Tous les jeudis, l’actualité RSE en chiffres ! Cette semaine on se penche sur la gouvernance des grandes entreprises françaises. Une étude de l’Institut français de gouvernement des entreprises nous invite à considérer les conséquences d’un « grand déracinement » du SBF120. Quelles vont être les conséquences de l’internationalisation croissante de leurs directions et leur actionnariat sur la transformation écologique et sociale ?

Allons-nous vers « un grand déracinement » des grandes entreprises cotées françaises ? C’est ce que nous invite à considérer la dernière étude Preuves à l’appui de l’IFGE (Institut français de gouvernement des entreprises de l’EM Lyon) qui porte sur le SBF120. Chiffres à l’appui, les auteurs, Sébastien Winston, Haithem Nagati et Bertrand Valiorgue, nous y donnent à voir une « révolution silencieuse » qui pourrait avoir des conséquences très fortes sur l’économie de notre pays. 

1 entreprise sur 10 à gouvernance « déracinée »

En clair, aujourd’hui, le portrait robot de la grande entreprise cotée « française » type est une société dans laquelle une partie nettement majoritaire de ses activités est réalisée hors du territoire et au sein de laquelle les Français sont minoritaires dans le capital et les organes de direction. Un chiffre particulièrement parlant : en moins de 20 ans, l’actionnariat français des grandes entreprises cotées est passé de 72% à 34%. La bascule s’est opérée quasiment sans bruit dans les années 2016/2017 et s’est particulièrement révélée cette année avec l’annonce de TotalEnergies  (dont la majorité du capital est américain) d’une réflexion autour du déplacement de sa cotation principale de Paris à New York. Elle s’accompagne d’une évolution profonde de la sociologie des actionnaires, de leurs attentes et de leurs comportements.

Source : Vers un grand déracinement ? Gouvernance et empreinte économique des entreprises françaises cotées, Preuves à l’appui N°7, i.f.g.e., novembre 2024

Mais la tendance à l’internationalisation va plus loin que le capital. Les instances de direction et de contrôle sont aussi concernées : si 9 membres des conseils sur 10 possédaient la nationalité française en 2015, ils ne sont plus que 7/10. Quant à la part du chiffre d’affaires réalisée dans le pays, elle est passée de 34% en 2005 pour se stabiliser à 25% aujourd’hui. Au final, près de 60% des sociétés étudiées présentent « un profil de gouvernance transnationale » et une entreprise sur 10 un profil de gouvernance que les auteurs qualifient de « déracinée » (21% d’actionnariat français en moyenne et une délégation des directions générales à des profils internationaux). Si cette tendance n’est pas très surprenante dans un contexte de mondialisation où les entreprises recherchent de nouveaux marchés, des gains de compétitivité et des ressources plus diversifiées, ses conséquences sont finalement peu étudiées. 

Des questions majeures sur la cohérence stratégique et la transition écologique

Dans un premier temps, ce déracinement provoque une délocalisation des centres de décision mais aussi souvent des pertes d’emplois. Mais il pose aussi des questions de dépendance croissante aux marchés internationaux et de cohérence entre les stratégies des entreprises sur le sol français et la politique de la France. Ainsi si « cette dynamique devait se poursuivre », il est « probable » qu’avant 2035, les administrateurs français deviendront minoritaires au sein des conseils d’administration. Or cela poserait des « questions majeures quant à la capacité des grands groupes français à rester alignés avec les priorités nationales, notamment en matière de politique industrielle, de gestion de l’emploi, de fiscalité et de transition écologique », soulignent les chercheurs en gestion. D’autant que parmi ces entreprises « déracinées » on trouve des « fleurons » français à fort besoin de transformation écologique comme Air France KLM et Renault ou liés à la transition écologique comme Schneider Electric. 

Ils craignent également une « dilution des spécificités nationales dans la gouvernance des grandes entreprises françaises cotées » qui pourrait « modifier la gestion interne des entreprises » , par exemple dans le management, mais aussi « leur rapport aux politiques publiques et aux institutions nationales ». Avec la création d’un cercle vicieux autour d’une gouvernance qui serait non plus un rempart pour ancrer son action dans le territoire mais bien un facteur d’accélération du déracinement de l’économie française. 

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Illustration : Canva