Le Conseil de l’Europe vient d’adopter une recommandation visant les membres à agir plus contre le sexisme et le harcèlement. Quelle leçon en tirer ? On vous dit tout.

Malgré des progrès notables ces dernières années, les inégalités entre les hommes et les femmes persistent dans nos sociétés. Plus grave, les agressions et le harcèlement sexistes continuent à exister et à faire des victimes. C’est pour cette raison que le 27 mars dernier, le Comité des ministres du Conseil de l’Europe a adopté une recommandation invitant les Etats à intensifier la lutte contre le sexisme dans tous les milieux.

Le sexisme : un mal répandu dans toutes les sociétés et tous les milieux (re)mis en lumière les réseaux sociaux

Avec la progression globale de la situation des femmes, on aurait pu croire que le sexisme et le harcèlement étaient amenés à disparaître. Mais il n’en est rien. Depuis 2017, les mouvements de dénonciation d’agissements sexistes sont même devenus encore plus fréquents : le mouvement #MeToo a libéré la parole de nombreuses femmes pour dénoncer les agissements dont elles sont victimes : harcèlement de rue, cyber-harcèlement, mais aussi harcèlement sexuel au travail ou encore agressions sexuelles. D’autres mouvements viraux ont suivi, au point de devenir un sujet de discussion quasi-courant à la machine à café le matin. Les chiffres confirment d’ailleurs qu’il subsiste une véritable tolérance sociale sur la question : un rapport publié en début d’année par le Haut Conseil à l’Egalité estime qu’en France en 2017 142.000 femmes ont été victimes de délits sexistes. Et 4 femmes sur 10 en France ont indiqué avoir récemment été victime d’une injustice ou d’une humiliation en raison de leur sexe. Les chiffres montent même à 5 femmes sur dix chez les plus jeunes. Le sexisme est donc un véritable problème de société.

En effet, ce type de comportements entrainent des dommages de toute nature : psychologiques, socio-économiques et dans le pire des cas des dommages sexuels et physiques. Or les femmes et les filles sont proportionnellement bien plus touchées que les hommes et les garçons par ces agissements.

Partant de ce constat, le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe a ainsi affirmé que « l’élimination du sexisme et des comportements sexistes profiterait à tout le monde : les femmes, les filles, les hommes et les garçons ».

La condamnation de l’intersectionnalité et des circonstances aggravantes du sexisme par le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe

Le Conseil des Ministres, loin de se contenter de dénoncer les agissements sexistes et leurs effets multiples sur les femmes et les filles, a également appelé à condamner un phénomène encore peu connu du grand public : l’intersectionnalité. Cette notion, connue des milieux féministes, est surtout utilisée en sociologie pour désigner les situations dans lesquelles des personnes sont victimes simultanément de plusieurs discriminations dans la société. Par exemple, les femmes noires en France sont victimes à la fois du sexisme, fait subi par les femmes en général, et des préjugés racistes subis par la communauté noire. Elles sont donc doublement discriminées.

Les formes croisées de sexisme et de discrimination sont multiples car les discriminations peuvent résulter de l’origine ethnique, de la religion, de l’âge, du handicap, de l’origine sociale, de l’identité de genre, de l’orientation sexuelle et même de la corpulence (on parle de grossophobie pour désigner les discriminations subies par les personnes en surpoids ou obèses, perçus selon les stéréotypes négatifs comme manquant de volonté personnelle).

En outre, le Conseil des ministres a aussi appelé à plus de fermeté des Etats membres en cas d’agissements sexistes commis avec des circonstances aggravantes. En effet, les agissements sexistes intervenant dans le cadre d’une relation hiérarchique ou de travail, dans le contexte éducatif ou médical sont encore plus préjudiciables pour la victime. La portée des moyens de communication utilisé – comme les réseaux sociaux, ou les médias grand public – pour relayer les comportements sexistes sont également été considérés comme des facteurs aggravants.

Des mesures concrètes recommandées pour mettre fin au sexisme

La persistante du sexisme est considérée par le Conseil de l’Europe comme une violation des droits humains et plus spécifiquement une violation des multiples instruments internationaux élaborés pour mettre un terme aux discriminations faites aux femmes dont la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes de 1979, la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant de 1989 prohibant la discrimination fondée sur le sexe de l’enfant ou encore les Convention de sauvegarde des droits de l’homme et libertés fondamentales de 1953 et celle sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique de 2011.

C’est pourquoi, par sa recommandation du 27 mars 2019, le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe « aspirant à créer une Europe libérée du sexisme et de ses manifestations » a appelé les gouvernements des Etats membres a :

  1. Prendre des mesures pour prévenir et lutter contre le sexisme et ses manifestations dans la sphère privée et publique, et d’encourager les parties concernées à mettre en œuvre des législations, des politiques et des programmes pertinents s’appuyant sur la définition et les lignes directrices annexées à la présente recommandation ;
  2. Suivre l’avancement de la mise en œuvre de la présente recommandation et d’informer les comités directeurs compétentes du Conseil de l’Europe des mesures prises et des progrès accomplis dans ce domaine ;
  3. S’assurer que la présente recommandation, y compris son annexe, est traduite et diffusée auprès des autorités et des parties concernées ».

L’annexe de la recommandation liste ensuite de nombreux domaines dans lesquels il convient de mettre en place des mesures concrètes pour lutter contre le sexisme. Il est tout d’abord recommandé aux Etats membres de prendre des mesures de prévention et de lutte contre le sexisme, pour contribuer aux changements comportementaux et culturels à tous les niveaux : individuel, institutionnel et structurel.

Parmi ces outils, viennent en premier lieu les changements législatifs. Le Comité des Ministres préconise aux Etats d’appliquer leurs outils déjà existants mais appelle aussi ces derniers à procéder à des changements législatifs au besoin, pour condamner le sexisme et criminaliser le discours de haine sexiste, en considérant les éléments intersectionnels et certaines situations comme aggravantes. Il est également conseillé de créer une institution publique chargée de ces questions pour diffuser des campagnes de communication et de sensibilisation efficaces.

La recommandation poursuit sur un certain nombre de domaines propices aux agissements sexistes et dans lesquels il appartient aux Etats membres d’adopter des mesures spécifiques. Les domaines listés sont nombreux parmi eux se trouve :

  • Les sciences du langage, pour promouvoir une communication non stéréotypée en éliminant par exemple les expressions sexistes ;
  • Le numérique en particulier pour cibler les discours de haine sexiste en ligne sur les réseaux sociaux où la problématique est endémique ;
  • Les médias, la publicité et les autres biens et produits de communication ;
  • Le lieu de travail ;
  • Le milieu de la culture et du sport ;
  • Le secteur public ;
  • Le secteur judiciaire ;
  • Les institutions éducatives ;
  • Et enfin la sphère privée car malgré des évolutions, la sphère familiale peut encore être un frein pour la carrière ou le choix de vie des femmes, c’est pourquoi il appartient aux Etats d’adopter des mesures destinées à concilier vie privée et professionnelle, ou encore favoriser la parentalité positive.

La législation française a déjà adopté des mesures pour mettre un terme au sexisme, avec la loi du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi, dite loi Rebsamen. Ce texte définit l’agissement sexiste comme « tout agissement lié au sexe d’une personne, ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant ». Aussi, la recommandation du Conseil de l’Europe est un appel pour aller plus loin dans la lutte contre le sexisme car il reste aujourd’hui encore très (trop) peu condamné : seuls 3% des actes sexistes font l’objet d’une plainte et seulement 1 plainte sur 5 conduit à une condamnation.

Crédit image : Shutterstock, harcèlement femme.