L’enthousiasme de 2022 et 2023 sur l’écologie a pris l’eau et l’heure est au pragmatisme. Si les questions de durabilité restent bien une préoccupation des dirigeants, notamment au regard des risques que le changement climatique fait peser sur l’économie, celles-ci sont cependant supplantées par l’intelligence artificielle, l’inflation ou encore l’instabilité géopolitique, souligne une enquête de Bain & Company.
L’écologie comme priorité stratégique, c’était la tendance dans les déclarations des PDG en 2022. A l’époque, les questions de durabilité, boostées par la crise du Covid ainsi qu’une prise de conscience de l’ampleur des conséquences du changement climatique et de l’effondrement de la biodiversité, semblaient avoir convaincu une partie des dirigeants de mettre la RSE dans leur top priorité. Du moins dans les discours. Las. Deux ans plus tard, l’heure n’est plus à la fête pour la planète. Les questions de durabilité ont chuté dans les préoccupations des dirigeants selon une étude de Bain & Company auprès de 1500 PDG mondiaux. En tête de leurs priorités désormais : l’inflation, l’IA, la croissance ou l’incertitude géopolitique.
Source : The Visionary CEO’s Guide to Sustainability 2024, Bain & Company
« Dans le creux de la désillusion »
« 2023 a été l’année où l’excitation débordante a cédé la place à un réalisme pragmatique », souligne ainsi Jean-Charles van den Branden, responsable de la pratique mondiale de Bain & Company en matière de développement durable, dans un rapport. Pour les auteurs du rapport, nous sommes dans l’étape, malheureusement classique dans les cycles de transformation, celui du « creux de la désillusion ». « Lorsque les attentes démesurées ne sont pas rapidement satisfaites ou que les gouvernements se retirent prématurément, il y a une prise de conscience que la transformation ne sera pas aussi rapide ou aussi facile que prévu. À ce stade, il est courant que les parties prenantes repensent leur approche », analyse le cabinet.
Source : The Visionary CEO’s Guide to Sustainability 2024, Bain & Company
C’est par exemple ce qui s’est passé en Allemagne où les subventions directes à l’achat de véhicules électriques (VE) ont été considérablement réduites au début de l’année 2023, puis totalement supprimées à la fin de l’année. Et ce alors que le coût de la technologie n’atteignait pas le point où le marché serait autosuffisant. Les ventes de VE ont alors rapidement chuté, entraînant des difficultés chez certains constructeurs comme Volkswagen. C’est notamment ce qui peut expliquer la fronde d’une partie du secteur qui se mobilise au niveau européen pour tenter d’assouplir la trajectoire réglementaire qui doit interdire la vente de véhicules neufs thermiques dans l’Union en 2035.
Un repli qui démontre une vision court-termiste
Mais ce repli est une vision de court terme. De fait, la question de l’alignement des entreprises sur le respect des limites planétaires n’est pas une option. C’est un impératif en termes de responsabilité sociétale mais aussi une stratégie payante à moyen terme d’un point de vue économique, si ce n’est tout simplement de survie.
Ainsi des recherches indépendantes reprises par le Fonds monétaire international montrent que le coût du capital pourrait augmenter de plus de 1 % dans le cas d’un réchauffement de 2 degrés. À elle seule, cette hausse pourrait réduire de 6 000 milliards de dollars la valeur de l’indice S&P 500, qui recense les 500 plus grosses capitalisations boursières américaines.
Plus globalement, des études récentes montrent que le coût économique du changement climatique pourrait être largement sous-estimé. Des économistes de Harvard et Northwestern estiment qu’un degré de réchauffement climatique aura un impact de 12 % sur le PIB mondial, au bout de six ans seulement. C’est six fois plus que les analyses précédentes. L’étude du National Bureau of Economic Research (NBER) est en cours d’évaluation scientifique mais elle est déjà considérée comme majeure. Elle montre en effet qu’un réchauffement de 2°C conduirait tout simplement à un effondrement économique (-50% d’ici 2100). Et que l’on en voit déjà les conséquences. Car sans le réchauffement de 0,75 °C constaté entre 1960 et 2019 le PIB mondial serait plus élevé de 37 %, avancent-ils.
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Des efforts à accélérer et à intensifier
Au lieu de baisser les bras ou d’entamer des reculades, les entreprises devraient au contraire accélérer et intensifier leurs efforts tant elles ont du mal à respecter leurs engagements sur les sujets environnementaux. Ainsi, parmi les entreprises qui communiquent leurs KPI carbone dans les questionnaires du CDP (une association d’investisseurs travaillant sur la transparence environnementale des multinationales), 30 % sont loin d’avoir atteint leurs objectifs de réduction des émissions sur leur périmètre direct (scope 1 et 2) et près de la moitié sont en retard sur le périmètre de leur supply chain (scope 3).
Pire, « de nombreuses entreprises réévaluent, ajustent et, dans certains cas, reviennent sur leurs engagements en matière de climat. D’autres sont tout simplement à côté de la plaque », notent les consultants de Bain & Company. Pour preuve, près d’un tiers des entreprises participant à la campagne « Business Ambition for 1.5C » de l’initiative Science Based Targets ont été retirées pour non-conformité en mars 2024…
La biodiversité est encore moins bien lotie. Seulement 5 % des entreprises ont réalisé une évaluation de l’impact de leurs activités sur la nature et moins de 1 % des entreprises ont procédé à une évaluation de leur dépendance à l’égard de la nature, selon une étude de World Benchmarking Alliance.
Pour redresser la barre, Bain & Company recommande de se focaliser sur les enjeux matériels de l’entreprise. Des priorités qui peuvent être mieux identifiées grâce à la réglementation européenne sur le reporting de durabilité (CSRD) notamment.
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