Pour la journée mondiale du handicap et de l’accessibilité, revenons sur la mise aux normes des établissements recevant du public (ERP). Pourquoi une grande partie des établissements accueillant du public ne sont-ils toujours pas véritablement accessibles ? Éléments de réponse.

11 ans. Cela fait 11 ans que la loi Handicap du 11 février 2005 a été votée à l’Assemblée Nationale. Entre autre, cette loi prévoyait que dans un délai de 10 ans, tous les établissements recevant du public en France devraient être aux normes d’accessibilité pour les personnes en situation de handicap. En France, près d’1 million d’établissements de ce type sont recensés : restaurants, hôtels, supermarchés, commerces, mais aussi banques, bâtiments administratifs ou gares.

Qu’en est-il aujourd’hui ? Tous les établissements sont-ils aux normes ? Le 27 avril, Ségolène Neuville, secrétaire d’état chargée du handicap, qui était auditionnée par la Commission des Affaires Sociales, déclarait que 25 % des ERP en France n’étaient pas encore « rentrés du tout dans la démarche ». Au bout de 11 ans, un quart des établissements seraient donc encore inaccessibles aux personnes handicapées. De quoi remplir les bases de données de l’appli I Wheel Share, qui permet de recenser via son mobile les lieux publics accessibles ou non. Quelles sont les raisons d’un tel retard, pourquoi les lieux publics français bloquent-ils au niveau de l’accessibilité ?

Nos lieux de vie sont inaccessibles aux personnes en situation de handicap

Lorsque Ségolène Neuville parle de 25% d’ERP n’étant pas du tout rentrés dans la démarche, cela signifie que les chiffres sur l’accessibilité sont en fait encore pires. En effet, « rentrer dans la démarche » signifie avoir déposé un dossier, un Agenda d’Accessibilité Programmée (Ad’ap). Il s’agit d’un document prévisionnel, qui détaille les conditions dans lesquelles l’établissement va, à l’avenir, se mettre en conformité avec les normes d’accessibilité. Et les délais peuvent être longs. Très longs. Depuis la loi du 5 août 2015, un établissement pouvant accueillir jusqu’à 200 personnes a 3 ans à compter du dépôt de l’Ad’ap pour se mettre aux normes. Pour les plus grands établissements, le délai est de 6 ans, voire de 9 ans pour les ERP qui auraient des difficultés financières.

Ces 25% d’ERP n’étant pas rentrés dans la démarche, ce sont donc ceux qui n’ont pas du tout déposé leur dossier, dont la date limite de dépôt était pourtant fixée au 27 septembre dernier. Parmi ceux l’ayant effectivement déposé, il faut compter ceux ayant fait une demande de prorogation (environ 90 000 ERP). Au total, cela représente donc près de 35% des établissements n’ayant encore entrepris aucune démarche concrète de mise aux normes. Sans compter ceux qui ont effectivement déposé un Ad’ap, mais n’ont pas encore commencé les travaux, ou n’ont pas terminé les travaux.

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Accessibilité : des règlementations sans incitatifs et sans sanctions

Pourquoi un tel retard ? Plusieurs raisons. D’abord, un manque d’information : beaucoup de dirigeants d’ERP, notamment les plus petits comme les petits commerces ne sont même pas au courant du processus de mise aux normes et des délais.

Ensuite, probablement la structure des réglementations qui ne sont ni incitatives pour les établissements, ni coercitives. La sanction pour un ERP n’ayant pas déposé son Ad’ap avant la date buttoir ? 1500 euros d’amende. Dont il est précisé sur le site du ministère du Développement Durable qu’elle ne sera infligée qu’aux établissements n’ayant pas « justifié auprès du Préfet » le retard de leur dépôt. Justifié comment ? Sur quels critères ? Sans sanctions véritables, pourquoi les ERP s’inquièteraient-ils de leur accessibilité ?

D’autre part, pour les ERP, la mise au norme est un investissement important, en temps mais aussi en argent. Le temps de faire les démarches, de s’informer, l’argent de lancer les travaux. Il existe des aides financières bien-sûr. Les commerçants ont notamment accès aux aides du FISAC (Fonds d’Intervention pour les Services, l’Artisanat et le Commerce) dont les conditions sont loin d’être simples et transparentes, comme on peut le lire dans un document relayé sur le site du Ministère du Développement Durable.

« Au titre de ces aides directes, les aménagements destinés à faciliter l’accessibilité des entreprises aux personnes handicapées et aux personnes à mobilité réduite peuvent être subventionnés à hauteur de 40 % dans le cas des opérations urbaines et dans le cas des Opérations collective de modernisation de l’artisanat du commerce et des services (OCMACS), à condition que la participation de la collectivité soit égale à celle du Fisac et que le chiffre d’affaire de l’entreprise soit inférieur à 1 M€. L’aide du Fisac ne peut excéder 30 000 € par entreprise. »

Agefiph, Deveco, Oséo, régions, départements… autant d’organismes à même de financer en partie la mise aux normes… mais au milieu desquels il peut-être difficile de s’y retrouver.

Enfin, la prise en compte du handicap est malheureusement une problématique encore secondaire pour beaucoup d’ERP, qui sont d’abord concernés par leurs difficultés financières ou par leurs investissements à moyen terme. Et c’est sans compter les nombreuses exceptions concernant l’obligation de mise aux normes. Saviez-vous par exemple que votre commerce est exonéré de la mise au norme si « l’espace entre le bord de la chaussée et l’entrée de l’établissement présente à la fois une largeur de trottoir inférieure ou égale à 2,8 m, une pente longitudinale de trottoir supérieure ou égale à 5 % et une différence de niveaux d’une hauteur supérieure à 17 cm entre l’extérieur et l’intérieur du bâtiment» ?

 

Résultat, l’accessibilité et le handicap sont encore le parent pauvre de l’aménagement urbain et des mises aux normes de bâtiments accueillant du public. Tant qu’une prise en compte réelle de cette problématique n’aura pas lieu chez les directeurs de ces établissements, et surtout qu’une politique urbaine globale ne leur donnera pas les moyens de changer la situation, le problème risque de perdurer longtemps. Et d’empêcher les personnes en situation de handicap d’avoir accès aux bâtiments publics.