C’est un cri d’alarme qu’a poussé la navigatrice Helen Mac Arthur à l’occasion du Forum de Davos, le 19 Janvier dernier : d’ici 2050, les océans abriteront plus de plastique que de poissons. Cette dernière étude confirme l’ampleur de cette pollution : bien moins médiatique que les marées noires, le problème des micro-plastiques dans l’océan pourrait avoir de graves conséquences sur le consommateur.
C’est une étude parue le 10 décembre 2014 dans le journal PLoS ONE qui chiffre pour la première fois la pollution plastique à la surface des océans. De façon assez surprenante, on constate que cette pollution n’est majoritairement pas le fait de ce que l’on nomme les « macro-déchets », les gros plastiques facilement visibles, mais bien des particules de moins de 4,75 mm, les micro-plastiques. Et les chiffres font froid dans le dos.
Nous savions que l’océan était pollué par les déchets émis par les populations continentales. Mais ce que nous ignorions, c’est à quel point : en compilant les chiffres de 24 expéditions conduites entre 2007 et 2013, les chercheurs sont arrivés à évaluer cette pollution à 268 940 tonnes de plastique. En comparaison il s’agit d’environs 1000 gros porteur Airbus A 380 ou 27 Tour Eiffel ! Au total, les micro-plastiques ne représentent que 10% de la masse de plastique présente dans les océans, mais un volume de 90%.
Les habitants des littoraux le savent, à chaque tempête, c’est une plage souillée de déchets qui s’offre à la vue, que les plus courageux vont ensuite nettoyer. Mais depuis quelques années un constat se fait : les plus gros déchets sont bien complétés par des milliards de billes de plastique, impossibles, elles, à nettoyer.
Les micro-plastiques : un impact direct sur la chaîne alimentaire humaine
La quantité de ces plastiques dans l’océan pourrait avoir des conséquences sur le consommateur, notamment via la consommation de poissons : en effet, on constate régulièrement la présence micro-fragments dans les entrailles des poissons commercialisés. On ne parle pas ici de tortues marines avalant des sacs plastiques en les confondants avec des méduses, mais bien d’espèces de poisson commercialisées en Europe.
Les microbilles plastiques flottent à la surface des océans, où elles sont réduites en plus petits fragments par l’influence du rayonnement solaire et l’action des vagues. C’est aussi en surface que se développe la base de la chaîne alimentaire des océans : le phytoplancton, des algues de taille microscopique. Les poissons se nourrissant de ces micro-algues ingurgitent aussi la pollution plastique. Celle-ci est alors prête à être délivrée sur nos étals de poissonnerie, les fragments migrant le long de la chaîne alimentaire. Ainsi, on retrouve dans les muscles et les tissus des poissons commercialisés des Polluants Organiques Persistants (POP, tels les phtalates et bisphénols) contenus dans les détritus.
L’abondance de ces micro-plastiques se fait donc sentir bien au-delà des gyres océaniques où est censé être concentrée la majorité des pollutions plastiques. Mais d’où viennent ces fragments, et pourquoi sont-ils présent en si grande quantité à la surface des océans ?
L’origine des micro-plastiques : une source bien difficile à maîtriser
La réponse tient à notre mode de consommation : depuis une quinzaine d’années un certain nombre de produits, tels des dentifrices ou des crèmes exfoliantes contiennent ces micro-plastiques, pour leur rôle abrasif. Une fois rejetées dans les circuits de traitements de l’eau domestique elles sont assurées de finir là où finissent tous les fleuves : dans l’océan. En effet les stations d’épuration ne sont pas équipées pour traiter des particules aussi fines et les rejettent donc dans l’environnement, où elles ne peuvent être assimilées. Il ne s’agit pas ici d’une limite financière mais bien technique.
Au point de vue législatif, il a fallu du temps pour que les pouvoirs publics s’emparent de cette problématique : l’interdiction de distribution des sacs plastiques à usage unique n’est en vigueur en France que depuis le 1er Mars 2016. Est-il besoin de rappeler que c’était une promesse faîte lors du Grenelle de l’Environnement… En 2008 ?
Dans l’industrie cosmétique, qui est donc une source importante de pollution aux micro-plastiques, il n’existe à ce jour aucune interdiction au niveau Européen ou national concernant l’usage de micro-plastique. C’est la pression des ONG sur les fabricants qui a permis d’obtenir des résultats : de nombreux fabricants (Colgate-Palmolive, Beiersdorf, Unilever, Procter & Gamble, Body Shop…) ont annoncé leur intention de réduire la part des micro-plastiques dans leurs produits d’ici 2017. Pour le dentifrice Oral-B, l’échéance est fixée à mars 2016.
Comme rien n’impose aux industriels de changer leurs modes de production, c’est donc au consommateur de faire des choix d’achats plus responsables pour inciter les industriels à évoluer.
Micro-plastiques : vers des solutions locales ou de grandes ampleurs ?
Malgré tout, des solutions pourraient se développer et des entreprises commencent à se lancer dans des études pour recycler ce plastique disponible en grande quantité.
Dans le monde de la gestion des déchets on parle de « gisement inexploité » lorsqu’une grande quantité de matière recyclable est inutilisée. Et c’est bien de cela qu’il s’agit : un gisement prometteur pour les aventuriers du recyclage prêts à se lancer dans l’aventure.
Certains entrepreneurs visionnaires se sont donc lancés dans des projets pharaoniques de récupération des matières plastiques dans les océans, souvent conseillés par de bons communicants. On peut citer le projet de Boyan Slat, Hollandais de 19 ans, qui souhaite faire circuler au sein des gyres océaniques un « entonnoir » géant couplé à un filet. Malgré une étude de faisabilité confirmée par les scientifiques aucun prototype n’a vu le jour, et de nombreuses questions restent sans réponse : tenue à la mer, impact sur les migrations de poissons, efficacité limitée sur les micro-plastiques. Des initiatives plus restreintes et plus locales, telle que mise en pratique par l’ONG Sea Shepherd qui propose des vêtements en partenariat avec Adidas créés à partir du nylon de filets illégaux puisés dans les océans, semblent prometteuses.
D’ici une décennie le recyclage de ces déchets directement en mer pourrait être une réalité : mais en attendant, ce sont nos modes de consommation qui continuent de polluer nos océans. Alors désormais, quand vous achèterez votre dentifrice, ayez une pensée pour les micro-plastiques que vous retrouverez dans votre alimentation…