Lors d’une commission d’enquête sénatoriale sur TotalEnergies, les rapporteurs ont proposé que l’Etat prenne une « action spécifique » dans la compagnie pétrolière, de manière à réaffirmer le rôle stratégique de l’Etat dans la transition énergétique. Comment fonctionne cette démarche et à quoi sert-elle ?
Une « action spécifique » ou « golden share » est une participation ciblée de l’Etat dans une entreprise privée. Elle permet, moyennant l’achat d’une action, d’obtenir certains pouvoirs, décorrélés de son poids au capital. Par exemple, cela permet à l’Etat de « conserver un droit de regard et de veto », de nommer un représentant au conseil d’administration mais sans voix délibérative ou encore de soumettre à un agrément préalable du ministre chargé de l’économie de tout franchissement de seuil de participation. Ce mécanisme n’est pas seulement franco français. Il existe également au Royaume Uni, en Belgique ou en Allemagne.
Le processus est simple : il suffit à l’Etat de posséder une action de l’entreprise mais dans des conditions très précises qui ont été définies en 1986 notamment pour des secteurs stratégiques, comme la défense. La loi Pacte de 2019 a permis de sortir du champ des seules entreprises publiques et les prises de participations s’effectuent désormais à travers de nouveaux acteurs tels que Bpifrance. Elle a aussi étendu les droits attachés aux actions en donnant par exemple le pouvoir de s’opposer à des cessions d’actifs.
C’est notamment ce qu’a fait l’Etat avec Thalès, Engie, Safran Ceramics, Nexter Systems et Aubert & Duval SAS. Dans le cadre d’une commission d’enquête sur les obligations climatiques de TotalEnergies et des orientations de politique étrangère de la France (juin 2024), des sénateurs préconisent que l’Etat réitère cette démarche auprès de la compagnie pétrolière.
Quels bénéfices d’une action spécifique dans le cas de TotalEnergies ?
Alors que l’actionnariat du groupe est aujourd’hui à 40% américain (en hausse de 13 points par rapport à 2010 quand la part des Français a baissé de 7 points), son PDG, Patrick Pouyanné, a évoqué en mars 2024, la possibilité de transférer la cotation principale de TotalEnergies à la bourse de New York. Une décision « technique », selon le dirigeant mais qui ne plaît pas du tout aux dirigeants politiques français dont le Président de la République. Une action spécifique permettrait ainsi à l’Etat de pouvoir s’opposer à une telle décision.
Par ailleurs, cette technique permettrait d’avoir un droit de regard, sans pour autant pouvoir peser toutefois, sur la stratégie climatique de la compagnie. En effet, à ce jour TotalEnergies n’est « pas sur la bonne trajectoire climatique » puisqu’il « prévoit d’augmenter sa production de pétrole et de gaz de 2 à 3% jusqu’à la fin de la décennie », souligne Yannick Jadot, rapporteur (EELV) de la commission d’enquête. Un constat partagé par l’ensemble des scientifiques auditionnés, dont des spécialistes reconnus du changement climatique comme Valérie Masson-Delmotte, précise-t-il. Avec l’action spécifique, l’objectif affiché par le Sénat est donc de « créer les conditions d’une transition rapide, ordonnée et efficace »...sans être trop intrusif.
Cette solution a aussi le grand avantage d’être économique puisqu’il suffit d’acheter une action (de l’ordre de 70€ dans le cas TotalEnergies) par rapport à une prise de participation de l’ordre de 5% au capital (de l’ordre de 7 milliards €), souligne le président de la commission Roger Karoutchi lors de la conférence de presse de remise du rapport de la commission sénatoriale.
Selon le rapport, « le recours à une action spécifique au capital du groupe TotalEnergies permettrait donc à l’État, sans empiéter sur les prérogatives du conseil d’administration, de disposer d’un droit de regard sur les évolutions actionnariales du groupe et d’une plus grande information, voire une plus grande influence, en ce qui concerne les décisions stratégiques de son conseil d’administration ». Reste à voir si cette recommandation sera appliquée dans le chaos politique actuel.