À l’approche de la COP29 de Bakou en Azerbaïdjan, les inquiétudes grandissent face aux violences et aux répressions subies par les défenseurs de l’environnement dans le pays hôte. Ces attaques récurrentes contre les activistes écologistes soulignent l’échec à garantir la sécurité et la liberté d’expression de la société civile lors de ces sommets mondiaux.
À quelques jours seulement de la COP29 de Bakou en Azerbaïdjan, qui se tiendra du 11 au 22 novembre 2024, la façon dont les activistes environnementaux sont traités dans ce pays autoritaire pose question. « Nous sommes particulièrement inquiets », alerte ainsi la Fédération Internationale des Droits Humains (FIDH). « Il y a déjà plusieurs dizaines de défenseurs de l’environnement azerbaïdjanais qui ont été menacés et qui sont aujourd’hui derrière les barreaux. Je pense notamment à Anar Mammadli », déplore Éléonore Morel, sa directrice générale lors d’une conférence de presse organisée à Paris en amont de l’événement.
Anar Mammadli est témoin et victime de ces craintes. Défenseur des droits humains et membre fondateur de la coalition Climate Justice Initiative, créée en amont de la COP29 pour défendre les libertés civiques et la justice environnementale, il a subi de multiples campagnes de diffamation dans la presse nationale. Il a été arrêté le 29 avril 2024 sur la base de fausses accusations, prétextant un « complot en vue d’introduire illégalement de l’argent dans le pays ». « Il est encore détenu à ce jour, et encourt entre 5 et 8 ans de prison », regrette Mary Lawlor, rapporteuse spéciale sur la situation des défenseurs et défenseuses des droits humains. En amont de la COP, celle-ci a observé « une vague alarmante » d’arrestations et de poursuites pénales contre les écologistes.
Des défenseurs de l’environnement menacés pendant les COP
Les méthodes ne sont pas nouvelles. C’est en fait la troisième année consécutive qu’une COP se tient dans un pays répressif où les droits et la liberté d’expression sont grandement limités par les gouvernements. Selon les règles de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, les pays doivent assurer que les sessions et événements se tiennent dans des lieux où les droits humains et les libertés fondamentales sont promus et protégés, rappelle l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits humains (OMCT/FIDH). Pourtant, la société civile, les associations, les journalistes ne peuvent que constater l’échec de cette obligation. Ils sont nombreux à avoir été victimes de répressions violentes et d’attaques lors des précédentes COP à Dubaï aux Émirats arabes unis (COP28) et à Charm el Cheikh en Égypte (COP27).
« Il s’agit notamment d’entraves à la participation des défenseur.es par le biais de procédures d’accréditation lourdes, de règles complexes et incohérentes régissant les droits de participation et d’intervention, de coûts prohibitifs », pointe ainsi cinq rapporteurs spéciaux des Nations unies et d’institutions régionales pour les droits humains dans une déclaration commune. Ce sont également des obstacles à l’obtention de visas pour se rendre sur les lieux des COP, des exclusions des lieux de négociations et une sous-représentation de certains segments de la société civile…
Or, « il est indispensable que les défenseurs de l’environnement assistent à ces rendez-vous internationaux, car ce sont les premiers concernés par les effets du changement climatique. Ils doivent subir la disparition des forêts, les rivières polluées, les terres décimées par des activités industrielles… », souligne Mary Lawlor.
Une violence croissante contre les défenseurs des droits humains
Ces violences ne se cantonnent malheureusement pas aux évènements internationaux tels que les COP. Si le rôle essentiel de ces activistes est de plus en plus reconnu, c’est aussi au prix d’« une augmentation globale de la fréquence et de la gravité des menaces et des attaques qui les visent », pointent ainsi la déclaration commune. Dans toutes les régions du monde, les observateurs des droits humains constatent une hausse des répressions contre les défenseurs de l’environnement et de la justice sociale.
« Malgré les mécanismes et les financements mis en place par les pays pour protéger les défenseurs des droits humains, on voit que les lanceurs d’alerte sont constamment exposés à des risques », alerte Michel Forst, rapporteur spécial pour la Convention d’Aarhus qui assure l’accès à l’information, la participation du public et l’accès à la justice sur les sujets environnementaux.
En 2023, près de 200 assassinats d’activistes écologistes dans le monde ont été recensé par l’ONG Global Witness dans son décompte annuel. Un lourd bilan qui s’ajoute aux plusieurs centaines de défenseurs des droits humains tués dans leur engagement pour l’environnement et les droits humains ces dernières décennies, à l’instar du Brésilien Chico Mendès (1944 – 1988), de la Philippine Gloria Capitan (1959 – 2016), de la Kényane Joannah Stutchbury (1954 – 2021)… En France, un botaniste de 21 ans, Rémi Fraisse (1993 – 2014), avait été tué par l’explosion d’une grenade tirée par un gendarme lors de la mobilisation du 26 octobre 2014 contre le projet de barrage de Sivens (Tarn). Mais un non lieu a été obtenu pour le gendarme qui a tiré la grenade.
Les attaques prennent aussi d’autres formes de pressions physiques, morales, ou institutionnelles autant contre les défenseurs eux-mêmes que leurs proches. On parle ainsi de lois de plus en plus répressives des États contre les activistes, mais aussi de l’invention de faux témoignages et de fausses déclarations, ou bien de mécanismes de collusion entre des entreprises et des milices ou des services de sécurité privés. « Les méthodes d’intimidation utilisées par les entreprises sont souvent des méthodes indirectes. Et l’une des grandes difficultés dans ces affaires, c’est l’établissement de la preuve. C’est de montrer les liens directs entre une entreprise et une attaque menée contre les défenseurs de l’environnement », complète le rapporteur de l’ONU.
La montée en puissance des attaques juridiques contre les défenseurs de l’environnement
Les pressions peuvent aussi être directes, comme c’est le cas des « procès-bâillons », ou Strategic Lawsuit Against Public Participation (SLAPP) en anglais. Ces procès « abusifs » intentés par les entreprises ont pour objectif de faire taire les opposants et de les épuiser financièrement et psychologiquement. Plusieurs procès de ce type ont été menés par l’industriel Vincent Bolloré ces dernières années, et les autres exemples ne manquent pas. Récemment, l’édition lyonnaise du média d’enquête Mediacités a aussi été poursuivie trois fois en moins d’un an par le promoteur lyonnais Alila pour diffamation en raison de plusieurs enquêtes sur l’entreprise et son PDG Hervé Legros. À chaque fois, Mediacités a été relaxé et la justice a même condamné l’entrepreneur pour son acharnement contre le média.
Même si ces procédures-bâillons ont peu de chance de mener à une victoire judiciaire, elles sont une arme de plus en plus utilisée par le privé pour saper les ressources des médias indépendants qui n’ont souvent pas beaucoup de moyens pour se défendre. Comme le souligne une étude du Parlement européen, le nombre de poursuites-bâillons a drastiquement augmenté en Europe. Le nombre d’affaires est passé de 570 en 2022 à 820 en 2023 selon un rapport de 2023 de la Coalition contre les poursuites-bâillons en Europe (CASE).
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