L’obésité est aussi une maladie aux racines sociales et économiques. Reflet des inégalités profondes qui traversent la société, elle affecte toujours plus les pauvres et les moins favorisés.

L’obésité et le surpoids font partie des problèmes de santé publique les plus importants de notre époque. L’excès de poids est en effet impliqué dans de nombreuses maladies chroniques : diabète, maladies cardiovasculaires, hypertension, mais aussi problèmes articulaires, difficultés de mobilité. Le surpoids et l’obésité font même partie des premières causes du cancer. Chaque année, 2.8 millions de personnes meurent des conséquences du surpoids ou de l’obésité dans le monde.

La prévention et le traitement de l’obésité est donc devenu un enjeu de santé publique majeur. Comment éviter l’obésité ? Comment mettre en place des politiques publiques de prévention efficaces ? Comment soigner l’obésité ? Pour répondre à ces questions, il faut se pencher sur les causes de l’obésité, et comprendre d’où vient cette maladie complexe. Or, si l’on parle beaucoup des causes « physiques » de l’obésité (suralimentation, alimentation déséquilibrée, manque d’activité physique), on parle moins de ses causes sociales et économiques.

Car oui, l’obésité est aussi fortement liée aux inégalités sociales et économiques qui fracturent les sociétés modernes.

L’obésité et surpoids : des inégalités marquées

Rappelons d’abord quelques chiffres : en France, près de 17% de la population est en situation d’obésité, et pratiquement un Français sur deux est en surpoids. L’obésité et le surpoids sont donc extrêmement répandus, mais il faut bien comprendre que derrière ces moyennes se cachent des écarts très importants en fonction des territoires et des catégories de population.

À l’échelle du territoire, on observe par exemple que l’obésité est nettement plus répandue dans certaines régions que d’autres. Dans les Hauts-de-France, la région la plus touchée en France, 22% des individus sont en situation d’obésité, alors qu’en Île-de-France, ce ne sont que 14% ou 16% en Provences-Alpes-Côte d’Azur. Bien évidemment, ces écarts s’expliquent en partie par des différences dans les habitudes alimentaires. Depuis longtemps, les études ont montré que de forts écarts existent entre les territoires français en matière alimentaires : le Sud-Est, réputé pour son « régime méditerranéen » conserve encore des habitudes alimentaires relativement plus favorables en matière de poids, notamment comparé aux régions du Nord du pays.

Mais derrière ces écarts se cachent surtout de fortes disparités sociales et économiques. Les régions les plus touchées par le surpoids ou l’obésité sont aussi les régions les plus pauvres, les plus touchées par la précarité ou les instabilités économiques. La région Haut-de-France est ainsi également l’une de celles où les taux de chômage sont les plus élevés.

Le lien entre inégalités sociales et économiques et obésité

De nombreuses données, émanant par exemple de Santé Publique France ou de la DREES (Direction de la Recherche, des Études, de l’Évaluation et des Statistiques) montrent ces inégalités. On sait par exemple qu’il y a une corrélation très forte entre le niveau d’études et l’obésité : 24,5 % des personnes ayant arrêté leurs études en primaire sont obèses, contre 21,5 % parmi ceux ayant le brevet des collèges, et seulement 7,3 % chez les diplômés du supérieur (3ème cycle). De la même façon, l’étude Obépi-Roche, menée pour la Ligue contre l’Obésité, montre que les cadres sont presque deux fois moins touchés par l’obésité que les ouvriers ou les employés (10% contre 18%). Seuls 35% des cadres sont en surpoids, contre 51% pour les ouvriers.

En fonction de sa situation économique, un individu a plus ou moins de risques d’être obèse ou en surpoids : 30% des femmes dont le revenu est inférieur à 450 euros mensuels sont en situation d’obésité, contre seulement 7% des femmes dont le revenu est supérieur à 4200 euros par mois, par exemple. Les personnes au chômage ont, selon un rapport du CESE, 1.5 fois plus de risques d’être en situation d’obésité.

En résumé : plus une personne est dans une situation économique et sociale difficile, plus elle a de risques de développer des problèmes de surpoids ou d’obésité. C’est un phénomène que l’on observe pour de nombreux indicateurs de santé (risques de cancers, de maladies chroniques, etc.). Avoir une situation économique favorable, tend à être liée à une meilleure santé, c’est ce que l’on appelle le gradient social de santé. Dans le cas de l’obésité, la relation est claire, et elle va même dans les deux sens. En effet, les problèmes de surpoids et d’obésité ont tendance à aggraver les difficultés sociales et économiques des individus : être en surpoids ou obèse peut en effet mener à des discriminations à l’embauche, à des problèmes de santé, qui à leur tour pèsent sur les budgets, etc.

Comment expliquer les liens entre inégalités et obésité ?

Mais quel rapport au juste entre les inégalités sociales et économiques d’un côté, et le surpoids et l’obésité de l’autre ? Comment expliquer que les personnes en situation de pauvreté ou au chômage aient plus de risques de développer du surpoids ?

Cette relation est difficile à expliquer, comme c’est généralement le cas avec le gradient social de santé, car plusieurs facteurs peuvent en partie expliquer ces corrélations. Dans le cas de l’obésité, on observe par exemple que les populations les moins favorisées ont des habitudes alimentaires et des habitudes de vie qui favorisent la prise de poids. En moyenne, plus l’on est pauvre, moins on pratique d’activité physique, moins on mange d’aliments sains et plus on mange d’aliments riches en sucres et pauvres en nutriments de qualité, par exemple. Les populations les plus défavorisées consacrent par exemple une part nettement plus importante de leurs revenus aux sodas et aux boissons sucrées que les populations les plus aisées, selon les données de l’INSEE. Or, on sait qu’une consommation régulière de ces boissons augmente les risques de développer du surpoids. De même, 85% des cadres pratiquent régulièrement une activité physique, contre seulement 56% des ouvriers, selon les données Injeo-Credoc.

Pourquoi les populations aisées ont-elles des habitudes de vie plus « saines » ? Là encore, l’explication est multi-factorielle. Il y a d’abord une réalité économique : les produits « sains » coûtent plus chers, tout comme les consultations chez des médecins spécialisés (nutritionnistes par exemple) qui peuvent accompagner les individus dans la gestion de leur poids. Inversement, les produits les plus nocifs du point de vue du poids (fast-food, sodas, produits préparés) coûtent généralement peu cher. Pratiquer une activité physique a aussi un coût (abonnements, coaching, équipements…) et les populations précaires n’ont pas toujours d’argent à consacrer à cela, sans compter que parmi les populations les moins favorisées, beaucoup ont déjà des métiers pénibles physiquement, qui peut freiner la pratique sportive.

Le contexte socio-économique et culturel de l’obésité

Ensuite, d’une manière générale, l’obésité s’inscrit dans un contexte socio-économique dans lequel les populations moins favorisées sont plus exposées au risque. Par êxemple, être pauvre, dans un contexte où les inégalités territoriales sont très fortes, cela veut souvent dire que l’on a moins accès aux infrastructures facilitant un mode de vie sain : les zones défavorisées sont moins bien dotées en infrastructures sportives ou de loisir, en commerces disposant d’une offre d’aliments de qualité à prix raisonnable, etc.

Culturellement, l’attention au corps et à la santé est également plus forte chez les populations aisées, qui ont le temps et les moyens de se sensibiliser à ces questions et d’adapter leurs modes de vie. Ce n’est pas toujours le cas des populations défavorisées, qui luttent quotidiennement pour gérer leurs budgets, leurs difficultés professionnelles et personnelles.

Selon la DREES, seuls 52% des enfants scolarisés en éducation prioritaire prennent quotidiennement un petit déjeuner sain, par exemple, alors que c’est le cas de 70% des enfants de cadres. Les enfants d’ouvriers ou d’employés vont moins à la cantine, grignotent plus hors des repas, font moins de sport. Autant d’habitudes qui s’expliquent en partie par le manque de moyens, de temps et de sensibilisation, et qui s’inscrivent souvent dans la culture des individus pour le reste de leur vie. Sachant que les inégalités tendent à se reproduire entre les générations, cela explique en partie la persistance d’une prévalence élevée de l’obésité dans les milieux populaires.

Environnement, stress, et autres facteurs aggravants du surpoids et de l’obésité

La pauvreté, le chômage, les difficultés financières ou professionnelles constituent également un stress chronique, qui est, on le sait, l’un des facteurs déterminants dans la survenue des troubles du comportement alimentaire qui peuvent mener à l’obésité.

Et bien d’autres facteurs encore peuvent contribuer à une prévalence plus forte de l’obésité dans les milieux populaires. Les facteurs environnementaux peuvent expliquer la tendance accrue de certaines populations à prendre du poids, et notamment l’exposition aux pollutions ou aux perturbateurs endocriniens. Or, les données montrent ainsi que les populations pauvres sont plus exposées à ces produits polluants divers (pollution atmosphérique, composés organiques volatils, PFAS) qui peuvent accroître les risques. C’est ce que l’on appelle « l’exposome » : l’exposition cumulée à des produits chimiques, des substances à risque, des pollutions, qui, de façon chronique tout au long de la vie peuvent augmenter les risques de développer certaines maladies, notamment par effet cocktail.

L’obésité est donc une maladie multifactorielle dans laquelle s’exprime aussi les profondes inégalités qui traversent nos sociétés. Pratiquement tous les facteurs de risque d’obésité et de surpoids ont des dimensions sociales, économiques et culturelles qui affectent plus fortement les populations en difficultés, et face auxquelles les populations aisées sont au contraire mieux armées. Et c’est bien souvent ces dimensions qui sont négligées par les politiques de prévention et de soin de l’obésité, qui oublient qu’une population saine, c’est d’abord une population disposant de conditions de vies saines, y compris sur le plan économique, social et environnemental.

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