A l’occasion de la COP16 qui se tiendra à Cali pour deux semaines à partir de ce 21 octobre, on fait le point sur les grandes étapes indispensables  à la mise en œuvre d’une stratégie biodiversité efficace pour votre entreprise, exemples à l’appui. 

Sensibiliser / former à la biodiversité et établir une gouvernance dédiée

C’est l’étape préalable indispensable pour permettre à tous de bien comprendre les enjeux et ainsi les embarquer dans un plan d’action ambitieux. On travaille donc dans ce sens à la fois en direction des collaborateurs mais aussi de la direction. C’est notamment comme cela qu’a procédé Renault pour engager une démarche biodiversité (renaturation) sur ces différents sites de production. « En mai 2021, nous avons commencé à sensibiliser les collaborateurs qui allaient intervenir sur la biodiversité pour que l’on parle tous le même langage », souligne Elodie Dauchez-Duchemin, manager environnement direction corporate de Renault group lors d’un atelier Ecoact à l’occasion de Produrable. 

Cela n’est pas aisé pour autant, souligne-t-elle : « de prime abord parler de biodiversité dans le monde industriel peut apparaître comme en décalage pour certains. Et pour convaincre et avoir les budgets, il a fallu faire preuve de beaucoup de pédagogie. Le soutien de notre direction a, à cet égard, été essentiel », précise-t-elle. Par ailleurs, « sensibiliser ne suffit pas, il faut former les équipes, métiers par métiers », souligne Catherine Guerniou, cheffe de file biodiversité de la CPME et dirigeante de la Fenêtrière.  

Enfin, en parallèle, il est important de monter une gouvernance dédiée. C’est d’ailleurs l’un des quatre piliers mis en avant par la TNFD (Groupe de travail sur la publication d’informations financières relatives à la nature).

Pour aller + loin : voir le MOOC sur l’entreprise à visée régénérative du C3D

Identifier les enjeux matériels, les risques et opportunités 

Ceux qui sont soumis à la CSRD (via l’analyse de double matérialité et les IRO – impacts, risques et opportunités) le savent bien mais concerné ou non par la réglementation, l’analyse des enjeux avec les parties prenantes et des experts comme des écologues est indispensable. Dans un premier temps, cette étape vous servira à définir les enjeux prioritaires puis, quand vous serez plus matures, à localiser les impacts sur vos différents sites en propre ou de votre supply chain (ceux où les impacts sont les plus importants et les hot spots de biodiversité) et ensuite identifier les actions prioritaires à mettre en place. L’analyse des risques & opportunités ainsi que leurs incidences seront précieux pour évaluer les moyens financiers, techniques et humains et ainsi porter un projet bien ficelé qui permettra aux dirigeants de trancher. 

Pour une entreprise qui fabrique des produits utilisant des matières premières multiples et à fort enjeu écologique, cette étape peut aussi être complexe. C’est par exemple le cas de Michelin pour qui les pneus demandent quelque 200 matières premières différentes mais au premier titre desquelles le caoutchouc naturel, qui a un fort risque de provenir de zone de déforestation, par exemple en Amérique du Sud. La question de la traçabilité de l’amont de la chaîne est alors indispensable. Pour cela, l’entreprise s’est par exemple engagée rapidement dans l’initiative de la Task Force on Nature-related Financial Disclosures (TNFD) qui définit un cadre commun permettant aux entreprises d’évaluer, de suivre et de publier les risques financiers liés au déclin de la biodiversité. De son côté, quand la société de cosmétiques La Phocéenne, qui travaille en grande majorité avec des ingrédients naturels, a réalisé son analyse d’impact, elle a été surprise de constater à quel point l’huile de coco était consommatrice de surface agricoles et s’est attelé à en faire une priorité. 

Pour d’autres entreprises, le lien avec la biodiversité paraît moins évident. Mais il existe toujours ! En s’interrogeant sur ses impacts, la dirigeante de la Fenêtrière (fabricant de menuiseries extérieures sur mesure) a ainsi découvert que des centaines de milliers d’oiseaux mouraient après avoir percuté des fenêtres. De là, elle a entamé un travail avec la LPO et Saint Gobain qui a créé des vitres qui protègent les oiseaux mais seulement pour les bâtiments tertiaires. Pourtant, comme le montre l’enquête BL évolution sur les engagements du CAC40 sur la biodiversité, si deux tiers des entreprises disent en avoir identifié, notamment à travers des démarches d’écoconception, la « majorité des entreprises restent dans des modèles d’affaires fortement consommateurs de ressources ».

Etablir un plan d’action biodiversité, ambitieux mais qui peut être itératif

Une fois que les enjeux ont été identifiés et localisés et priorisés, vous voilà prêts à établir votre plan d’action avec toujours en tête la logique ERC (Eviter-réduire mais aussi restaurer, seulement en dernier lieu « compenser » et si possible régénérer). Pour cela, il vous faudra bien définir le périmètre d’action, qui peut dans un premier temps être dans un périmètre direct mais qui devra s’élargir au fur et à mesure sur la chaîne d’approvisionnement pour être à la hauteur de votre responsabilité. Pour cela, pourquoi ne pas commencer par des sites pilotes ? C’est notamment ce qu’a fait Renault en testant une gestion écologique de ses espaces verts. « Cela nous a permis de définir des actions transversales – compilées dans des fiches de bonnes pratiques – qui pouvaient être déployées sur l’ensemble des sites », relate Elodie Dauchez-Duchemin. 

Dans cette étape, outre la direction RSE, n’oubliez pas la direction achat, essentielle pour travailler sur les actions concernant les matières premières par exemple. Cela peut notamment permettre de mettre en place les moyens adéquats pour atteindre des objectifs ambitieux en matière de matières premières tracées, garanties sans déforestation et responsables.

Petit conseil supplémentaire « nous nous sommes appuyés sur des actions existantes comme notre plan climat, pour embarquer tout le monde et cela a rassuré nos dirigeants », précise la manager environnement. Cet appui sur l’existant est aussi important pour lier les différentes stratégies entre elles car biodiversité, climat, lutte contre les pollutions, les inégalités sont imbriqués. Il est donc indispensable de ne pas les siloter et de réfléchir avec une vision holistique.

Suivre et mesurer ses impacts et les actions mises en place

C’est l’un des points de crispation pour les stratégies biodiversité. Car contrairement au climat, il n’existe toujours pas à ce stade de mesure universelle de la biodiversité comme on peut l’avoir avec la tonne de carbone et les équivalences avec les autres gaz à effet de serre. De fait, les services écosystémiques rendus par un biotope donné est très spécifique et localisé (une mangrove n’égale pas une tourbière qui n’égale pas non plus un marais ou une zone cultivée ou construite). 

Cependant des outils commencent à voir le jour comme le Global Biodiversity score ou l’évaluation en MSA (Le Mean Species Abundance est un indicateur qui traduit l’abondance moyenne des espèces terrestres originelles) pour dresser un état des lieux des écosystèmes avant et/ou après les mesures prises. Surtout, l’absence de mesures précises ne peut en aucun cas être un moyen de retarder l’action ou de définir des objectifs clairs et précis. 

Et pour définir des plans d’actions alignés sur le respect des limites planétaires, des outils existent et sont en train d’être affinés, comme les SBTN, l’équivalent des SBTI pour le climat.

Peut-on valoriser ses actions en faveur de la biodiversité ?

Il n’est pas toujours facile de valoriser les actions réalisées : « sur les espaces verts,  le rythme de la biodiversité n’est pas forcément le nôtre et au début ce n’est pas forcément aussi joli que les gens le pensaient…il peut y avoir un effet déceptif. Par ailleurs, si on a amélioré la biodiversité et la qualité des sols des lieux, cela n’apporte rien au produit que nous vendons : la voiture, donc ce n’est pas toujours évident de plaider pour obtenir des budgets », souligne Elodie Dauchez-Duchemin. 

Pourtant, les effets peuvent être indirects mais intéressants, y compris en termes financiers pour l’entreprise : « en changeant d’angle pour évaluer la pertinence d’un projet de destruction d’un bâtiment pour en reconstruire un nouveau on a finalement travaillé sur une restructuration de l’existant pour ne pas dégrader l’habitat d’une espèce protégée. Au final, nous avons les mêmes fonctionnalités qu’un bâtiment neuf, pour moins cher, et sans détruire la biodiversité. Bref, la contrainte est devenue une opportunité ! », se réjouit-elle. 

Si la valorisation n’est pas aisée en interne, elle l’est parfois encore moins à l’externe : « il y a une faible prise en compte des démarches environnementales dans la commande publique et privées, avec un manque d’incitations fortes à le faire pour les grands donneurs d’ordre », déplore ainsi Fadel Bio Beri, responsable environnement et développement durable chez STB Matériaux, lors d’un événement à la CPME. Mais agir en faveur de la préservation de la biodiversité permet à la fois une « meilleure acceptabilité des projets, ce qui est un plus pour la pérennité de l’activité » et de « crédibilité et légitimité » auprès des acteurs publics, notamment des collectivités locales. 

Collaborer avec les parties prenantes sur l’ensemble de la chaîne de valeur

Dans toutes ces étapes, n’hésitez pas à vous faire accompagner. « L’accompagnement au long cours par les experts, comme des écologues, qui nous avaient aidé dans le diagnostic a été un vrai plus car nous avions parfois des fausses bonnes idées pour favoriser la biodiversité. L’œil d’un expert et son recadrage ont été importants pour nous éviter de faire fausse route et nous perdre dans ce sujet aussi vaste que complexe », confie Elodie Dauchez-Duchemin. 

Au-delà de l’expertise, ce sont aussi les parties prenantes qu’il importe de consulter et d’impliquer tout au long de la stratégie. C’est notamment ce que pointe Pierre-Yves Burlot, président de l’association Orée qui souligne l’importance des associations locales comme France Nature Environnement (FNE) ou la LPO (Ligue de protection des oiseaux) mais aussi des associations très spécifiques à la région, qui ont une connaissance précise du terrain. Chez STB matériaux (carrière), un travail de fond est ainsi réalisé avec les associations locales comme CPIE (Centre Permanent d’Initiatives pour l’Environnement) Chaîne des terrils, dans les Hauts de France pour travailler sur l’amélioration de la connaissance des espèces d’oiseaux locales comme les hirondelles de rivage par exemple. 

Enfin, la coopération peut aussi se faire au sein de la chaîne de valeur ou des fédérations avec des acteurs du même secteur. L’échange de bonnes pratiques et la collaboration au service de la biodiversité peut transcender la concurrence, si, si ! Pour cela des initiatives comme Entreprises engagées pour la Nature, de l’OFB peuvent être intéressantes ou Act4Nature.

Illustration : Canva