L’annonce d’un potentiel moratoire sur la CSRD dans les colonnes du Journal du dimanche JDD le 20 octobre a provoqué une vague de réactions au sein du monde économique. Si le patronat « classique », représenté par le Medef, la CPME, le Meti ou l’Ansa salue la démarche, l’écosystème de la RSE et de l’impact est vent debout contre ce qu’ils considèrent une hérésie.
C’est une petite bombe réglementaire que le Premier ministre a lancé au début des vacances en appelant à un moratoire de deux ou trois ans sur certaines réglementations au premier titre de laquelle la CSRD, qui instaure un reporting de durabilité pour des milliers d’entreprises européennes. Si la France a déjà transposée la directive ce n’est pas le cas de tous les pays européens (17 d’entre eux se sont fait épinglés par la Commission pour trainer à le faire) et le contexte général, dans chaque pays, est à la grogne du patronat contre une réglementation que beaucoup jugent trop lourde et trop coûteuse.
Dans ce cadre, les marges de manoeuvre pour la France sont étroites mais pas impossibles semble penser Matignon. « Cette directive a été transposée vite et un peu surtransposée, notamment sur le volet des sanctions pénales », explique Matignon au fil environnement Contexte, média spécialisé dans les politiques publiques. Une « surtransposition » qui ne convainc cependant pas les juristes spécialisés. Mais le cabinet évoque aussi un coût important pour les ETI et l’objectif d’aller dans le sens de l’amélioration des critères en faisant « moins de reporting et plus d’indicatif ». Il reprend en cela les arguments du patronat « classique » qui a manifesté son contentement dans la semaine.
Le patronat salue le moratoire au nom de la compétitivité
Lors d’une conférence de presse sur le lancement d’un Front économique destiné à diffuser ses idées dans le débat public, le patron du Medef, Patrick Martin, qui avait appelé à plusieurs reprises à revoir la directive a ainsi enfoncé le clou sur la « profusion de réglementations européennes qui sont tombées lors de la dernière mandature sur les entreprises ». Si le Mouvement des entreprises de France qui défère 200 000 adhérents dans le pays dit « partager les objectifs du Green Deal », il appelle aussi à trouver « le bon équilibre » en améliorant le « côté opérationnel » de ces réglementations. Au-delà de la CSRD, Patrick Martin vise directement le devoir de vigilance européen qui n’est pas encore transposé en France et pour lequel il s’est largement opposé avec les représentants du patronat européen. Pour celle-ci comme pour les autres réglementations touchant les entreprises – notamment dans le cadre du Green Deal-, il demande notamment d’imposer des « études d’impact » en amont.
Cette position est partagée par les fédérations de défense des entreprises plus petites comme la CPME (Confédération des petites et moyennes entreprises), et le METI (Mouvement des entreprises de taille intermédiaire) et l’ANSA (Association nationale des sociétés par actions). Dans un communiqué commun, elles saluent cette annonce. « Nous alertons depuis de longs mois sur le choc de complexité porté par ces textes sur la compétitivité, la croissance et l’emploi », soulignent-elles dénonçant « les coûts supplémentaires colossaux que ces réglementations mal conçues font porter sur nos entreprises pour produire des centaines d’indicateurs et des rapports à l’efficacité très contestable ». Selon elles, ce type de réglementation nuirait aux « très lourds investissements » que la transition écologique nécessite pourtant.
L’écosystème à impact mobilisé pour l’application du reporting de durabilité
Le sentiment est pourtant tout autre du côté des entreprises plus fortement engagées dans la transition écologique et sociale. Ces dernière qui défendent une meilleure mise en valeur de leurs actions sur le marché, ce que permettent notamment les réglementations du Green Deal. Le le Centre des Jeunes dirigeants (CJD) comme le Mouvement Impact France dénoncent ainsi le moratoire sur un outil qu’ils considèrent comme « essentiel pour structurer cette transformation ». Le MIF propose même d’aller plus loin avec un CSRD score (voir notre article précédent).
Chez les entreprises de l’écosystème à impact, on commence également à passer à l’offensive, notamment chez celles directement concernées par une baisse de régime d’une réglementation qui a fait exploser les prestations de conseil chez les entreprises concernées. Alan Fustec, président du cabinet Goodwill, qui prévoit notamment le lancement d’un « label CRSD » (label RSE aligné sur la CSRD) dans les prochains jours, a ainsi écrit une lettre ouverte à Michel Barnier diffusée sur LinkedIn. Ce pionnier de la RSE y explique au Premier Ministre qu’un « moratoire sur la CSRD serait catastrophique. Il casserait une dynamique qui se lance à peine, tant dans les grandes entreprises (quoi qu’on en pense) que, par effet de propagation, dans les petites ».
De fait, alors que le gouvernement vient de lancer ce vendredi une nouvelle (et énième) consultation sur le troisième plan national d’adaptation au changement climatique (PNACC3) que l’on attend depuis plus d’un an maintenant (voir notre article ici), son rétropédalage sur une réglementation qui demande aux entreprises concernées de prévoir un plan de transition climatique et les moyens afférents paraît déconnecté des réalités scientifiques et des impératifs économiques des prochaines années. « Faites-vous partie de ceux qui croient à une croissance verte dans un monde à + 3°C ? La croissance cessera très certainement avant que nous atteignions + 2°C, c’est-à-dire dans peu de temps, si nous n’agissons pas fortement et définitivement », interpelle ainsi Alan Fustec avant de recommander de laisser tranquille le calendrier tout en accordant « officiellement de la souplesse sur les audits de conformité pendant 3 ans ».
Frédéric Rodriguez, le président fondateur de R3, qui se présente comme un « expert en solutions RSE », ne dit pas autre chose. « Supprimer la CSRD c’est un peu comme casser le thermomètre en espérant que cela fasse tomber la fièvre ». Face aux critiques sur ces multiples exigences de reporting, il rappelle : « N’oublions pas les multiples dispositions dérogatoires pour aider les entreprises à entrer très progressivement dans le dispositif » et surtout l’utilité de la réglementation. La CSRD est « utile à chaque entreprise pour mesurer son empreinte, identifier ce qui doit être amélioré, évaluer si les actions mises en place ont un impact ». Mais aussi pour » fusionner les feuilles de routes financières et extra financières » et donc aider les investisseurs à mieux flécher leurs financements vers les entreprises les plus engagées dans une transformation écologique et sociale.
Le dirigeant pose aussi clairement une hypothèse de « compensation » qui circule largement dans les milieux économiques: « comment ne pas voir dans cette annonce une tentative politique bien court termiste de ménager les entreprises alors que des efforts vont sans doute leur être demandés dans le cadre du Budget 2025? » Ces débats préparent aussi la transposition future, qui s’annonce tout aussi houleuse, sur le devoir de vigilance européen, contre lequel le patronat français a bataillé en mettant notamment en avant le poids qu’il fera poser, indirectement, sur les PME.
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