Quel est le lien entre la prochaine COP sur la biodiversité et les entreprises ? La prochaine Conférence des parties à la Convention des Nations Unies sur la diversité biologique (COP16) se tiendra du 21 octobre au 1er novembre 2024 à Cali. Deux ans après l’adoption du cadre de référence de Kunming-Montréal, les Etats doivent y rendre compte de leurs stratégies nationales pour atteindre les 23 cibles. Mais les entreprises sont aussi concernées notamment via des procédures de reporting et des réglementations qui découlent ou complètent cet accord international. Explications à travers trois grandes questions. 

Quels sont les grands enjeux de la COP16 ?

En 2022, la COP15 de Kunming Montréal avait conduit à l’adoption de l’accord de Kunming-Montréal, l’équivalent de l’accord de Paris pour la biodiversité. La COP16 est donc davantage une COP technique, mais pas pour autant sans enjeux. Le point sur les principaux sujets. 

En savoir + : Que retenir de l’accord de Kunming Montréal ? 

Le suivi et la redevabilité des Etats sur leurs actions biodiversité

La COP15  a instauré un mécanisme de suivi de la mise en œuvre du cadre de Kunming-Montréal par les Etats. A l’image de celui mis en place par l’accord de Paris sur le climat, les Etats doivent produire des stratégies nationales sur la biodiversité et à défaut présenter au moins des cibles pour montrer comment ils vont tenter d’aligner leurs politiques sur les 23 objectifs de l’accord. La COP16 doit être l’occasion de faire un premier bilan de ces stratégies. 

Seulement, on en compte pour l’instant moins d’une trentaine, dont 8 venant de l’Union européenne (y compris la France). 83 pays ont cependant établi des cibles, une sorte d’étape intermédiaire dont il faudra toutefois analyser la qualité. Lors de la COP16, l’un des enjeux sera donc de finaliser le cadre de suivi, avec l’objectif de créer l’équivalent du Global Stocktake pour le climat. L’IDDRI plaide notamment pour que ce rapport ne soit pas seulement un état des lieux dressé à partir des seules données des Etats mais qu’il compte également sur les apports de la société civile, des scientifiques de l’IPBES ou du GIEC ou encore des entreprises privées. Pour être vraiment efficace, il devrait aussi proposer des leviers de transformation, souligne Juliette Landry, chercheuse sur la gouvernance internationale de la biodiversité à l’IDDRI. Selon le Cirad, l’organisme français de recherche agronomique et de coopération internationale pour le développement durable, la façon dont les acteurs non-étatiques (entreprises, ONG…) valoriseront leurs actions sera également discutée.

Le financement, notamment privé, et le juste partage des ressources

Comme pour le climat, la question des financements est à la fois un sujet clé et un point bloquant des négociations. En 2022, l’accord de Kunming-Montréal avait failli achopper sur la création d’un fonds dédié, demandé par les pays en développement. C’est finalement un compromis qui a été trouvé à l’initiative de la Colombie, en mettant en place une enveloppe spécifique dans le Fonds pour l’environnement mondial (FEM). Seulement, celui-ci a du mal à faire le plein. Sur 400 millions de dollars de promesses, seules 200 ont été réellement abondés et la solution ne satisfait pas pleinement les pays en développement qui n’ont pas abandonné l’idée d’un fonds indépendant permettant une meilleure visibilité et traçabilité des flux Nord-Sud. 

La focalisation sur le fonds occulte toutefois d’autres pistes intéressantes souligne l’IDDRI. Par exemple, la réduction des subventions néfastes à la biodiversité – 2 680 milliards de dollars pour la seule année 2023 selon Earth Track– est la cible (numéro 18) « où il y a le moins d’actions proposées par les Etats alors que c’est celle où il y a a le moins d’alignement », souligne Juliette Landry. C’est aussi un point plus que crispant pour de nombreux Etats car cela touche à l’industrie (agricole, automobile, énergétique..) et l’emploi…

Se pose aussi la question de la place des fonds privés alors que les Etats font face à des dettes publiques de plus en plus importantes et rechignent à mettre au pot – à hauteur des besoins réels*- pour les questions d’environnement. Une manne pourra ainsi provenir de la contribution des entreprises utilisant l’information de séquençage numérique des ressources génétiques. Alors que jusqu’à présent les entreprises cosmétiques, pharmaceutiques et autres allaient chercher des ressources physiques (souvent) dans les pays en développement, la numérisation permet aujourd’hui de s’en passer. Mais il faut aujourd’hui un nouveau mécanisme (contraint ou volontaire) pour assurer le juste partage des ressources. Une étude a ainsi chiffré que si on taxait 0,1% des bénéfices issus de l’utilisation de ces ressources, cela pourrait rapporter 1 milliard de dollars. « Ce sont des ordres de grandeur qui peuvent être intéressants pour le financement de la biodiversité », selon Juliette Landry. 

Enfin, la question des crédits biodiversité sera également sur la table. C’est l’un des mandats de la ministre de la Transition écologique, Agnès Pannier Runacher. Pour le ministère, il ne s’agit pas de « marchandiser la nature » mais de « n’exclure aucune source de financement » en allant chercher des mécanismes de marché et donc là encore des fonds privés.

La place des populations autochtones dans la préservation de la biodiversité

« Peace with nature« : c’est le thème de cette COP porté haut et fort par la Colombie, très enthousiaste sur cette COP. Avec celui-ci, le pays hôte veut placer la transition juste au cœur des négociations sur la biodiversité. D’abord par le juste partage des ressources financières, du renforcement de capacité et la coopération scientifique. Mais aussi par la reconnaissance de l’importance des populations autochtones dans la préservation de cette nature. « Les pays latino américains se saisissent de la COP16 pour mettre en avant les questions de transition juste liée à la biodiversité pour les populations dépendantes des écosystèmes, autochtones et vulnérables », souligne Sébastien Treyer, directeur général de l’IDDRI. 

Lors de la COP16, ceux-ci devraient ainsi valoriser les projets montrant que les territoires à haute valeur de biodiversité gérés par les communautés autochtones valent la peine d’être financés, notamment par les fonds privés. La Colombie va par exemple mettre en avant le pacte signé avec la guérilla qui se base notamment sur la protection de la nature mais plus largement sur les Objectifs de développement durable (ODD) avec une approche intégrée environnement-social-économie-paix. Alors que la Colombie est un pays riche en biodiversité, peuplé de nombreuses communautés autochtones et ambitieux sur la protection de la nature, « le pays veillera particulièrement à ce que l’objectif d’inclusion des communautés se décline en actions concrètes », précise Philippe Vaast, directeur régional du Cirad pour la Zone Andine et l’Amérique Centrale sur le site de l’organisme de recherche.

On devrait aussi y entendre parler de bioéconomie. Ce concept, créé en 1935 par 1925 par le biologiste russe T.I. Baranoff, est porté par la présidence brésilienne du G20 (2024) afin de placer l’économie de la nature au centre de l’architecture financière et économique. En septembre, un groupe de travail a publié 10 principes volontaires de haut niveau pour la bioéconomie. Et lors de la COP16 le réseau latino-américain de bioéconomie lancera les principes directeurs pour la mise en œuvre de ce type de stratégie.

Les entreprises sont-elles concernées par la COP16 sur la biodiversité ? 

Oui car si l’accord s’adresse bien aux Etats en premier lieu, la cible 15 de l’accord de Kunming Montréal vise in fine les entreprises. Les Etats vont ainsi devoir « prendre des mesures juridiques, administratives ou de politique générale visant à inciter les entreprises à agir et à leur donner les moyens de le faire ». Notamment en créant un cadre de reporting pour les grandes entreprises, les multinationales et les institutions financières, qui devront ainsi « contrôler, évaluer et communiquer régulièrement et de manière transparente leurs risques, dépendances et incidences sur la biodiversité »

La cible 15 vise aussi à pousser les entreprises à « informer les consommateurs en vue de promouvoir des modes de consommation durables » et partager les mesures mises en place sur leurs actions le partage des ressources et de réduction des impacts sur la biodiversité, le cas échéant tout en essayant « d’accroître les incidences positives ». Cette cible va être déclinée par les Etats dans leur stratégie nationale, qui est une sorte de feuille de route pour l’atteinte des objectifs de Kunming Montréal. Si ce sont bien les grandes entreprises qui sont visées, « l’ensemble des entreprises doivent regarder cela car elles seront impactées via la chaine de valeur » souligne Bertrand Galtier, vice président du Conseil national de la biodiversité

Remobiliser les entreprises sur la biodiversité

L’objectif pour cette COP16 est d’essayer de raviver la flamme de la COP15 chez les entreprises. En 2022, les entreprises s’étaient particulièrement mobilisées (même si pas toujours en faveur de la biodiversité) pour peser sur l’accord. Deux ans plus tard, le contexte économique et social semble toutefois avoir amoindri l’enthousiasme. « La parenthèse enchantée de la COP15 n’est plus à l’ordre du jour », confirme ainsi Helène Valade, directrice développement durable de LVMH lors d’un événement Orée.

Pour autant, les entreprises ne sont pas absentes de la COP16 et beaucoup ont compris l’importance de l’enjeu depuis quelques années. « Il y a beaucoup de side events prévus autour de l’événement », assure Bertrand Galtier à des PME réunies à la CPME pour partager des bonnes pratiques autour de la biodiversité. Au niveau international, plus de 200 entreprises – dont 16 françaises- ont signé une déclaration de Business for nature pour appeler les gouvernement à des actions ambitieuses sur la préservation de la biodiversité et plus d’une cinquantaine d’ONG et de coalitions professionnelles ont lancé un call to action au secteur privé pour transformer les secteurs d’activité clés pour la biodiversité. Les entreprises devraient notamment être attentives à la définition des indicateurs de reporting qui devrait être discutée lors de ces négociations. 

Quelles réglementations sur la biodiversité visent les entreprises ?

Plusieurs réglementations découlent des négociations internationales sur la biodiversité et ou la complètent. Le point sur les plus importantes.

La CSRD ou le reporting européen de durabilité

Le reporting de durabilité européen fixe des méthodologies de rapportage harmonisées sur les questions de climat, de diversité, de conditions de travail mais aussi de biodiversité. Celles-ci sont régies par les ESRS E4  consacrés à la biodiversité et aux écosystèmes et ESRS E3 dédiés à l’eau et aux ressources marines. Les entreprises directement concernées (grandes entreprises et entreprises cotés) vont ainsi devoir analyser et publier les facteurs d’impact direct de leurs activités sur la perte de biodiversité, les impacts sur l’état des espèces, les impacts sur la préservation des écosystèmes et les impacts des dépendances sur / aux services éco-systémiques. L’analyse de double matérialité « implique également de prendre en considération à la fois l’impact sur la biodiversité de l’entreprise et les risques que les transformations de la biodiversité font peser sur l’entreprise, par exemple son approvisionnement », souligne Corinne Lepage.

Les premiers rapports sont attendus pour 2025 et in fine une grande partie des entreprises sont concernées car cette réglementation concerne l’ensemble de la chaîne de valeur et donc notamment les PME sous-traitantes et fournisseurs des grands donneurs d’ordres.  

La SFDR (Sustainibility Finance Disclosure Regulation) demande aussi ce type de reporting aux institutions financières. 

La CS3D ou le devoir de vigilance européen

La loi française sur le devoir de vigilance déjà en application pour les plus grandes entreprises et celle à venir au niveau européen concernent aussi la biodiversité. Les entreprises concernées ont l’obligation de prévenir, de mettre un terme et d’atténuer les effets négatifs de leurs impacts, via notamment un plan de vigilance. Des entreprises ont déjà été attaquées sur ce point comme Casino, au regard de son manque de vigilance sur les pratiques de déforestation de certains de ses fournisseurs au Brésil. 

La stratégie nationale biodiversité

Les entreprises sont spécifiquement visées par la mesure 31 de la stratégie nationale biodiversité adoptée en 2023 par la France. Cet objectif demande à l’Etat d’accompagner les entreprises « dans la mise en œuvre de façon optimale de leurs obligations de transparence et reporting (CSRD, article 29 de la loi énergie et climat) ; mais aussi d’accompagner les plus petites entreprises, non-soumises à ces obligations, pour une meilleure connaissance de leurs impacts et dépendances vis-à-vis de la biodiversité ». 

La réglementation européenne sur la déforestation importée 

Adoptée en mai 2023, cette réglementation devrait entrer en application à la fin de cette année 2024 mais face à la pression d’États, de fédérations professionnelles et d’entreprises, la Commission européenne a proposé de la retarder d’un an. Mais que ce soit en 2025 ou 2026, son objectif reste le même : celui d’obliger les entreprises à mettre en place un système de diligence raisonnée sur 6 produits (dans un premier temps) connus pour être liés à la déforestation comme l’huile de palme, le soja, le café, le cacao, le bois, les bovins et le caoutchouc. Dans un rapport sur le degré de maturité des entreprises au regard de cette réglementation, l’association Canopée estime que « Si celle-ci est correctement appliquée, elle pourrait mener à une baisse de la déforestation globale de 10% ». Et dans le cas où elle ferait des émules elle pourrait même « à terme, éradiquer la déforestation de l’ensemble des chaînes d’approvisionnement »

Eviter, reduire, compenser (ERC) : une séquence obligatoire pour toutes les entreprises pour protéger la biodiversité

Par ailleurs, depuis des années en France, « la réalisation des projets, la destruction d’espèces ou d’habitats protégés n’est pas possible sauf dérogation et en toute hypothèse toucher à la biodiversité implique de passer par la séquence dite ERC, éviter réduire compenser », rappelle l’avocate Corinne Lepage dans un article sur les obligations des entreprises liées à la biodiversité. 

Quels outils pour aider les entreprises dans leur démarche biodiversité ? 
Plusieurs outils ont été développés par Bpifrance (diagnostics), l’Ademe (Act Biodiversité est en cours) ou encore l’Office Français pour la biodiversité (OFB). Ceux-ci permettent de faciliter le calcul et l’action des entreprises en fonction de leur taille et secteur sur les dépendances, les pressions et les impacts sur la biodiversité selon des indicateurs robustes et scientifiquement fondés.
Une nouvelle plateforme « Entreprises et biodiversité », réalisée par Orée et l’OFB, permet de les recenser et d’accompagner – gratuitement- les entreprises dans leur démarche. La plateforme permet de s’évaluer et de trouver les outils adaptés par secteurs d’activité, par objectifs et périmètre d’action; de se mettre en relation avec d’autres acteurs; mais aussi de consulter toutes les ressources de références. Celle-ci est validée par 24 partenaires et experts (OFB, Comité français de l’UICN, WWF France, LPO, Comité national biodiversité, Museum national d’Histoire naturelle) ainsi que des réseaux d’entreprises (C3D, Pacte mondial réseau mondial France…).
Le programme Entreprises engagées pour la nature de l’OFB vise de son côté au moins 5 000 entreprises engagées d’ici 2030. On en compte aujourd’hui 308.

Illustration : ONU

*Selon l’OCDE, les financements de la biodiversité dans les pays en développement ont atteint 15,4 Md$ en 2022 sur les 20 Md$ prévu par l’accord de Kunming en 2025. Mais les besoins se chiffreraient en réalité à plus de 100 Md$ par an. Sur la totalité des besoins, la Banque Mondiale parle plutôt de 600 à plus de 800 milliards par an.