En partenariat avec l'ADEME

Économie de la fonctionnalité, collaborative ou circulaire, de nombreux modèles émergent pour contribuer à mettre notre système économique sur le chemin de la sobriété. Prenons le temps de les analyser dans ce nouvel article de notre dossier spécial « Transition écologique et sobriété », réalisé en partenariat avec l’ADEME (Agence de la Transition Écologique).

Face à la crise écologique, il devient de plus en plus évident que notre modèle économique, fondé sur la recherche constante de la croissance des productions et des ventes, doit être transformé. On le constate chaque jour, ce modèle engendre son lot d’absurdités économiques et écologiques : surproduction et surconsommation, production massive de déchets, surexploitation des ressources naturelles, dégradations écologiques, dumping social et environnemental… La communauté scientifique alerte depuis des années maintenant sur l’absolue nécessité de changer de paradigme, de transformer le système, et une idée notamment s’impose : celle de la sobriété.

Les données scientifiques montrent en effet qu’il est urgent de faire la transition vers de nouveaux modèles économiques permettant de viser une économie plus sobre, c’est-à-dire une économie capable de répondre de façon plus juste à nos besoins, en produisant moins et en utilisant à la fois moins de ressources et moins d’énergie. Le défi d’une telle transition est loin d’être simple, car il implique de changer profondément les logiques de notre système économique, d’inventer de nouvelles façons de produire, de consommer et partager la valeur ajoutée.

Malgré tout, de nouveaux modèles commencent à émerger. Alors, si l’économie adoptait le virage de la sobriété ? Quels sont ces nouveaux modèles économiques, comment proposent-ils d’inventer une économie nouvelle au service de la sobriété ? Tentons d’y voir plus clair.

Une économie de la sobriété, c’est quoi au juste ?

Faire émerger une économie au service de la sobriété n’est pas simple, car cela revient en quelque sorte à inverser les logiques qui prévalent dans le capitalisme contemporain. 

Le chantier est donc immense. Plutôt que de chercher à produire et vendre plus, l’économie de la sobriété doit inciter à produire et vendre moins mais mieux, de meilleure qualité, de façon à ce que nos besoins soient satisfaits sans empiéter sur les ressources ou les écosystèmes naturels. Plutôt que de chercher à produire au prix le plus bas pour maximiser les marges et les bénéfices, l’économie de la sobriété doit chercher à produire au prix juste, un prix qui reflète des conditions de production souhaitables sur le plan social et environnemental.

L’économie de la sobriété est donc difficilement compatible avec les modes de production linéaires actuels, fondés sur la logique produire, acheter, jeter, le tout à grands coups de marketing, pour pousser à la consommation, voire à la surconsommation. Dans tous les secteurs, faire la transition vers la sobriété implique donc de se tourner vers de nouveaux paradigmes, de nouvelles façons de produire et de vendre, et d’inventer une nouvelle pérennité pour l’entreprise.

Or depuis quelques années, ces nouveaux modèles émergent un peu partout. Des entreprises se lancent dans des logiques nouvelles, qui visent à réduire la surconsommation, à réutiliser les déchets et les matières. La production et la consommation évoluent, à travers ce que l’on appelle l’économie circulaire, l’économie de la fonctionnalité ou encore l’économie collaborative ou de la coopération.

Sobriété : sortir de la surconsommation

Un certain nombre d’entreprises se lancent par exemple dans des modèles de production différents pour sortir des logiques de surconsommation. Il y a celles qui tentent, par exemple, de mettre sur le marché des produits plus durables. Plus résistants, sans obsolescence programmée, conçus dans des matériaux à l’empreinte écologique plus faible, ces produits répondent à une demande croissante de consommation plus responsable. Bien souvent, ces produits sont plus chers à l’achat, ce qui les rend parfois inaccessibles aux consommateurs les moins aisés. Mais à terme, ils peuvent s’avérer plus intéressants que les produits classiques car il faut les remplacer moins souvent. Dans l’électroménager ou encore la mode, de plus en plus de marques tentent de se positionner sur ce segment de consommation. L’enjeu pour une économie plus sobre, c’est de rendre ces produits accessibles au plus grand nombre, grâce à des politiques adaptées de justice sociale : politiques redistributives, lutte contre les inégalités, salaires décents, par exemple.

Toujours dans l’idée de sortir de la surconsommation, certaines entreprises proposent des modèles de production reposant sur la pré-commande. L’idée : ne produire que ce qui sera effectivement acheté, pour éviter les effets délétères de la gestion de stock. En effet, en ayant une idée précise de ce que leurs clients vont acheter, les entreprises qui pratiquent la précommande n’ont plus besoin de produire des stocks supplémentaires qui risquent de ne pas être vendus, et donc d’être gaspillés. Puisque la production est faite au plus près des besoins des consommateurs, parfois même grâce à la consultation de ces derniers, cela évite aussi la surproduction et la surconsommation. Lentement, la pratique se diffuse dans la mode, et de plus en plus de marques se développent en suivant ce modèle.

Voir aussi : définition de l’économie sociale et solidaire – ESS

L’économie circulaire pour des boucles de sobriété

Parmi les modèles qui émergent, on peut aussi citer l’économie circulaire. L’économie circulaire vise à changer de paradigme par rapport à l’économie dite linéaire, en limitant le gaspillage des ressources et l’impact environnemental, et en augmentant l’efficacité à tous les stades de l’économie des produits. Au sens large, l’économie circulaire regroupe donc toutes les formes d’économie qui se structurent autour de boucles où les matières, les ressources, les déchets et l’énergie sont réutilisés au maximum pour éviter les gaspillages.

Réduire les déchets, utiliser des matières recyclées, upcyclées, réutiliser les stocks invendus ou les transformer, sont autant de voies pour commencer à intégrer les principes de l’économie circulaire. Mais l’économie circulaire, ce n’est pas seulement le recyclage : il s’agit aussi d’agir dès la conception du produit, grâce à l’éco-conception, pour élaborer des objets ou des services conçus pour limiter les gaspillages. Par exemple, concevoir des produits électroniques réparables, conçus pour économiser l’énergie, permet de réduire l’usage des ressources et d’énergie. Il s’agit aussi de penser le stade de l’usage ou de la consommation, de manière à encourager des comportements d’usage vertueux, qui prolongent notamment la durée de vie des objets : réparation, entretien… Dans la même idée, toutes les filières qui se structurent autour des notions comme le réemploi, ou qui créent des partenariats entre filières pour que les déchets des uns deviennent les ressources des autres, s’inscrivent dans une démarche de circularité.

Aujourd’hui, l’économie circulaire inspire de plus en plus le monde de l’entreprise. Les acteurs qui structurent les filières de seconde main, dans la mode ou l’électroménager, en sont de bons exemples. En reconditionnant des produits utilisés mais toujours en état de marche, ils permettent de réduire les besoins en produits neufs, et donc, à terme, les besoins de production.

L’économie de la fonctionnalité et de la coopération  : la sobriété « as a service » ?

Parmi les piliers de l’économie de la sobriété et de l’économie circulaire, on parle également de plus en plus de l’économie de la fonctionnalité. Selon l’ADEME, l’économie de la fonctionnalité consiste à fournir aux entreprises, individus ou territoires, des solutions intégrées de services et de biens reposant sur la vente d’une performance d’usage ou d’un usage et non sur la simple vente de biens. Ces solutions doivent permettre une moindre consommation des ressources naturelles dans une perspective d’économie circulaire, un accroissement du bien-être des personnes et un développement économique.

Concrètement, dans un modèle d’économie de la fonctionnalité, un client qui cherche à se déplacer n’achètera plus un véhicule, mais plutôt une capacité à pouvoir se déplacer facilement : voiture de location en libre service, vélo électrique à la demande, forfaits de transports… L’entreprise devient alors le garant de cette performance d’usage. Grâce à ce type de contractualisation, on évite de multiplier la production de biens et de services individuels, et on optimise leur usage. Par exemple, dans ce modèle, il n’est plus toujours nécessaire de posséder une voiture individuelle, inutilisée 95% du temps, ce qui réduit la surproduction et les autres externalités négatives liées à la voiture individuelle.

En s’étendant à d’autres secteurs de l’économie marchande, l’économie de la fonctionnalité pourrait engendrer des transformations profondes dans les modes de production et de consommation : une consommation qui ne soit plus liée à la propriété individuelle et à la production matérielle systématique, le développement de compétences nouvelles (gouvernance coopérative, management coopératif), une extension des logiques de l’économie circulaire, de la réparation, mais aussi une nouvelle création et répartition de valeur, incluant ses dimensions sociales et environnementales.

L’économie collaborative et la coopération au service de la sobriété

Enfin, l’économie collaborative peut aussi constituer un modèle servant la transition vers une économie plus sobre. L’économie collaborative regroupe les pratiques qui augmentent l’usage d’un bien ou d’un service, par le partage, l’échange, le troc, la vente ou la location de celui-ci, avec et entre particuliers. Prêts entre particuliers, location entre particuliers, échanges de services ou de biens sont alors autant de manières de réduire la nécessité de produire toujours plus.

Par exemple, une perceuse achetée par un particulier n’est utilisée au cours de son cycle de vie que quelques dizaines de minutes. Sa production, et les impacts qu’elle engendre, sont donc considérables au regard de son usage réel. Partager cette perceuse, grâce à des dispositifs d’échange ou de mise en commun, permettrait de rentabiliser ces impacts et d’optimiser son usage. Par extension, cela permettrait de réduire la production nécessaire pour satisfaire le besoin des utilisateurs : une perceuse pour 20 utilisateurs, au lieu de 20. En un sens, l’économie collaborative se fonde sur le principe de la sobriété.

Aujourd’hui, l’économie collaborative se développe dans de nombreux secteurs : covoiturage pour la mobilité, location entre particuliers pour les biens d’équipement, mise en commun des outils et infrastructures, logement partagés pour l’habitat… Bien-sûr, le modèle d’économie collaborative ne résout pas tout et peut s’accompagner de certains effets rebond. Par exemple, le covoiturage est intéressant du point de vue environnemental s’il permet à des usagers de grouper leurs trajets de proximité et évite le recours à plusieurs véhicules individuels. Mais s’il remplace des trajets qui auraient été effectués en train, il peut alors s’avérer finalement plus polluant que ce qu’il remplace.

En règle générale, l’économie collaborative a tout son intérêt lorsqu’elle permet de faire des économies d’échelle dans les échanges de proximité : location entre voisins, colocations, covoiturage du quotidien… Et bien-sûr, pour avoir tout son sens dans la transition écologique et sociale, l’économie collaborative doit éviter de tomber dans les logiques de précarisation qui accompagnent souvent les modèles de l’économie collaborative uberisée.

L’émergence d’un nouveau paradigme économique

Tous ces modèles, chacun à leur manière, et parfois de façon concomitante, participent à la fois à améliorer la durée de vie des produits mis sur le marché, à optimiser leur usage, à réduire la surproduction. Globalement, cela permet de répondre aux besoins collectifs de façon plus sobre.

Tout cela émerge en même temps que de nouvelles formes d’entreprises se développent : entreprises coopératives, de l’économie sociale et solidaire, entreprises mutualistes… Et bien souvent, la forme de l’organisation alimente les réflexions sur le modèle d’affaire, et inversement.

Ce mouvement concourt à l’émergence d’un nouveau paradigme économique, qui ne se focalise plus entièrement sur la production de richesses monétaires, mais sur la satisfaction des besoins de la société dans le respect des limites environnementales et du bien-être social, dans une logique de sobriété. Ces modèles nouveaux représentent des alternatives à la fois crédibles et inspirantes pour de nombreuses entreprises qui veulent se réaligner avec l’intérêt général et contribuer à la transition écologique et sociale.

En posant de nouveaux jalons d’une économie mieux centrée sur nos besoins, orientée vers la sobriété, ces nouveaux modèles peuvent avoir un rôle majeur dans la transition écologique et sociale. Elle permettrait de réduire nos impacts environnementaux, tout en créant de nouveaux emplois et de nouvelles façons de produire et de vivre, plus en phase avec nos objectifs sociaux collectifs. Mais pour que ces nouvelles façons de produire prennent toute leur place dans la transition, il faudra prendre garde qu’ils ne soient pas dévoyés par les logiques habituelles du capitalisme contemporain, par les effets rebond (voir la définition de l’effet rebond ici). Il faudra prendre garde qu’ils ne soient pas, finalement, une manière détournée de perpétuer une surconsommation destructrice pour l’environnement et pour les équilibres sociaux. Il faudra donc qu’elles s’intègrent dans un paradigme économique nouveau, produisant une valeur à la fois économique, sociale et environnementale.

Voir aussi : La sobriété : essentielle à la transition écologique

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