Qu’est-ce que le sexisme au travail ? Comment le reconnaître ? Comment affronter les situations de sexisme au travail et les faire disparaître ? Décryptage.

Le Haut conseil à l’Egalité entre les femmes et les hommes (HCE), définit le sexisme comme une idéologie reposant sur le postulat de l’infériorité d’un sexe par rapport à l’autre, dont la cible est principalement les femmes. C’est un ensemble de manifestations, des plus anodines en apparence (remarques et blagues déplacées, représentations stéréotypées, sur-occupation de l’espace…) aux plus graves (viols, meurtres…).

Comme on peut s’en douter, le monde du travail n’est pas exempt de phénomènes sexistes. D’après une étude EY, 82% des salariées estiment que « les femmes sont régulièrement confrontées à des attitudes ou des décisions sexistes dans le monde du travail », un constat partagé par 60% des hommes. Bien souvent, la difficulté réside dans le fait que les manifestations sexistes se cachent derrière des phénomènes banalisés, qu’on n’identifie pas forcément comme problématiques : c’est ce que l’on appelle le sexisme ordinaire. Mais alors, qu’est-ce que le sexisme au travail ? Comment le détecter et lutter contre lui ? Décryptage.

Le sexisme au travail : pas si simple à définir

Il n’est pas toujours évident de qualifier une situation de sexiste, de savoir où sont les limites dans certains propos et certains comportements. Le sexisme ordinaire, d’apparence presque banale, peut être difficile à identifier car il s’immisce dans la société au point de se rendre quasi invisible. Ce sont des petits signes, comportements, propos, attitudes fondés sur des stéréotypes de sexe qui, insidieusement, de façon consciente ou non, infériorisent, déstabilisent, marginalisent et délégitiment notamment les femmes.

Dans le monde du travail, il a des conséquences sur la santé mentale, le bien-être mais aussi sur la carrière des personnes visées. La lutte contre le sexisme constitue donc un véritable enjeu pour les entreprises.

Chiffres du sexisme, impacts sur les victimes, législation en vigueur, on décrypte le sujet pour vous.

Le sexisme ordinaire, une forme de micro-violence presque banale et difficilement repérable

Repérer les manifestations de sexisme est la première étape pour les surmonter et ainsi lutter contre les inégalités de genre. Pour autant, elles sont parfois peu visibles. Comment l’expliquer ?

Les stéréotypes ambiants, à la base du sexisme

Même en se déclarant en faveur de l’égalité entre femmes et hommes, on n’est jamais à l’abri de conduites sexistes. Ce sont souvent des comportements inconscients, fondés sur les stéréotypes ambiants que nous intégrons et reproduisons sans nécessairement nous en rendre compte. La plupart du temps, les agissements sexistes ne sont pas mal intentionnés. On peut donc avoir des personnes qui sont tout à fait en faveur de l’égalité femmes-hommes et qui pourtant tiennent des propos ou ont des actes sexistes.

Blagues sexistes : plus de mal que de rire

Le sexisme est un ressort fréquent de l’humour. 8 collaboratrices sur 10 affirment avoir déjà entendu des blagues sexistes, et les trois quarts des hommes s’en disent témoins (74%) selon le collectif #StOpE.

Dans une blague sexiste, il peut être difficile de distinguer ce qui relève effectivement de l’humour de ce qui est du dénigrement. Et puis, il est difficile pour quiconque de se défendre contre l’humour. La personne sera perçue comme quelqu’un « qui n’a pas de second degré ».

« Le sexisme est tellement banalisé qu’il arrive même aux femmes de rire de blagues sexistes » observe Danielle Bousquet, ex-présidente du HCE.

Des inégalités de genre peu visibles

Avec l’acquisition d’un certain nombre de droits formels pour les femmes (accès à la formation, mixité scolaire, droit de vote, droit d’ouvrir un compte bancaire sans autorisation…), nous avons une propension à percevoir les rapports femmes-hommes comme des rapports symétriques ou du moins complémentaires. Aussi est-il difficile d’admettre, sans donnée chiffrée, qu’il existe une inégalité sociale première qui est l’inégalité de genre.

Le sexisme, une violence spécifique 

Le sexisme, par ses manifestations et ses effets, entraîne des conséquences à plus ou moins long terme, sur la personne visée mais aussi sur l’organisation collective.

Les conséquences à court terme du sexisme : dévalorisation et stratégie d’évitement

Parmi les 64690 salariés interrogés dans le cadre du baromètre du collectif #StOpE, 95% des femmes et 90% des hommes affirment que les manifestations sexistes engendrent une baisse de confiance en soi et respectivement 94% et 90% une déstabilisation de la personne.

La personne visée peut en venir à remettre en cause ses compétences, ne pas se sentir à sa place voire développer des stratégies d’évitement.

D’après un sondage commandé par le ministère de la Famille, de l’Enfance et du Droit des femmes au CSA en 2016, 50% des femmes déclarent avoir changé leur façon de s’habiller pour éviter une remarque sexiste.

Les conséquences à plus long terme : l’intériorisation des stéréotypes fondés sur le genre

Par ailleurs, le sexisme contribue à véhiculer des images négatives sur la place des femmes dans la société, à renforcer les stéréotypes de sexe, voire à « légitimer les inégalités et les violences sexistes et sexuelles » et « consolider l’entre-soi ‘masculin’ et entretenir un climat d’hostilité entre femmes » pour le HCE.

L’intériorisation de ces stéréotypes, d’une représentation figée entre masculin et féminin donne plus de difficultés aux femmes. Dans leur vie professionnelle, cela se traduit par les chiffres suivants (baromètre du collectif #StOpE) :

  • 44% des femmes ont eu l’impression de recevoir un traitement différent d’un homme dans leur travail quotidien.
  • Près d’une collaboratrice sur deux estime avoir déjà entendu des propos disqualifiants à l’égard des aptitudes managériales des femmes.
  • Les trois quarts des femmes ont déjà entendu des préjugés associés à la maternité (75%), dont un quart (23%) à leur sujet.
  • 52% des femmes jugent avoir déjà été confrontées à certaines limites au cours de leur carrière en raison de leur sexe (augmentations/primes non reçues : 37%, promotions non accordées : 31%). Cela renvoie à la notion de « plafond de verre » qui limite les femmes dans l’accès aux sphères décisionnelles et aux postes à hautes responsabilités.

Notons également que s’il est nettement plus marqué auprès des femmes, le sexisme existe aussi envers les hommes, essentiellement basé sur des stéréotypes liés au genre masculin, et sur la paternité. 4 hommes sur 10 ont déjà entendu des propos dégradants remettant en cause leurs compétences en s’appuyant sur des représentations de la masculinité.

Les conséquences sur l’organisation collective

Enfin, il semble important de souligner que les propos ou actes sexistes ont des impacts plus larges.

« Toute violence dirigée contre une facette de l’identité d’une personne – identité en tant que femme ou homme ; en tant que personne d’origine étrangère ; en tant que personne en situation de handicap –, son comportement ou son apparence aura un double effet : celui de provoquer une humiliation et une souffrance chez la personne visée, et d’humilier, de rabaisser toute personne qui partage la même identité ou qui pourrait s’identifier à celle-ci » indiquent les auteurs de ce guide intitulé « Du sexisme ordinaire aux violences sexuelles: repérer pour agir ».

En s’attaquant à l’identité d’une personne, on ne touche pas uniquement la personne qui fait l’objet de la remarque, mais un nombre de personnes beaucoup plus large. La remarque peut faire office de « rappel à l’ordre » pour toutes les personnes concernées.

Lutte contre le sexisme : que dit la loi ?

L’employeur a pour obligation de prendre toutes les mesures nécessaires afin de prévenir les agissements sexistes. Il doit notamment porter à la connaissance de ses salariés les dispositions du code pénal réprimant le harcèlement moral, et collaborer avec les représentants du personnel et, s’il existe, le comité social et économique (CSE). La médecine du travail peut aussi participer à la prévention du harcèlement moral dans l’entreprise.

Agissement sexiste, outrage sexiste, injure publique à caractère sexiste, discrimination sexiste : une distinction s’opère entre ces termes, mais aucun ne doit avoir sa place en entreprise et dans la société en général.   

La loi sur la santé du 2 août 2021 a fait évoluer la législation sur le sujet, en élagissant la notion de harcèlement sexuel au travail.

« Le sexisme répété est désormais un risque pour la santé au travail au même niveau que le harcèlement sexuel » expliquent Alice Marchionno et Julie Peigné dans une tribune au « Monde ».

Autrement dit, la répétition d’agissements sexistes au travail c’est-à-dire « tout agissement lié au sexe d’une personne, ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant » (article L1142-2-1 du code du travail) est susceptible d’être qualifiée de harcèlement sexuel et pourra se solder, à partir du 31 mars 2022 par des sanctions allant jusqu’au licenciement.

Au-delà du sexisme, la question de l’égalité professionnelle

Au-delà de la lutte contre le sexisme, c’est toute la question de l’égalité professionnelle qui est en jeu et celle de la modernisation des organisations.

Birigitte Grésy, Secrétaire générale du Conseil supérieur de l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes

L’enjeu pour les entreprises est de s’attaquer aux comportements irrespectueux quotidiens et banalisés, prévenir les dérives vers des comportements plus graves, et créer une culture du respect et de l’inclusion, pour ainsi cheminer vers l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.

La formation des managers et salariés semble indispensable à cela, et selon le baromètre, 45% par les femmes et 38% par les hommes, réclament également un message fort des directions d’entreprises condamnant les remarques sexistes.

Photo par Eunice Lituañas sur Unsplash