À quoi devrait ressembler l’adaptation au changement climatique ? Ilian Moundib, ingénieur conférencier et spécialiste des questions de résilience climatique propose de porter une politique d’adaptation par la base, en auto-organisation, pour affronter les défis climatiques. Il s’inspire notamment d’un modèle existant, celui de la sécurité sociale, pour proposer des solutions collectives et démocratiques et garantir un accès aux besoins essentiels. Il est l’auteur d’un ouvrage sorti le 7 novembre 2024, S’adapter au changement climatique, Fake or not ?.

Youmatter. Le nouveau Plan d’adaptation au changement climatique (PNACC3) est mis en consultation pendant deux mois auprès de l’ensemble de la population française. Est-ce pertinent et suffisant pour une stratégie de cette ampleur qui engage le pays sur des dizaines d’années ? 

Ilian Moundib. Malheureusement, ces consultations sont assez symptomatiques d’une forme d’impuissance. Malgré le travail de qualité des expertes et experts qui ont travaillé sur ce PNACC3, nous avons un plan sans boussole politique, sans réelle capacité de planification. En ce sens, cette consultation semble en décalage par rapport au processus de destruction irréversible de l’environnement. Mais faut-il les rejeter en bloc ? Non, autant y participer. Si la consultation permet à des personnes d’en apprendre plus sur ces thématiques, de prendre conscience et d’enrichir le plan, autant prendre cela, car nous partons déjà de très loin sur ces sujets d’adaptation au changement climatique. Mais je suis partisan d’une forme d’implication populaire beaucoup plus forte sur les sujets écologiques. 

Surtout, la vraie question, c’est ce qui va en être fait. Nous sommes dans un temps politique où il y a une montée très forte du climatoscepticisme et une perte de confiance de la population envers une posture d’experts qui vient « d’en haut ». À ce titre, l’expérience de la Convention Citoyenne pour le Climat est un exemple d’initiative démocratique et d’organisation de la résilience écologique par la base intéressante. Mais il faut prendre en compte les demandes et ne pas flouer les personnes qui ont participé à la CCC…

Comment imaginez-vous ces espaces de discussions plus démocratiques ?

Ces espaces pourraient prendre plusieurs formes. La première, ce sont des espaces de discussions comme la Convention citoyenne pour le Climat. La deuxième, ce sont toutes les initiatives qui participent à un cadre de sensibilisation sur les sujets environnementaux, à l’instar de la Fresque du Climat. La troisième, je l’emprunte à la gestion de l’eau. J’ai écrit une note pour l’Institut Rousseau (Think tank situé à gauche de l’échiquier politique, NDLR.) intitulée « Institutionnaliser la sobriété hydrique » dans laquelle je propose de renforcer le pouvoir des agences de l’eau pour qu’elles définissent des objectifs de réduction et de diminution des prélèvements, basés sur l’augmentation du stress hydrique, pour chacun des 11 bassins hydrographiques de la France métropolitaine et des outre-mer. 

L’idée est de déployer à deux échelles une gestion commune et démocratique de l’eau. La première échelle intermédiaire est représentée par les régies publiques de l’eau, donc les grandes villes (Paris, Lyon, etc.), qui devront appliquer les objectifs planificateurs définis par les agences de l’eau et votés par les parlements de l’eau, composés des usages du bassin hydrographique (citoyens, industriels, agriculteurs, associations…). Il faudrait cependant rééquilibrer ses instances de décisions pour mieux intégrer la parole de tous les usagers. Au niveau des plus petites communes, il serait intéressant de décliner les objectifs de l’agence de l’eau à une échelle plus locale avec des conventions citoyennes communales dotées d’un budget et soumises à des prérogatives pour réduire les prélèvements et la consommation d’eau.

Vous expliquez dans votre ouvrage S’adapter au changement climatique* que « la seule solution à l’incertitude passe par l’extension de nos institutions de coopération et la création de nouvelles formes d’entraide », pouvez-vous expliquer plus en détail ?

C’est ce qu’essayent de montrer Pablo Servigne et Gauthier Chapelle dans leur ouvrage L’entraide, l’autre loi de la jungle**  où ils décrivent le cycle de pénuries et d’abondances. Même s’il existe des mécanismes de compétition entre les espèces et à l’intérieur des groupes – il ne faut pas le nier -, les mécanismes d’entraide existent aussi et ont toute leur importance lors des périodes de crise, comme face aux événements climatiques extrêmes. Ils démontrent que l’entraide permet de sortir de la crise et de la pénurie. 

Mais je pense qu’il faut également sortir de ce rapport très infantilisant que nous entretenons avec nos dirigeantes et dirigeants pour faire face au changement climatique. Ce sont bien eux qui ont le pouvoir. Mais nous sommes aussi capables de nous mettre en action, de créer du lien et des institutions de solidarité par la base grâce à l’auto-organisation. Dans l’Histoire, tous les changements de paradigme très profond voire un peu révolutionnaires viennent de mouvements d’auto-organisation qui ont été généralisés. Or c’est une pensée qui est encore absente dans certains milieux écologistes.

Vous reprenez l’exemple de la sécurité sociale mise en place en 1945 en France, pourquoi est-elle pertinente pour l’adaptation au changement climatique ?

Le changement climatique va totalement chambouler notre quotidien. Nous allons avoir des saisons où il va falloir gérer des événements climatiques extrêmes – trop chaud, trop de pluie, trop sec, trop froid – face auxquels nos infrastructures et nos systèmes d’organisation ne sont pas adaptés. Il existe des mesures techniques -décrites notamment dans le PNACC3- pour y faire face. Il faut par exemple d’urgence désimperméabiliser les sols dans les grandes villes pour combattre la chaleur, des rénovations thermiques pour les 12 millions de personnes en France qui sont en situation de précarité énergétique, restaurer les écosystèmes autour des rivières et recréer les mécanismes d’éponge qui permettent d’absorber le trop d’eau quand le cours d’eau déborde… 

Ce nouvel aménagement du territoire est indispensable, mais il ne sera pas suffisant. Car le changement climatique et le dépassement des limites planétaires vont avoir des conséquences sur les réseaux matériels et humains qui nous permettent d’assurer l’accès à nos besoins vitaux. Il est indispensable de réussir à anticiper ces futures crises et je reste persuadé que l’adaptation n’est pas qu’un sujet technocratique, mais un sujet de mise en partage « des communs ». Il faudrait avoir une forme d’institution qui garantisse l’accès à une alimentation saine, à l’eau, au logement, à l’énergie, à la culture… sur le même principe que ce qui existe déjà comme la sécurité sociale française qui a émergé en 1945 sur les ruines de la Seconde Guerre mondiale. C’est un modèle de protection sociale et d’investissements qui fonctionne en auto-organisation et dans lequel je vois une force pour notre adaptation. 

À quoi pourraient ressembler ces autres formes de sécurité sociale ?

Le modèle de la sécurité sociale de l’alimentation demandé par de nombreuses associations liées au monde agricole est plutôt abouti. L’objectif est que nous ayons toutes et tous une carte vitale avec entre 100 et 150 euros par mois pour notre alimentation. Nous ne pourrions utiliser cet argent que chez des productrices et producteurs conventionnés. Cette convention serait donnée par une nouvelle forme de démocratie locale qui mettrait en dialogue les assurés et les producteurs. Concrètement, cela permettrait de choisir démocratiquement ce que l’on mange et comment cela est produit. On créerait une forme d’économie nouvelle qui nous permettrait de refaire du commun et des réseaux d’entraide pour les situations de crise. Il existe déjà des mécanismes de sécurité sociale alimentaire assez avancés à Montpellier ou Bordeaux. Ce sont des formes d’entraide concrètes qu’il est nécessaire de continuer à développer et diffuser dès maintenant.  

*S’adapter au changement climatique, Fake or not ?, Ilian Moundib, Éd. Tana, 2024, 120 p., 14.90 €. 

**L’Entraide, L’autre loi de la jungle, Gauthier Chapelle et Pablo Servigne, Éd. LLL, 2019, 384 p., 8.90 €.

Illustration : Canva