Alors que l’électrification des véhicules, les énergies renouvelables et la numérisation sont poussées pour assurer la transition écologique, l’extraction de minerais comme le lithium devient essentielle pour alimenter la croissance de la demande. Mais à quel prix pour les populations du Sud Global ? Des populations autochtones voient leur mode de vie, voire leur survie, menacés par l’implantation ou l’extension de sites qui empiètent et détruisent leur territoire. Fin septembre, des activistes sud-américains, qui luttent contre les projets miniers étaient à Paris, au CCFD-Terre solidaire, dans le cadre d’une « caravane » européenne destinés à nous alerter sur les dangers d’une course à l’extraction. Témoignages.
Décarboner nos industries, nos modes de vie occidentaux et réduire drastiquement nos émissions de gaz à effet de serre, ce n’est pas une option. Mais cela ne doit pas se faire dans n’importe quelles conditions sociales. Pourtant, en Bolivie, au Pérou, au Brésil et ailleurs, l’extraction des minerais que l’on utilise pour les batteries de nos véhicules électriques, de nos téléphones portables ou des éoliennes affecte dangereusement la vie des populations autochtones. Rien qu’en 2023, 276 cas d’invasions, d’exploitation illégale de ressources naturelles et de dommages matériels divers ont été enregistrés dans au moins 202 territoires autochtones de 22 États brésiliens, rapporte ainsi une étude du CIMI (Conseil missionnaire pour les peuples autochtones).
Les populations et territoires autochtones menacés par l’activité minière
Au Brésil, dans la région du Minas Gerais, les discours sur une « industrialisation verte » nourrie par la « vallée du lithium » ont un goût amer. Dans le plus grand biome du pays, les rivières sont polluées par l’activité minière. « Nous sommes obligés d’être livrés en eau potable car l’eau de notre territoire est désormais impropre. Et nous n’en avons quasiment plus. Alors que nous connaissons une sécheresse depuis 8 mois, l’eau est pompée par une société minière qui consomme 108 millions de litres d’eau par mois. C’est l’équivalent de l’approvisionnement de milliers de familles », raconte Ytaxaha Braz Pankararu, dont le village est situé à 8 kilomètres de la mine. « Il faut ajouter à cela des explosions et un bruit incessant provoqué par l’exploitation de la mine », précise-t-elle. « Quel est le coût de cette politique de développement ? Pour nous c’est une violation de nos corps, de notre autonomie, de notre avenir », alerte-t-elle.
A des milliers de kilomètres de là, au Pérou, c’est le même schéma qui est reproduit en territoire Quechua. Vito Caldéron explique que sur les 13 fleuves qui arrivent au lac Titicaca, 9 sont désormais pollués par l’industrie minière, l’une des plus importantes économiquement parlant, du pays. « Sur le million d’habitants de la région, 58% sont exposés à des métaux lourds dès leur plus jeune âge : on a retrouvé des métaux lourds dans les urines d’enfants de 3 à 5 ans », rapporte-t-il. Et l’activiste craint un « désastre environnemental » dans les prochaines années. Car le fragile écosystème de la région est menacé. Depuis 2017, un gisement important de lithium et d’uranium découvert dans la région andine de Puno, à côté de la Bolivie, par Macusani Yellowcake, une filiale d’une entreprise canadienne, suscite les convoitises. Il menace pourtant le Quelccaya, le plus grand glacier tropical du monde, considéré comme un « thermomètre mondial du réchauffement de la planète », et les sources des bassins de l’Inambari, de l’Urubamba et de l’Azángaro, ce qui menacerait le droit à l’eau des populations.
Dans le rapport « Le visage du lithium et de l’uranium à Puno : la culture, la santé, les droits des communautés et l’environnement en danger » publié en 2023, les ONG EarthRights International (ERI) et Human Rights and Environment (DHUMA) alertent sur les risques multiples de ces projets pesant sur les communautés autochtones. D’un point de vue sanitaire, d’abord, celles-ci sont menacées par une exposition à des niveaux élevés de radioactivité. Des menaces culturelles ensuite puisque les nouveaux projets mettent en péril une vaste zone où l’on trouve des peintures rupestres et la préservation du site archéologique de Corani et Macusani, déclaré patrimoine culturel de la nation en 2005.
Le droit des populations autochtones bafoué
A chaque fois, les populations rapportent pourtant un manque criant de consultation. Au Nord du Brésil, dans l’Etat du Maranhão, les chemins de fer se multiplient au fur et à mesure de l’industrialisation de la région sans pour autant que les populations autochtones et quilombolas impactées ne soient associées aux projets. « C’est le troisième projet de chemin de fer en 10 ans qui passe sur notre territoire, cela se traduit très concrètement par de la déforestation et la perte de nos terres pour cultiver et chasser. 89% de notre territoire sera bientôt occupé. Nous on s’en fiche d’être riches, ce que l’on veut, c’est garder nos forêts. Les terres autochtones sont les seules ou presque où il reste de la forêt désormais. Mais tout le monde s’en fout », rapporte Railson Guajajara, le leader de la terre indigène Caru dans la région du Maranhão.
De fait, beaucoup de territoires autochtones ne sont toujours pas reconnus comme tels au Brésil. « Cela les rend invisibles en termes de droit, de politique publique ou de justice », comme le respect de la convention 169 de l’Organisation internationale du travail (OIT) sur la consultation des peuples autochtones, explique Christian Crevel de la CIMI.
Les manifestations sont de plus en plus réprimées et désamorcées. Lors d’une action contre l’entreprise minière Vale pour qui les chemins de fer sont construits, « des ordres d’expulsions ont été envoyés avant même que l’on arrive sur place« , souligne Railson Guajajara. « Sous la présidence de Jair Bolsonaro, j’ai été emprisonné pour avoir lutté contre l’exploitation aurifère. D’autres sont morts, assassinés, pour avoir lutté pour leur terre », témoigne-t-il. Au Brésil comme ailleurs en Amérique latine, il ne fait pas bon être un activiste environnemental. Les meurtres se multiplient à leur encontre comme le montre les rapports de l’ONG Global Witness. Et quand cela ne va pas jusque là, « on est menacés, décrédibilisés, invisibilisés. On nous traite de menteurs mais ce sont les discours de RSE et de compensation qui sont des mensonges », assure Ytaxaha Braz Pankararu.
Alors quand les entreprises, les gouvernements ou Bruxelles leur parle de « transition énergétique » ou « d’industrie verte et responsable », les activistes rient jaune. « Nos territoires du Sud sont juste exploités pour assurer des ressources naturelles à grande échelle pour votre transition au Nord. Cela n’a pas de sens. Ce n’est ni soutenable ni durable, je vous l’assure », clame Vito Caldéron .
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