Au cœur de la forêt, les membres de la Steward Community Woodland résistent à la tentation du bitume. Objectif de ces néo-ruraux : montrer comment une petite communauté écologique, financièrement viable, peut profondément enrichir l’environnement naturel et social d’une région. Simple projet expérimental ou témoignage d’un mode de vie alternatif et durable ? Retour sur un projet de développement territorial en work in progress.
Take a walk on the wild side. Écologie, retour à la terre, paysagisme, vie en communauté, agriculture biologique, utopies pédagogiques, éthique, philosophie… entre désirs et certitudes, les membres de cette communauté anglaise veillent au développement, à la gestion et à la mise en valeur de la forêt pour en obtenir un bénéfice économique et des services profitables à la société. Fondée en 2000 et dans une approche multifonctionnelle de la forêt, cette communauté fonctionne comme une coopérative basée sur la permaculture, le travail du bois, les énergies renouvelables et le woofing. Inspirée par l’agroforesterie, elle s’est installée il y a plus de dix ans en périphérie du Parc National de Dartmoor (Devon, Angleterre).
Autrefois composé de champs, le site est expérimenté en 1910 avec la plantation d’arbres et des activités économiques liées. Il devient peu à peu une forêt. Mais en raison de son relief accidenté, l’exploitation n’est pas rentable, le terrain est mis en vente et restera en friche pendant 5 ans. Il est finalement acheté par le groupe fondateur. Et après une année de réflexion, la coopérative « Affinity Woodland Workers Coop » est créée. L’idée : démontrer qu’il est possible de vivre et de travailler dans une forêt. Très critiqué au départ (bataille juridique, nombreux appels) ce projet local a tout de même su convaincre les autorités du Parc National qui ont admis que ses objectifs de développement durable étaient en réalité les mêmes que ceux portés par le gouvernement britannique à travers les fameux Agendas 21.
Conscients des enjeux et menaces environnementales du 21ème siècle, les membres de la communauté soutiennent le rôle fondamental de l’action locale dans le changement et la transition écologique. En 15 ans, le projet a amplement surpassé la phase conceptuelle et embryonnaire du début des années 2000, pour devenir aujourd’hui un modèle de vie durable à très faible impact.
En quelques chiffres
- Communauté de 12 adultes et 9 enfants
- Prix d’achat : 32 000 livres
- 13 hectares de terrain
- Consommation de 5 arbres/foyer/an
Quelles activités ?
- Woofing
- Permacuture, agriculture biologique, compost
- Ateliers d’artisanat et vente de produits durables : projet sur le travail du bois, complétement intégré dans la communauté et réel atout de l’économie locale
- Open days, pique-niques éducatifs, débats, initiations aux arts, aux sciences, à l’écologie, à l’agriculture biologique, à la permaculture et au développement durable
- Concours artistiques (dessin, poésie, expositions)
Culture, nature et engagement : un nouveau souffle dans l’espace rural
Les sceptiques seraient stupéfaits. Au bout d’une journée en immersion, les visiteurs en apprennent beaucoup sur les relations, les comportements humains, les sentiments, le partage de connaissances, le goût et les saveurs. Il existe un réel rapport sensuel entre les personnes, le monde végétal environnant et la culture. Ce lieu réussit à établir une parfaite harmonie entre art, écologie et agriculture. Pourquoi rapprocher culture du sol et pratique artistique ? La beauté du geste. Ces gestes qui nous lient à la terre. Où mains et végétaux ne font qu’un. Comme l’artiste et l’argile, le pinceau et la toile. Une immersion en quête d’un lien avec le monde, une expérience au plus près de la nature : une alchimie rare et précieuse. On oublie la ville. On fuit l’éternelle insatisfaction de l’être humain. Les codes ne sont plus les mêmes. La nature prend le dessus, l’homme devient un animal parmi les autres. C’est intensif, il y a un réel sentiment de solidarité, d’entraide. Tout le monde participe et les choses se font de manière spontanée, naturelle. Nostalgie d’ex-soixante-huitards ? Révolution tranquille des enfants de hippies ? Il s’agirait de voir plus loin, d’outrepasser cet argument commun et complaisant. On parle d’une génération avant-gardiste, d’un mouvement émergent et novateur alliant, avec éthique et connaissances, une approche hybride du local, le respect de l’environnement, l’utilisation des techniques traditionnelles et des nouvelles technologies. La Steward Community Woodland a quitté le tapage des villes pour retrouver la quiétude et l’apaisement de la campagne, les gestes ancestraux, l’indépendance, l’autonomie, la liberté, à la recherche de sensations originelles.
Permaculture, woofing et art de vivre ensemble
La permaculture associe l’art de cultiver la terre (pour la rendre indéfiniment fertile) et l’art d’aménager le territoire. C’est ainsi que les membres de la communauté – dans leur réflexion et leurs modes d’action – prennent en considération la biodiversité des écosystèmes, vers une production agricole durable, économe en énergie et respectueuse des êtres vivants. La communauté a mis en place un écosystème productif en nourriture tout en laissant à la nature « sauvage » le plus de place possible. Les membres ont mis en place des cours pour les visiteurs, dans l’esprit « la permaculture pour les nuls », pour leur donner une vision inspirante de comment la nourriture organique, la médecine, l’habitat, la consommation et l’habillement peuvent être produits de façon durable, avec un apport minimal et grâce à des éléments naturels, dans un environnement diversifié et beau. Emprunt de l’anglais et acronyme de WWOOF (World Wide Opportunities on Organic Farm), le woofing est un concept de voyage solidaire né dans les années 70, près de Londres. Tout a commencé lorsqu’un groupe d’étudiants désireux de sortir du quotidien urbain le temps d’un weekend décide de proposer main forte aux paysans des campagnes alentours, en échange d’un toit et d’un peu de nourriture. Basé sur des techniques de gestion et de conservation durable des espaces verts, le woofing est l’opportunité de découvrir des fermes biologiques à travers le monde.
Politiques locales, développement territorial et révolution douce
Entre agriculture, sylviculture et démarches éducatives, le projet contribue à la mise en valeur du parc National et s’inscrit dans les grandes lignes politiques du plan local. Il favorise nettement l’économie locale grâce à la création d’emplois locaux, à la vente de produits durables et une aide à la diversification. La communauté se bat pour conserver durablement la forêt et sauvegarder la biodiversité. Elle souhaite assurer le renouvellement à long terme des forêts de feuillus (variété de forêt tempérée, fleurie, stratifiée, avec un étage arborescent de chênes, hêtres et charmes) et rétablir ce type de bois dans l’ancienne vallée, site aujourd’hui principalement constitué de plantation de conifères. Ce projet d’aménagement et de conservation est essentiel au renouvellement et à la gestion durable du domaine forestier. À travers leurs ateliers artisanaux et la vente de produits, la communauté tend à réintroduire les pratiques traditionnelles de gestion de bois, en particulier le recépage et la re-végétation naturelle. Le projet encourage la participation locale en développant de nouveaux loisirs et activités. On parle d’un lieu gratuit, ouvert à tous : enfants, étudiants, groupes, retraités… Un lieu propice au développement des connaissances, à l’éducation, à la découverte de la faune et la flore, à l’épanouissement personnel, aux transmissions de savoir et savoir-faire comme le compostage, le travail du bois ou encore la culture biologique. De plus, de nouveaux accès et chemins ont été créés pour mieux parcourir ces milieux boisés, améliorant l’habitat faunique et préservant ainsi le patrimoine culturel et historique. Ce projet humain et culturel privilégie les rencontres et le travail des membres de la communauté avec les habitants et artisans locaux en mêlant espaces communs, activités professionnelles et auto-construction.
Un faible impact environnemental, mais quels équipements ?
Avant de s’installer, les membres de la communauté se sont entourés d’experts afin d’étudier la zone : histoire de la forêt, zones voisines, enregistrement des précipitations, débit, quantité et qualité de l’eau, exposition du soleil, vitesse et direction du vent, qualité des sols, risques d’érosion, vie végétale, animale et possibilité architecturale de l’habitat.
- Eau : prélevée sur une source. Un filtre à sable puis un filtre à charbon traitent l’eau. Un osmoseur ou des céramiques complètent le traitement pour l’eau de boisson. Les maisons ont l’eau courante. Pour les toilettes, on parle de « Pee hole » (urinoir à sciure) et toilettes sèches. L’urine est remise directement sans traitement dans les champs. Pour les salles de bain, il y a du chauffage et chauffe-eau à bois (fabrication maison). Machine à laver avec thermostat déconnecté.
- Électricité : énergie solaire, éolienne, eau. Production autonome grâce aux panneaux solaires et micro-hydraulique. Énergie électrique provenant de cellules solaires, turbine à eau, bois utilisé pour la cuisson et le chauffage.
- Habitat : chaque foyer a dû construire son logement. Utilisation de bois et d’une grande partie de matériaux recyclés, provenant principalement de scènes construites provisoirement sur des festivals. La diversité architecturale est forte. En effet, même si l’aspect esthétique passe après l’impact environnemental, chaque habitat crée ses propres solutions architecturales, de gestion et d’organisation. Conçus et pensés afin de s’adapter harmonieusement au paysage environnant.
- Consommation et déchets : les membres de la communauté utilisent uniquement des produits issus de la forêt, de l’environnement local. Aliments biologiques cultivés et consommés. Compostage.
- Ligne téléphonique et internet (quand même !)
Cette communauté le prouve chaque jour, il est possible de vivre de manière durable dans notre environnement naturel. Le projet ne démontre pas seulement les avantages et bienfaits de ce mode de vie à faible impact, mais souhaite être perçu comme une réelle expérience humaine et sensorielle : comment mieux vivre ensemble, en harmonie avec notre environnement naturel ? Les membres de la communauté sont réalistes. Ils ne s’attendent pas à ce que les visiteurs abandonnent du jour au lendemain leurs confortables appartements pour investir à leur tour la forêt. Mais qu’ils comprennent la démarche, qu’ils saisissent l’urgence du changement, et dans l’idéal, qu’ils appliquent certaines pratiques durables si ils se sentent en mesure de les intégrer dans leur vie quotidienne. Ils espèrent déclencher une prise de conscience, renforcer certaines opinions, être un déclic et incarner de manière concrète et positive le monde de demain. Crédits photographiques : Wild Wood, de l’artiste Fern Leigh Albert. Voir plus d’images.