Après des mois d’attente, la troisième édition du plan national d’adaptation au changement climatique (PNACC3) est enfin sortie. Elle est soumise à consultation pour deux mois. De quoi l’améliorer ? Sur la partie consacrée à l’adaptation des entreprises et de l’économie en général, le PNACC3 reste en effet relativement flou, avec très peu de contraintes et de financement. Et le cap semble très loin des besoins de transformation radicale de l’économie non seulement pour s’adapter aux nouvelles conditions mais aussi pour continuer à travailler en même temps sur l’atténuation et éviter d’en arriver à une France à +4°C. Le point sur les grandes lignes directrices.
Adapter les conditions de travail au changement climatique
Plus de 70% des travailleurs dans le monde encourent des problèmes de santé graves liés aux dérèglements climatiques, notamment en raison des fortes chaleurs. En France, la part des travailleurs exposés à de fortes chaleurs oscillerait déjà entre 14 % et 36 %, selon une note de France Stratégie. Et pourtant, aujourd’hui, il n’existe toujours pas de plan d’adaptation dédié spécifiquement aux risques professionnels liés au changement climatique, hormis pour le BTP où le régime a été adapté cette année pour intégrer les canicules dans l’indemnisation des arrêts de chantiers liés à des intempéries.
Le PNACC précise donc qu’après une période de concertation avec les partenaires sociaux sur les conditions de travail dans un « contexte de fortes chaleur », « les mesures de prévention mises en place par les employeurs seront renforcées en ciblant les activités sur lesquelles les épisodes caniculaires présentent le plus de risques » dès 2025 (mesure 11). A noter toutefois que si les épisodes caniculaires sont définis par Météo France, ceux de « fortes chaleurs » sont à définir, sans doute en raison de l’activité, car ils concernent un plus grand nombre de jours.
En savoir + sur la façon dont le changement climatique pèse sur les conditions de travail
Évaluer la vulnérabilité des organisations au changement climatique et mieux les outiller
La réalisation d’études de vulnérabilité au changement climatique « sera progressivement rendue obligatoire pour les grandes entreprises et les entreprises stratégiques » (mesure 33). Dès 2025, les grandes entreprises gérant des infrastructures de transport et d’énergie ouvriront le bal, suivies, en 2026 par les opérateurs d’importance vitale. De fait, la « prise en compte de la vulnérabilité » par les acteurs économiques est « encore largement insuffisante », précise le PNACC3. Ces études devraient donc leur permettre d’élaborer un plan d’adaptation. Ainsi EDF va mener une étude de vulnérabilité d’ici 2025 afin d’intégrer le climat futur dans son programme de modernisation et éviter les ruptures de service.
En attendant, l’Etat mise surtout sur l’incitation et la sensibilisation des entreprises aux risques, notamment via des formations réalisées par les chambres de commerces (CCI) et de métiers (CMA) ou le Conseil national de l’Industrie (CNI). Il prévoit aussi une étude visant à caractériser la résilience des chaînes logistiques par filière ainsi qu’une étude multimodale de la résilience des chaînes logistiques à une échelle territoriale. Des filières et territoires ont été désignés comme pilotes : la chimie, les céréales et les fruits et légumes ainsi que les axes Seine-Escaut et Méditerranée-Rhône-Saône. Les études de dangers et plans d’urgence des installations classées (ICPE) devraient aussi mieux prendre en considération la TRACC (trajectoire de réchauffement de référence qui se base sur +4°C en moyenne en France pour la fin du siècle), en 2026. Et plus globalement, l’ensemble des référentiels (normes, guides, réglementations…) devraient être mis à jour en tenant compte du climat futur et en intégrant le plus possible les solutions fondées sur la nature (ex : végétalisation des villes).
Pas de plan d’adaptation obligatoire à date pour les entreprises…mais ils deviendront rapidement indispensables !
Contrairement au draft qui avait été élaboré sous l’ancien ministère de Christophe Béchu, le PNACC3 ne prévoit pas l’obligation pour les grandes entreprises d’infrastructures d’énergie et de transport et les « opérateurs d’importance vitale » de se doter d’un plan d’adaptation. « Il n’y a pas une obligation formelle, sachant que la plupart des mesures ont déjà été concertées avec les acteurs économiques et ont été construites avec eux, ce sont donc généralement déjà des choses sur lesquelles ils s’engagent déjà et que l’on valorise dans le PNACC », rapporte Natura Sciences citant le cabinet d’Agnès Pannier-Runacher.
Ce même PNACC précise pourtant que les enjeux d’adaptation et leurs impacts sur l’activité économique sont « encore mal connus » par les entreprises et qu’elles manquent d’outils précis pour le faire. Un guide/outil générique de référence doit donc être déployé dès 2025 (mesure 41), et décliné au niveau des filières en fonction des risques auxquelles elles sont confrontés et des solutions qui peuvent être mises en œuvre. Une expérimentation doit être menée dès cette année avec des sites industriels « particulièrement vulnérables » mais non cités dans le document. A noter que s’il n’y a pas d’obligation dans le PNACC, la CSRD (via l’ESRS E1 sur le changement climatique) demande cependant aux entreprises concernées de dévoiler ce qu’elles mettent en œuvre sur l’adaptation. Surtout, ce sont les conditions climatiques et leurs conséquences sur l’activité (approvisionnement, conditions de travail…) qui doivent pousser les entreprises à agir.
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Pour mieux évaluer les plans d’adaptation mis en œuvre par les entreprises, le code de l’environnement devrait intégrer dès 2025 la nouvelle TRAAC comme « hypothèse de travail dans l’évaluation environnementale des plans/programmes ». Enfin, la mesure 34, précise que « la prise en compte du climat futur dans la conception des dispositifs d’aide aux entreprises est indispensable pour ne pas accroître la vulnérabilité des entreprises bénéficiaires ou les priver de co-bénéfices potentiels ». Une évaluation des aides publiques devrait ainsi être menée sur le sujet dès cette année. Les dispositifs ADEME, France 2030 et Bpifrance, qui doivent appliquer le principe du « do not significant harm »/ « absence de préjudice important porté à l’environnement » seront ciblés en priorité. Des facilités de paiement doivent aussi être mises en place, comme les prêts verts pour aider les entreprises à l’adaptation et à la transition écologique, annoncés en février 2024, mais encore en suspens.
Pour les collectivités locales, une « mission adaptation » devrait être lancée en 2025 pour accompagner les territoires précurseurs dans leur démarche et un guichet unique d’ingénierie de l’adaptation devrait aider les collectivités à s’engager. Progressivement toutes les collectivités devront intégrer la TRACC à l’ensemble de leurs documents de planification d’aménagement du territoire, de lutte contre le changement climatique ou de gestion de l’eau (SRADDET, PCAET, SCoT, S(D)AGE…) avec un objectif de 100% d’ici 2030.
Mieux accompagner le secteur alimentaire et énergétique
Les secteurs agricole (dont la pêche et l’aquaculture) et énergétique, vitaux et particulièrement vulnérables au changement climatique (fortes chaleur, sécheresse, inondations, tempêtes…) font l’objet d’une attention particulière. Mais le PNACC3 se contente surtout de regrouper les mesures d’accompagnement existantes et de mettre le doigt sur la nécessité de développer les connaissances et de former aux nouvelles compétences. Une étude prospective sera réalisée en 2024 pour élaborer une stratégie agroalimentaire à horizon 2040 ainsi qu’un plan semences et plants pour garantir la résilience du système de production.
Coté énergie, des « stress tests » modélisant des situations extrêmes (canicule ou vague de froid combinée à des périodes sans vent) devraient permettre d’estimer la résilience du système électrique. L’adaptation du réseau de transport et de distribution de l’électricité qui est très affecté par les hautes températures ou les tempêtes passera lui par le remplacement des câbles et l’enfouissement des lignes. Mais là encore, pour le secteur énergétique, ce sont essentiellement des études qui sont mentionnées dans le plan, pour évaluer et améliorer la résilience des centrales nucléaires et hydroélectriques (affectées par les sécheresses et fortes chaleurs) notamment ou évaluer le danger des infrastructures de transport pétrolier et gazier affectés par la sécheresse des sols (2027).
Le secteur des transports est aussi particulièrement scruté. Des plans d’adaptation sont déjà réalisés ou en cours à partir d’études de vulnérabilité mais les grandes entreprises, notamment publiques, devront les finaliser au plus vite, demande le PNACC3. Celui-ci pointe aussi la nécessité d’adapter les référentiels techniques de conception, d’exploitation et de maintenance des infrastructures de transports à l’aune de la TRACC.
Le secteur du tourisme, que ce soit littoral (montée des eaux, érosions des côtés) ou montagnard (réchauffement et baisse de l’enneigement), est aussi mentionné. A compter de 2025, « tout soutien public » sera ainsi « conditionné à la réalisation d’un plan d’adaptation selon la TRAAC ». On attend de voir ce que cela impliquera pour les JO 2030…La protection du patrimoine naturel et culturel (notamment des sites UNESCO) fait aussi l’objet d’attention (Axe 4, mesures 42 et 43).
Vers une réforme du système assurantiel ?
« Un monde à +4°C n’est pas assurable » clamait déjà en 2015, Henri de Castries, à l’époque patron d’Axa. Une réforme du secteur est donc plus qu’urgente pour permettre aux populations comme aux entreprises de pouvoir continuer à s’assurer le plus longtemps possible contre les risques naturels qui vont se multiplier dans les prochaines années. Les derniers événements, comme les inondations dans les Hauts de France ou dans les Alpes Maritimes sont particulièrement éloquents mais les phénomènes chroniques comme le retrait-gonflement d’argile font aussi figure de bombes à retardement. De fait, d’ici 2050, le coût des dommages liés principalement au climat pourrait augmenter de l’ordre de 50 %. Mais déjà certaines collectivités locales ne trouvent plus à s’assurer dans le système classique comme Les Sables d’Olonne qui doit désormais s’auto-assurer.
En avril, le rapport de mission Langreney sur l’assurabilité des risques climatiques a donné quelques pistes de réforme mais la dissolution de l’Assemblée nationale a donné un coup d’arrêt à leur transposition législative. Le PNACC3 reprend notamment à son compte le lancement d’un observatoire de l’assurance sur les risques climatiques. Mais le gouvernement a en réalité déjà missionné la CCR (Caisse centrale de réassurance) pour ce faire. Il devrait rendre ses conclusions dans le courant du premier semestre 2025. Un zonage des principaux risques couverts par le régime assurantiel d’indemnisation des catastrophes naturelles est également prévu. Mais le PNACC ne va pas plus loin sur ce sujet pourtant majeur.
4 propositions du président du Collège des directeurs développement durable (C3D)
Alors que la consultation du PNACC3 vient d’être lancée, le président du Collège des directeurs développement durable (C3D), Fabrice Bonnifet, formule 4 propositions :
1) Réduire de 5% par an d’ici 2050 nos émissions de gaz à effet de serre (GES) en encourageant les autres pays à faire de même.
2) Prévenir par la régulation les mesures de mal-adaptation qui vont conduire à augmenter la vulnérabilité au lieu de la réduire. Ex : le recours massif à la climatisation.
3) Ralentir l’économie du « non essentiel » en organisant sur les territoires des Conventions Citoyennes pour l’Adaptation. Après une formation, les participants décideraient des choix d’investissements et surtout des renoncements à privilégier. (Ex : produire de la neige artificielle ou préserver les réserves d’eau potable ?)
4) Organiser une réforme pédagogique pour faire émerger le réflexe de l’adaptation dans toute prise de décisions en lançant notamment une vaste campagne nationale de sensibilisation dans les écoles, les entreprises et les administrations.
Illustration : Canva