a un pouvoir de réchauffement global 28 fois supérieur à celui du CO2. Autrement dit, 1 g de méthane bloque 28 fois plus de rayonnements solaires dans l’atmosphère… et donc contribue à réchauffer le climat 28 fois plus fortement ! Malgré sa faible durée de vie, le méthane pourrait donc avoir des conséquences très fortes sur le climat. Encore plus inquiétant : des quantités gigantesques de méthane jusque là stockées dans les sols pourraient bientôt être relâchées dans l’atmosphère à cause de la montée des températures… Et cela pourrait avoir des conséquences dramatiques. Explications.

Le pergélisol : des réserves naturelles de méthane… sur le point d’exploser ?

Sur la planète, de grandes quantités de méthane sont stockées et emprisonnées un peu partout. Dans le sol par exemple, on trouve du méthane sous forme de « gaz naturel », notamment dans les zones géologiques où se forment le pétrole et les hydrocarbures. Dans les zones charbonneuses on trouve aussi du méthane prisonnier des couches géologiques : ce sont les gaz de schistes ou les gaz de couche. Mais une bonne partie du méthane présent sur la terre est également stocké près de la surface des sols ou au fond des océans. Le problème c’est que ces réserves (les réserves océaniques, et celles situées près de la surface) pourraient dans les années à venir relâcher le méthane qu’elles contiennent…

C’est notamment le cas des pergélisols arctiques ou sibériens. Dans ces zones très froides, on a pu mesurer des quantités importantes de méthane stockées dans les couches affleurantes du sol qui sont en permanence gelées. Le froid a en effet pour effet de stabiliser le méthane et de limiter sa volatilité. Mais depuis que les températures moyennes sur la Terre augmentent, ces sols ont tendance à se réchauffer. La conséquence de ce dégel est que le méthane qui était stabilisé dans les sols congelés s’échappe. On appelle ce phénomène le relargage du méthane du pergélisol. Une étude menée par l’Université d’Alaska Fairbanks et publiée dans la revue Nature Geosciences estime ainsi que depuis 60 ans, ce sont entre 200 millions et 2.5 milliards de tonnes de méthane qui se sont échappées des sols gelés de la région pan-arctique. Cela représente l’équivalent de 70 milliards de tonnes de CO2, soit autant que ce qui est émis par toute l’humanité en 2 années entière. Mais avec l’augmentation des températures, le rythme de la fonte (et donc du relargage du méthane) devrait s’accentuer : les modèles de prévision tablent à l’heure actuelle sur un rythme 100 à 900 fois plus rapide de la fonte du pergélisol dans les 100 prochaines années.

D’autre part, la fonte des sols gelés a des conséquences qui pourraient rapidement ressembler à un vrai cercle vicieux. Une grande partie du méthane émis chaque année sur la planète provient de sources dites « biogéniques », c’est à dire qu’elles sont la conséquence de processus naturels. Par exemple, les zones humides produisent énormément de méthane notamment parce que la biomasse y entre en décomposition en présence de taux importants d’humidité. C’est ce qui se passe dans les rizières inondées par exemple, et qui en font aujourd’hui l’une des plus grandes sources d’émissions de méthane de l’agriculture, juste devant l’élevage. Or dans les pergélisol, à mesure que la glace fond, les zones deviennent de plus en plus humides. Lorsque ce phénomène a lieu dans des zones végétalisées comme la toundra, cela participe à créer le même phénomène de décomposition végétale qui à son tour va relarguer du méthane. Et à son tour, ce méthane va contribuer à réchauffer l’atmosphère et donc à accentuer la fonte des sols.

A partir d’un certain seuil (qu’on appelle le point de bascule) ce phénomène pourrait s’auto-alimenter tout seul. Cela signifie que si les températures continuent à augmenter, il est possible qu’à un moment, même si nous arrêtions toutes nos émissions de CO2, la fonte des pergélisols continue à alimenter le réchauffement en libérant du méthane… et que rien ne puisse plus l’empêcher. Sachant qu’on estime à plus de 1 400 milliards de tonnes les quantités de méthane stockées dans l’Arctique, et qu’un dégazage brutal de 50 milliards de tonnes est considéré comme probable par les scientifiques… cela laisse envisager le pire.

L’hyptohèse du fusil à clathrates ou la bombe des hydrates de méthane marins

En plus des sols, une partie du méthane de la planète est actuellement stocké au niveau des planchers sous-marins, sous forme de « glaces ». C’est ce que l’on appelle les hydrates de méthane ou plus largement les clathrates. De la même façon que pour les pergélisols, il est possible que ces réserves finissent par se libérer à cause de l’augmentation des températures. Autrement dit, si l’océan se réchauffe trop, il larguera lui aussi des quantités importantes de méthane.

Il n’est pas certain que ce méthane puisse réellement rejoindre l’atmosphère (il pourrait se dissoudre dans l’eau ou être détruit par des bactéries océaniques), mais s’il y parvient, il participera lui aussi au cercle vicieux du réchauffement. Et même si ce gaz ne parvient pas à la surface, il devrait logiquement contribuer à une acidification importante des océans… ce qui est aussi un facteur aggravant du réchauffement climatique dans la mesure où cela contribue à détruire le phytoplancton qui absorbe la majorité du CO2 sur Terre. (voir notre article : Les conséquences du réchauffement climatique sur l’océan).

Là encore, quand le point de bascule sera atteint et que ce méthane commencera à se diffuser, il sera probablement difficile de revenir en arrière à cause des effets de boucle de rétroaction que cela engendrera. C’est d’ailleurs pour cela que cette hypothèse s’appelle « l’hypothèse du fusil » : une fois que le coup est parti, il est impossible de revenir en arrière.

Le méthane : un ennemi plus grand que le CO2 pour le changement climatique ?

À la lumière de ces chiffres, il est certain que le méthane fait peser un risque énorme sur l’équilibre de nos systèmes climatiques. Certains voient donc dans le méthane la « priorité oubliée de la lutte contre le réchauffement climatique », arguant qu’il vaudrait mieux mettre notre énergie à réduire nos émissions de méthane. En effet, le méthane ayant un pouvoir de réchauffement plus important que le CO2, réduire nos émissions de méthane aurait un effet immédiat plus fort sur la lutte contre le réchauffement climatique. Et il semble aujourd’hui plus simple de limiter nos émissions de méthane que nos émissions de CO2 : il suffit pour cela de réduire notre consommation de riz et de viande, alors que le CO2 touche quant lui à des besoins structurels comme le transport et l’énergie.

Néanmoins, il faut garder à l’esprit qu’à l’heure actuelle près de 75% du réchauffement climatique est attribuable au CO2 seul. Le méthane quand à lui représenterait environ 15% seulement du réchauffement actuel. Globalement, dans la lutte contre le réchauffement climatique, nos émissions actuelles de méthane posent donc moins problème que nos émissions de CO2.

Reste que jusqu’à maintenant, les risques posés par le méthane sur notre climat ont été sous estimés et qu’il convient de prendre rapidement des mesures afin que cette fameuse « bombe méthane » dont parlent les scientifiques ne se déclenche, emportant avec elle tous les espoirs de la COP21 de maintenir le réchauffement sous la barre des 2 degrés.