La dépression est le fruit d’un mal aux multiples facettes: biologique, psychologique et sociale. Un malheur croissant et omniprésent dans notre quotidien qui reste encore aujourd’hui mal défini et toujours incompris, même dans la communauté scientifique. Doit-on parler de Burn-out, d’anxiété, de souffrance mentale, de mélancolie ?

La dépression est une forme de trouble psychique violent qui ne doit pas être vue comme un simple épisode de tristesse, un simple coup de « blues ». Mais son origine reste encore floue. La fin d’un amour passionnel, le deuil d’un proche, un surmenage au travail, ou bien sans aucune raison particulière, rien ne permet d’établir avec précision le fondement de la maladie.

La simple cause biologique a depuis quelques décennies été mise de côté au profit d’une vision plus systémique. La dépression est une maladie résultant de facteurs biologiques, certes, mais également psychologiques et environnementaux.

La maladie peut entraîner divers symptômes : humeur dépressive, tristesse permanente, perte d’intérêt pour les activités quotidiennes, sentiment d’angoisse, d’isolement, de fatigue et même des idées de mort ou de suicide récurrents. Sur l’ensemble d’une vie, il est estimé qu’une personne sur cinq souffrira de dépression. Le risque de suicide concernerait entre 10 et 20 % des patients atteints de ce trouble.

La dépression est aujourd’hui devenue l’une des maladies les plus connues, à tel point que certains la surnomment « le mal du siècle ». Pourtant, les connaissances sur la dépression restent encore imparfaites, sa définition trop imprécise. La maladie se soigne, mais elle continue de toucher un nombre plus important de personnes dans le monde.

La dépression n’est pas une épidémie à proprement parler, mais elle occupe une place grandissante dans notre société, tant dans la souffrance qu’elle répand que dans l’imaginaire commun qu’elle participe à créer.

Comme le résume le professeur de psychologie clinique Pascal-Henri Keller dans son livre La dépression aux éditions «Que-sais-je », « les débats qui entourent la dépression portent, d’une part, sur le statut qu’il convient de donner à cette souffrance et, d’autre part, sur les meilleurs moyens de soulager ceux qui en souffrent ».

L’expansion de la maladie

Selon les chiffres de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), ils seraient près de 280 millions d’individus à vivre avec la dépression dans le monde. La maladie aurait connu une hausse de près de 18 % entre 2005 et 2015.

Cette croissance majeure peut s’expliquer de trois manières, les trois pouvant fonctionner conjointement. La première est qu’il y a une croissance de la prévalence, en d’autres termes une augmentation réelle du nombre de malades. La crise du Covid-19 a engendré une hausse de 25% des cas d’anxiété et de dépression. Peur de la maladie, pertes financières, solitude, souffrances et deuils ont été autant de facteurs responsables de la montée de la maladie dans le monde.

La seconde façon d’expliquer cette tendance est de se tourner vers la détection de la maladie dans la population. Les connaissances des praticiens et des citoyens se sont affinées sur le sujet. La reconnaissance du sujet de la dépression comme enjeux de santé publique participe de facto à une croissance des cas répertoriés. Par exemple, la forte croissance des cas de cancer du sein, passés de 20 000 cas en 1980 à 50 000 en 2005, est en partie due à une intensification des tests de dépistages depuis les années 1990.

La troisième manière découle finalement de la seconde. La dépression a connu et connaît encore une « dérive ». C’est-à-dire que le diagnostic de la dépression peut ne pas refléter la réalité pathologique. Une méta-analyse publiée dans la revue JAMA Psychiatry par Laurent Mottron, psychiatre reconnu de la recherche sur l’autisme, souligne par exemple un surdiagnostic du spectre de l’autisme dans la société. La dépression ne fait pas non plus exception. Faute de définition exacte, la dépression prend différentes étiquettes (Burn-out, anxiété, mal-être) selon les patients, ce qui rend imprécis le décompte des patients souffrant réellement de dépression.

Flou terminologique

Dans son livre L’Empire du malheur, le professeur d’histoire de la médecine Jonathan Sadowsky rappelle que ni la notion de dépression ni son traitement ne sont restés immuables au regard de l’Histoire.

Hippocrate, le médecin de la Grèce antique, appelait « mélancolie » cet état de tristesse ou de solitude qui ne découlait pas d’un événement particulier. L’Antiquité expliquait la mélancolie par une bile noire circulant dans notre organisme. La mélancolie a en fin de compte pris un sens et représentait des degrés de souffrance différents entre les périodes, du Moyen Âge à l’Époque moderne.

Le terme de dépression n’est finalement apparu qu’au 18ème siècle et ne faisait référence qu’à une humeur. La mélancolie et la dépression s’échangeront les sens, passant successivement d’humeur à maladie jusqu’au 20ème siècle. Ce n’est qu’au lendemain de la Seconde Guerre mondiale que la dépression devient une maladie à part entière. Mais la reconnaissance clinique de la dépression n’a pas entériné cette confusion entre dépression et mélancolie, et ce même aujourd’hui, alors que les deux termes décrivent des pathologies bien distinctes.

Au-delà de la simple terminologie, les débats concernant maladie n’ont cessé d’affluer. Certains défendant la thèse du mal du corps, les autres attestant que la dépression est un mal de l’esprit. La réalité est finalement plus complexe. La dépression est le résultat d’une combinaison de nombreux facteurs, tant biologiques que sociaux.

Diagnostiquer la dépression

Mais cette conclusion n’arrange finalement personne, car elle rend le diagnostic de la dépression que plus abstrait. « Aujourd’hui, la question du diagnostic demeure l’aspect le plus paradoxal de la dépression, explique Pascal-Henri Keller dans son livre, plus il est admis qu’une définition claire et précise de la dépression est complexe à mettre au point et que les frontières avec d’autres états psychologiques sont difficiles à établir, plus les outils conçus pour établir ce diagnostic se simplifient ».

Le diagnostic de la dépression, au contraire de la plupart des maladies (diabète, cancer, coronavirus), ne peut se faire à partir de dépistages biologiques, « en l’absence de tout marqueur biologique, la seule technique disponible et utilisable nécessite un échange parlé entre le praticien et le patient », poursuit l’auteur de La dépression. Les psychiatres utilisent donc des outils de diagnostic, comme le très utilisé Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders (DSM-5), et d’autres questionnaires qui se révèlent être généralement très courts.

Le DSM-5 répertorie neuf symptômes pour la dépression que le manuel divise en deux branches, l’une physique, l’autre psychique. Cinq symptômes doivent être présents pendant au minimum deux semaines et au minimum un des deux symptômes doit être observé par le praticien entre une humeur dépressive (tristesse, sentiment de vide…) et une perte d’intérêt ou de plaisir.

Le traitement de la maladie nécessite donc bien souvent une approche multidisciplinaire sur les deux plans : psychiques et physiques. L’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) indique sur son site que les traitements seraient efficaces dans près de 70% des cas. Mais les soins de la dépression par la prise d’antidépresseurs restent assez critiqués dans la recherche.

Capitaliser sur les soins

À partir des années 1950, un nouveau paradigme dans le traitement de la dépression émerge. La maladie serait due à une perturbation dans l’échange d’informations entre les neurones. La fabrication et la transmission des neurotransmetteurs intervenant dans la régulation de l’humeur (la dopamine, la sérotonine et la noradrénaline) connaîtraient un ralentissement généralisé. La consommation d’antidépresseurs, comme les inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS), participerait à recréer les connexions perdues entre les neurones.

La prise d’antidépresseurs, de tranquillisants ou de somnifères s’est donc généralisée depuis les années 1990, notamment avec la commercialisation du Prozac, le premier antidépresseur à ne pas créer de dépendance lors des traitements. La crise de la Covid-19 a engendré entre 2020 et 2021 une croissance de plus de 1,9 million de délivrances d’antidépresseurs par rapport aux quantités attendues par les services publics.

Une expansion massive des antidépresseurs qui s’explique en partie, indépendamment des débats qui animent la recherche sur leur efficacité, par la facilité du diagnostic de la dépression. Un déploiement qui a engendré des craintes chez certains contre les grandes industries pharmaceutiques, les blâmant d’utiliser la dépression pour faire des profits, « du point de vue financier, la dépression apparaît donc comme un marché en pleine croissance, rappelle Pascal-Henri Keller, du point de vue scientifique en revanche, les avancées sont maigres, et le débat se poursuit entre ceux qui souhaitent développer sa médicalisation et ceux qui veulent la freiner ».

Certains critiques pointent en outre que les connaissances sur le fonctionnement exact et sur les potentiels effets secondaires des antidépresseurs sont encore lacunaires. La délivrance d’une ordonnance se fait souvent sans connaître les causes ou le neurotransmetteur responsable de la dépression.

D’autres soulignent que la délivrance de psychotropes, même si ces médicaments fonctionnent, n’a dans de nombreux cas que peu de sens sans une transformation de l’environnement du patient. La pauvreté, la perte d’un proche, le harcèlement ne s’arrêtent pas avec la prise d’antidépresseurs.

La dimension transdisciplinaire dans le traitement de la dépression ouvre une nouvelle porte prometteuse. L’amélioration des thérapies psychiatriques entraîne indirectement une démédicalisation dans le traitement de la dépression et une réduction de la consommation d’antidépresseurs.

Finalement, peut-être symptomatique de notre époque, la dépression doit être perçue comme un problème de société. La création d’une société plus égalitaire, qui reconnait mieux les violences quotidiennes, est une première étape dans la réduction des cas de dépression. Une prévention plus soutenue dans la lutte contre la solitude doit également s’organiser afin que la maladie ait une meilleure reconnaissance, tant des patients que des praticiens.

Image par graham5399 de Pixabay