144 entreprises à mission sont aujourd’hui concernées par la CSRD. Si c’est loin d’être la majorité des 1600 sociétés à mission recensées en 2024, la réflexion sur la façon dont la mission peut aider les entreprises à mieux prendre en main cette nouvelle réglementation de reporting de durabilité intéresse bien plus largement. La communauté des entreprises à mission a donc lancé un groupe de travail sur le sujet avec 6 sociétés à mission*. Youmatter vous livre les premiers enseignements.
La mission est-elle vue comme un doublon, un frein ou un atout pour la CSRD ? C’est ce qu’a voulu savoir la communauté des entreprises à mission (CEM) en montant un groupe de travail sur la complémentarité entre les deux outils avec 6 sociétés à mission parmi les 144 concernées par la réglementation européenne sur le reporting de durabilité. Si la grande majorité des entreprises à mission sont en effet des PME/TPE et ne sont donc pas tout de suite concernées directement par la directive, celles-ci le seront en réalité très prochainement, par effet cascade sur l’ensemble de la chaîne de valeur des grands groupes. Les résultats ont été présentés lors du Congrès de la CEM, le 16 mai.
Bonne nouvelle, la mission est vue comme une aide pour faire de la CSRD une vraie opportunité de transformation durable de l’entreprise. Volontaire, la définition d’une mission pose la question de l’utilité, du sens de l’entreprise, quand la CSRD est un exercice règlementaire de transparence sur la stratégie de durabilité de l’entreprise. En ce sens, « la mission est une boussole, une grille de lecture qui infuse clairement la stratégie et les opérations de l’entreprise, en verticalité, tout en créant un élan collectif . Quand une société à mission aborde la CSRD, elle le fait donc avec ce prisme là, ce qui donne du sens à l’exercice », précise Anne-France Bonnet, secrétaire générale de la communauté des entreprises à mission.
Un vrai atout puisque « la CSRD a besoin d’une intentionnalité forte, pour donner une colonne vertébrale à cette collecte d’information et embarquer les parties prenantes – au moins les salariés », note de son côté le cabinet Prophil dans son étude « Raison d’être et CSRD : un nouveau regard des investisseurs sur la gouvernance ».
Pour approfondir : notre dossier CSRD
La mission comme boussole du reporting
« Le fait de passer société à mission il y a deux ans nous a vraiment permis d’intégrer la culture de l’impact et d’innover, en intégrant nos parties prenantes de manière très importante. Cela nous avait permis de dessiner une feuille de route ambitieuse avec une transformation de nos process, le développement de nos offres. Beaucoup d’éléments et de données demandés par la CSRD étaient déjà là », complète Adrienne Horel-Pages, directrice de l’engagement de La Banque Postale (dont Youmatter est une filiale) et membre du groupe de travail CSRD et mission.
Mais alors que la mission est singulière à l’entreprise, l’approche normée de la CSRD a permis d’aller plus loin, estime-t-elle. Ainsi, « dans la mission, nous avions une stratégie climat très forte mais on avait laissé de côté la biodiversité. En reprenant de manière beaucoup plus systématique tout ce qui est au cœur de la stratégie et tout ce qui est doublement matériel pour une entreprise, la CSRD nous a permis de réintégrer cette dimension en enclenchant des travaux sur la mesure de notre empreinte biodiversité », explique Adrienne Horel-Pages.
Par ailleurs, la gouvernance innovante de l’entreprise à mission, avec son comité de mission notamment, peut être un vrai plus quand la CSRD ne dit rien de l’organisation qui doit être mise en place tout en demandant une collaboration renforcée en interne comme dans l’écosystème de l’entreprise. « Nous nous sommes posés énormément de questions sur le rôle du comité de mission dans la CSRD », précise ainsi Adrienne Horel Pages. « L’intérêt du comité de mission, c’est finalement d’institutionnaliser un dialogue avec les parties prenantes. Le nôtre est très pluriel. Nous l’avons donc utilisé pour challenger la méthodologie sur la double matérialité. Aujourd’hui nous l’avons embarqué dans le plan de transition et sur nos leviers de décarbonation ». Une démarche qui n’est pas encore courante, précise cependant Anne-France Bonnet.
CSRD et mission complémentaires pour assurer une transformation durable et une performance globale
Autre atout de la mission, la visée d’une performance globale qui « progresse de façon très rapide dans les sociétés à mission en intégrant les objectifs de mission dans la stratégie financière de l’entreprise », souligne Anne-France Bonnet. La CSRD renforce cet état de fait en impliquant encore la finance dans le reporting ESG. « Aujourd’hui, 12 de nos indicateurs de mission sur 14 sont des indicateurs de transformation. Avec la CSRD, où l’on va sans doute reporter sur près de 800 data points, la stratégie de la société à mission va clairement nous aider à les prioriser. Et l’on va aller beaucoup plus sur des KPIs d’impact et passer d’une logique plutôt de moyens à une logique de résultats. On essaye notamment d’introduire le fait que dans les ressources rares de la banque (qui jusqu’à présent se limitait au capital), on doit intégrer le budget carbone. C’est une acculturation qui met du temps et que la CSRD accélère très clairement », assure Adrienne Horel-Pages.
Enfin, la mission renforce la détermination de l’entreprise sur la transformation et les décisions parfois complexes à prendre comme celles des renoncements à des clients, des offres ou la création de nouveaux produits et services. « Et c’est cela qui va faire la différence dans les entreprises qui vont véritablement se transformer ou celles qui vont peut-être se contenter in fine de faire un reporting », estime Anne-France Bonnet. Pour La Banque Postale, outre le renoncement au financement des énergies fossiles, ces outils ont ainsi permis de créer de nouvelles offres et une stratégie d’impact. « La prise en compte de la mission et de la CSRD transforme le rôle de banquier qui retrouve son rôle initial de conseiller », estime Adrienne Horel-Pages. Le comité de mission a permis de développer un crédit immobilier qui permet à l’emprunteur de bénéficier d’une tarification bonifiée en fonction d’un score d’impact basé sur des critères environnementaux et sociaux. Et les analystes vont regarder de près la CSRD et les plans de transition climatique dans les prochains financements.
Alors la mission et la CSRD, deux outils gagnants pour une transformation durable ? Si la qualité de société à mission ou la raison d’être donne un cap qui peut guider le reporting, elle laisse aussi une large marge de manœuvre organisationnelle qui peut parfois glisser vers le flou. La CSRD va alors apporter une rigueur et une normalisation qui peut renforcer la mission. Il en ressort des outils complémentaires qu’il reste cependant à éprouver et à renforcer par la pratique…
*Les 6 sociétés à mission du groupe de travail sont La Banque Postale, Candor, Clariane, KPMG, Groupe Rocher et Maif
Pour retrouver l’ensemble des enseignements du groupe de travail, visionnez le replay de la conférence Mission et CSRD au Congrès des entreprises à mission (16 mai 2024) avec Anne-France Bonnet et Adrienne Horel-Pages.
Illustration : Tara Winstead / Pexels