Devoir de vigilance : où en sont les entreprises ?

Véronique Moine - Sustainability Chief of Staff

Schneider Electric

Véronique Moine travaille chez Schneider Electric depuis 1991, après des études de Lettres Modernes à La Sorbonne Panthéon et une expérience de 7 ans chez Philips Composants France comme responsable de la communication interne puis des relations presse. Après quelques années à la Communication Corporate, puis dans l’équipe Solutions pour développer le programme « Customer Intimacy », elle a rejoint le département du Développement Durable comme « chief of staff ».

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Le 15 décembre 2017, Entreprises pour les droits de l’Homme (EDH) et le Global Compact France se sont associés à Schneider Electric pour organiser une rencontre exceptionnelle autour du devoir de vigilance. Alors que la loi du 27 mars 2017 entre en vigueur, les entreprises sont-elles prêtes ? Où en sont-elles des « plans de vigilance » qui décriront la manière dont elles évaluent et préviennent les risques sociaux et environnementaux liés à leurs activités et celles de leurs sous-traitants et fournisseurs ?

Cette conférence, en rassemblant près de 70 représentants institutionnels, d’entreprises, d’organisations syndicales et d’ONG, a permis de croiser points de vue et témoignages sur l’impact de la loi, en France comme à l’international. Schneider Electric revient sur les points forts de l’événement qui, incontestablement, a montré que de nombreuses initiatives étaient déjà en place autour de la cartographie et de la prévention des risques sur l’ensemble de la chaîne de valeur.

Devoir de vigilance : les entreprises déjà mobilisées

Alors que les rapports publiés en 2018 devront présenter les premiers plans de vigilance, les entreprises françaises semblent déjà bien mobilisées sur le sujet. Anticipant que la mise en application de la loi allait requérir du temps, des ressources et un engagement du top management, plusieurs d’entre elles ont avancé concrètement en vue du premier exercice de reporting.

Voir aussi : Qu’est-ce que le devoir de vigilance ?

Schneider Electric a mis en place un « Comité Devoir de vigilance » et prévoit de réaliser plusieurs cartographies des risques sur l’ensemble de sa chaîne de valeur : identification de filiales plus exposées que d’autres – celles qui font par exemple davantage appel à de la main-d’œuvre étrangère – ou de certains projets pour lesquels les processus de due diligence devront être renforcés. Les efforts porteront également sur la prévention, avec notamment la formation des fournisseurs identifiés à risque, dont les équipes doivent être sensibilisées aux questions RSE, et sur les processus de contrôle dans tous les sites industriels.

Veolia considère que le large « spectre thématique » de la loi impose de décloisonner et coordonner de nombreux services de l’entreprise pour construire et déployer le plan de vigilance. Jean-Hugues Hermant, chargé de projets Développement durable, se préoccupe aussi de l’appropriation de la démarche par les salariés : elle n’ira pas de soi car elle « pose la question des décalages socio-culturels » notamment dans la manière de penser le dialogue social et le droit du travail. La réponse de Veolia ? Des enquêtes de terrain afin de croiser la perception locale des risques avec la perception du groupe, d’identifier les risques prioritaires pour tous, puis de mettre en place des plans d’action.

Bien qu’elles ne soient pas concernées par la loi, certaines PME, comme Anaïk, ont déjà mis en place des pratiques de vigilance. Spécialiste des cadeaux promotionnels, et travaillant beaucoup avec des fournisseurs chinois, l’entreprise est « directement passée à des solutions RSE opérationnelles ». Anaïk agit autant du côté de ses fournisseurs pour développer une démarche de bien-être au travail, que de ses clients avec la mise en place de l’application Gift Track permettant une traçabilité en temps réel des commandes (avec des données remontées des audits sociaux, des contrôles de lots dans les usines, etc.). L’entreprise a chiffré l’impact sur son prix de vente des mesures mises en œuvre : Frédéric Delloye, son directeur, souligne qu’elles ont entraîné « un coût supplémentaire de 3 % » sur l’ensemble de sa gamme.

Un écosystème déterminé à « jouer collectif »

La loi sur le devoir de vigilance pose, de l’avis de tous, des bases nouvelles. En premier lieu, elle propose un large cadre d’action, qui s’inscrit dans la dynamique posée par les grands textes-cadres internationaux (Principes Directeurs de l’OCDE, Principes Directeurs des Nations Unies). Le député Dominique Potier, rapporteur de la loi, rappelle que le texte « ne fixe pas de normatif » et offre à chaque entreprise « la liberté de porter un diagnostic avec sincérité » sur les risques liés à ses activités. Il souligne d’ailleurs le caractère innovant de la loi, en ce qu’elle est fondée sur la confiance accordée aux entreprises de se saisir du sujet pour exercer leur responsabilité. Cette loi est aussi un changement de paradigme dans l’appréhension des risques sociaux et environnementaux : l’enjeu n’est plus la réputation de l’entreprise et les risques qui pèsent sur elle, mais bien ceux que ses activités font courir aux êtres humains et à la planète.

C’est donc l’intelligence collective qui doit être mobilisée face au plan de vigilance. Martine Combemale, Directrice de RHSF (Ressources Humaines Sans Frontières) estime que « les entreprises ne peuvent pas être seules dans cette démarche de cartographie des risques de l’ensemble de leur chaîne de sous-traitance ». Il faut agréger les ressources afin de mettre en place des outils communs.

Les associations comme EDH et Global Compact France vont jouer un rôle essentiel pour guider les réflexions, favoriser l’échange de bonnes pratiques et la co-construction de méthodologies. EDH travaille depuis 2011 sur la vigilance en matière de droits humains, à travers des outils d’opérationnalisation des Principes Directeurs des Nations unies. Elle accompagne aujourd’hui les entreprises de son réseau sur la mise en œuvre des plans de vigilances et prévoit notamment le développement d’outils pratiques de formation et de reporting, en complément des travaux déjà réalisés par l’AFEP et le C3D. Global Compact, dont les membres sont des grandes entreprises autant que des PME, permettra de rapprocher donneurs d’ordres et fournisseurs dans la mise en œuvre opérationnelle, afin que la charge ne porte pas trop sur ces derniers.

Les organismes participants à la conférence ont souligné que la loi offrirait aussi de nouvelles occasions de dialogue avec les parties prenantes. Marylise Léon, Secrétaire nationale CFDT, y voit l’opportunité « d’un débat franc et ancré dans la réalité de ce qu’est effectivement le travail dans l’entreprise, au-delà des règles de prévention et des indicateurs ».

Une loi qui favorisera la compétitivité des entreprises françaises ?

La loi sur le devoir de vigilance n’a pas seulement permis un débat ambitieux sur les risques liés à la chaîne de valeur des entreprises multinationales ; elle donne une occasion à la France de s’illustrer, en se distanciant du monde anglophone au profit d’une mise en œuvre opérationnelle des principes internationaux.

Stéphane Brabant, avocat chez Herbert Smith Freehills, juge le texte précurseur, en ce qu’il « créé une dynamique de mise en œuvre et non plus seulement de déclaration ». Aujourd’hui, seulement 10 % des entreprises britanniques concernées par le Modern Slavery Act font leur reporting. La loi française a une vertu certaine : elle encouragera les entreprises à une réelle démarche de prévention en les incitant à avoir un plan, à le mettre en œuvre et à le publier afin qu’il soit connu de la société civile.

Les observateurs reconnaissent ainsi que la loi ne fera que donner plus de force aux principes internationaux portés par l’OCDE et les Nations Unies. Éric David, président du Point de contact national français (PCN) pour la mise en œuvre des Principes directeurs de l’OCDE, perçoit une « assez grande convergence de fond et une complémentarité » entre ces principes et la loi sur le devoir de vigilance. Si les principes directeurs relèvent de la soft law, la loi contribuera à leur respect en judiciarisant la notion de diligence raisonnable et en structurant la démarche en cinq points concrets.

Dominique Potier est convaincu qu’il s’agit là d’un facteur de compétitivité : « C’est une loi qui aujourd’hui fait école dans le monde et qui va prospérer ». En permettant aux entreprises françaises d’aller bien au-delà du simple reporting sur les questions de droits humains, le devoir de vigilance est une opportunité inédite de prendre un temps d’avance : « Il faut que les Français en Europe, et les Européens dans le monde, poussent ces idées le plus loin possible et en fassent la nouvelle norme mondiale », déclare le député.

2018 peut s’ouvrir en formulant un vœu : que le débat riche, apaisé et constructif ouvert le 15 décembre se poursuive et s’amplifie ! Les entreprises et leurs parties prenantes pourront ainsi partager leurs interrogations, leurs méthodologies et leurs problématiques, à mesure qu’elles avanceront dans la construction et la maturation de leurs plans de vigilance.

Voir aussi : Devoir de vigilance : quelles conséquences sur la responsabilité des entreprises ?

Crédit photo : production factory sur Shutterstock.

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