Donald Trump n’est pas encore officiellement au pouvoir (son investiture sera le 20 janvier) mais son influence est déjà très palpable dans le business américain. Anticipant le détricotage en règle des normes environnementales et ESG annoncées par le futur président, les entreprises et investisseurs multiplient les affichages de retrait voire des reculs plus profonds sur leurs politiques RSE, alliances et l’organisation même de leurs entreprises. Explications.
Lors de sa campagne, le futur président des Etats-Unis, qui va officiellement prendre les rênes du pays le 20 janvier, a été clair : son mandat sera en partie dédié au détricotage des normes environnementales et plus largement ESG (environnement, social et gouvernance). Objectif : lever toutes les « barrières » et « contraintes » pour faciliter le business.
De quoi encore amplifier le mouvement anti-ESG, déjà dynamique aux Etats-Unis depuis son premier mandat ? Sans aucun doute. Mais avec quels effets réels sur la finance durable et les politiques RSE des entreprises ? La réalité du premier mandat de Trump a été plus nuancée que prévu car le sujet était politiquement sur le haut de la table au niveau international.
10 ans plus tard cependant, malgré des effets pourtant de plus en plus visibles du changement climatique et de l’effondrement de la biodiversité, la donne a changé dans le milieu politique. Celle-ci se traduit très concrètement par des reculs dans différents Etats américains et une montée de l’anti-wokisme sur les questions de diversité notamment. Et le futur président a encore durci ses positions.
Le Greenhushing des investisseurs…
Sur les questions environnementales, la dynamique est particulièrement forte du côté des investisseurs américains qui subissent de plus en plus les pressions des politiques anti-ESG des Républicains. Elle se manifeste notamment par le retrait de coalitions climatiques. Déjà en 2024, la coalition d’engagement actionnariale Climate Action 100+ qui demande des comptes aux entreprises les plus émettrices sur leur politiques environnementales, avait subi les défections des branches investissement de JP Morgan Chase ou State Street quand BlackRock, le premier gestionnaire d’actifs du monde, avait pris ces distances.
Ces dernières semaines, ce sont les coalitions Net Zero des banques et assets managers (Net Zero Banking Alliance et Net Zero Asset Manager Initiative) qui en ont fait les frais. Depuis l’élection de Donald Trump en novembre 2024, la NZAM a connu sept départs de grandes société de gestion américaines dont celui de BlackRock début janvier puis effacé toute trace de la centaine d’ acteurs encore engagés (la plupart européens) dans la coalition avant de se mettre en pause, pour réflexion. La NZBA a elle vu se retirer récemment de nombreux acteurs phares dont Goldman Sachs ou JP Morgan. Quant à la coalition parapluie de ces alliances, la Glasgow Financial Alliance for Net Zero, elle a revu fin 2024 ses missions à la baisse en affirmant qu’elle mettrait ses conseils à la disposition des entreprises financières, qu’elles se soient engagées ou non dans une alliance « net zéro ».
Pour Hortense Bioy, responsable de la recherche sur l’investissement durable chez Morningstar Sustainalytics, il s’agit plus à ce stade de greenhushing, c’est à dire de moins visibiliser leur engagement à travers ce type de coalition. De fait, toutes les institutions financières qui ont opéré un tel mouvement disent vouloir continuer à agir pour la décarbonation voire poursuivre leur trajectoire net zero car certains facteurs de marché sont eux restés favorables aux politiques climatiques. Mais pour combien de temps ? Les reculs sur l’Inflation Reduction Act (IRA) et autres retours de bâton économiques pourraient changer la donne.
« Les engagements de ces investisseurs sont très pragmatiques et de court terme. A l’époque de la création de ces alliances (2021,ndlr), il y avait un risque réputationnel, d’attraction des talents et autres bénéfices à ne pas afficher des positions climatiques fortes. Désormais il y a un risque à le faire avec notamment des procès potentiellement longs et coûteux pour les plus gros. Leur choix est donc d’abord mené par leurs intérêts financiers, pas par l’affichage qui pouvait être marketing de leurs valeurs », explique ainsi Hortense Bioy à Youmatter. Une analyse partagée par Tim McDonnell, rédacteur en chef de la newsletter spécialisée Semafor Net Zero : « dès sa création, la NZBA a été en grande partie un exercice de marketing. (…) La NZBA a aidé les banques à coordonner les méthodes et les normes de mesure et de déclaration de leurs émissions. Maintenant que la plupart d’entre elles le font, l’avantage marketing de rester dans le groupe ne vaut peut-être pas la peine de s’attirer les foudres des militants anti-ESG ».
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Un rebranding des Cleantech vers la défense
Le vrai test sera donc de voir comment les investisseurs américains, qui représentent un pourcentage important des plus grandes capitalisations dans le monde entier, continuent dans les prochains mois de financer ou pas la transition. D’autant plus que le défi environnemental ne marque, lui, pas de trêve politique et d’autres pays sont particulièrement allants sur la transition énergétique, comme la Chine, qui a de plus l’avantage de coûts ultra compétitifs. Difficile donc de balayer d’un trait les stratégies d’investissement dans les cleantech et autres, même si un retour d’investissement dans les énergies fossiles est à prévoir. Pour la société de gestion Candriam, la dynamique dans les énergies renouvelables devrait ainsi « être soutenue par une demande accrue en électricité, des avancées technologiques et une baisse des coûts, ainsi que par des conditions favorables pour l’éolien et le solaire dans certains Etats«
Pour autant, pour passer entre les fourches caudines de l’administration Trump, qui ne voit pas les énergies renouvelables d’un bon œil, des start-up du secteur des Cleantech « envisagent un rebranding », note Bloomberg Green. Certaines entreprises, qui opèrent dans les domaines de la sécurité nationale tels que les minéraux critiques, l’acier et les semi-conducteurs, envisagent ainsi de se présenter comme des « technologies de défense » afin de prospérer dans le climat d’investissement de l’ère Trump.
« Les gouvernements réorientent les fonds vers les technologies de défense afin d’atténuer les problèmes politiques liés au climat. (…) En 2021, la Maison Blanche a publié un décret sur la lutte contre la crise climatique dans le pays et à l’étranger, faisant des considérations sur le changement climatique un élément central de la sécurité nationale et de la politique étrangère des États-Unis », détaille le site spécialisé CleanTechnica. Qui conclut : » le financement des énergies propres se poursuivra sous une administration Trump – il suffit de ne pas utiliser le mot ‘climat’ dans les demandes de financement »…
…et un vrai recul sur la diversité dans les entreprises
Les politiques climatiques pourraient donc s’en sortir, du moins pour un temps. Mais toutes les dimensions environnementales, comme la biodiversité, pourraient ne pas avoir cette chance là. Pour le Financial Times, l’un des mots de 2024 est bien le Greenlash, qui désigne un retour en arrière des politiques environnementales sous la pression des populistes, partout dans le monde. Toutefois, c’est bien sur le S et le G de l’ESG que les inquiétudes sont les plus fortes.
On commence déjà à voir des reculs assumés de la part d’entreprises, notamment dans les politiques de diversité (DEI ou Diversité, équité et inclusion), dans la veine d’un anti-wokisme galopant. L’an dernier, la Cour suprême a révoqué la discrimination positive dans les universités. Depuis, les entreprises américaines redoutent des actions en justice contre le DEI, d’autant que Donald Trump et son nouvel acolyte Elon Musk en ont fait un cheval de bataille comme on le voit à travers leurs critiques sur la gestion des incendies de Los Angeles.
Le mouvement est particulièrement visible depuis novembre dans de nombreux secteurs et entreprises plutôt « conservatrices », Ford, Toyota, Jack Daniels ou Harley-Davidson ont reculé sur leur politique diversité. Puis en décembre, c’est le principal employeur privé américain, Walmart, qui a fait son grand recul. Le distributeur, historiquement engagé dans des politiques de diversité dans l’emploi, a annoncé qu’il ne renouvellerait pas son mécénat en faveur de la communauté africaine-américaine lancé dans le sillage du mouvement #Blacklivematters après la mort de George Floyd en 2020. L’enseigne s’est aussi retirée d’une campagne notant les entreprises sur leur soutien à la cause LGBT et arrêtera de vendre certains produits qui leur était destiné. Puis c’est McDonald’s qui, en France clame encore la diversité et l’inclusion comme « au cœur de son ADN« , qui a décidé renoncer à tout objectifs chiffré en matière de représentation et de ses exigences DEI auprès de ses fournisseurs notamment en effaçant jusqu’au mot « diversité » de son organigramme au profit de l' »inclusion », plus floue.
En janvier, c’est la bascule de la Tech, historiquement engagée du côté démocrate, qui estomaque. Notant que « le paysage juridique et politique autour des efforts de diversité, d’équité et d’inclusion aux Etats-Unis est en train de changer », Meta (Facebook, Instagram, Whatsapp) a ainsi tout bonnement annoncé la fin de ses programmes DEI quelques jours seulement après avoir fait un autre virage à 180° sur les questions de modérations et de fact checking, indispensables pour assurer la responsabilité sociétale des plateformes de réseau social. « Personne ne s’attendait à un volte-face si radical. Il a clairement été précipité voire dicté par l’élection de Donald Trump », souligne Hortense Bioy.
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L’heure de la preuve de l’efficacité économique et financière pour l’ESG/RSE
Il est encore tôt pour savoir quelle sera l’ampleur des conséquences de la nouvelle ère Tump sur les politiques RSE et ESG des entreprises américaines. « Nous sommes dans un moment de vérité dans le sens où les greenwasheurs vont se réveler. Mais ce greenwashing montrait aussi que l’ESG était important…« , souligne Hortense Bioy. Ce qui ne semble plus une évidence pour l’ensemble des acteurs économiques. Et ceux qui y croient encore vont devoir batailler contre leurs propres actionnaires. Il y a quelques jour, les conseils d’administration d’Apple et de Cotsco, qui ne sont pourtant pas les entreprises les plus engagées en RSE, ont ainsi dû se prononcer contre une proposition d’actionnaires visant à mettre fin à leurs programmes DEI, emmenée par le think tank conservateur National Center for Public Policy Research (NCPPR).
Désormais il faudra sans doute davantage « apporter la preuve économique de l’ESG » pour pouvoir l’afficher et l’assumer, assure donc Hortense Bioy. Cela pourrait être une chance pour les acteurs européens qui, avec la CSRD et la SFDR, les réglementations de durabilité européennes qui demandent aux entreprises et aux investisseurs de travailler sur la matérialité des enjeux ESG dans la double perspective financière et sociétale, souligne-t-elle. A condition qu’elles ne soient pas détricotées, comme on peut le craindre, lors de la réforme dite omnibus prévue fin février.
2024 marque le recul des fonds ESG
Dans le monde entier, en 2024, plus de fonds durables ont été fermés que lancés pour la première fois depuis des années. Si cela n’est pas dû qu’au seul contexte politique (moindre demande, chasse au greenwashing dans l’UE…), celui-ci a joué indubitablement. Aux Etats-Unis, les insitutions financières subissent des pressions croissantes de la part des politiques républicains concernant leurs politiques ESG qui contreviennent selon eux à leur devoir fiduciaire, c’est-à-dire de maximiser les rendements financiers pour leurs clients. 7 nouveaux fonds ESG y ont ainsi été lancés l’an dernier contre 189 en Europe et les clients américains ont retiré près de 16 milliards de dollars de ces fonds selon Monrningstar Sustainalytics.
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