Le projet de Loi Travail prévoit d’instaurer un « droit à la déconnexion », à déployer par les négociations collectives sur la Qualité de Vie au Travail, au sein des entreprises. Mais qu’en est-il de notre responsabilité individuelle et de notre capacité à nous détacher de nos outils numériques ?
Le droit à la déconnexion, ça va mieux en le disant…
Alors même que la durée du travail est au cœur du Code du Travail depuis son origine, le déferlement des outils numériques et des smartphones en particulier ces 10 dernières années, a largement bouleversé notre rapport à l’employeur, qui s’invite désormais dans notre vie privée, le soir et le week-end, par voie de mails. Une étude de l’APEC apporte un éclairage chiffré à ce phénomène qui touche surtout les cadres : en dehors de leur temps de travail, 1/3 des cadres se déconnectent rarement, voire jamais. 63 % déclarent que cela perturbe leur vie privée et 60 % que cela affecte négativement leur qualité de vie.
Le projet de Loi Travail rappelle le « droit à la déconnexion », que les entreprises devront étendre en passant par le dialogue social. Elles pourront s’inspirer des premières initiatives menées sur ce terrain : mise en veille des serveurs informatiques entre 20h et 7h, charte de bonnes pratiques, promotion de l’exemplarité des managers…
Digital detox : encore faut-il que le salarié s’autorise à déconnecter
Le mode de vie « tout connecté » a complètement modifié notre rapport au temps et à l’espace : nos smartphones nous confèrent un don d’ubiquité qui nous permet de participer à une réunion tout en restant reliés à nos amis Facebook, mais aussi de partager des vacances en famille, tout en répondant à nos correspondants professionnels. Cette incontestable plus grande liberté, qui facilite la conciliation de nos vies professionnelle et personnelle, s’accompagne naturellement d’une porosité plus étendue entre ces sphères. Empiétant sur les temps de repos, préoccupant notre esprit à tout instant, entravant notre qualité de présence à l’entourage et au moment présent, cette omniprésence de l’univers professionnel accentue la fatigue et le stress.
L’instantanéité des échanges entraîne par ailleurs une accélération générale. Un cadre dans une grande entreprise résume la situation : « L’entreprise s’accélère, les gens s’attendent à recevoir une réponse dans les heures qui suivent leur demande. » La rapidité des échanges est vue comme un gage de productivité et exerce une pression constante sur chacun, pouvant entraîner un comportement addictif. C’est ainsi qu’un ancien fumeur témoigne au cours d’un atelier « digital detox » : « Avant, j’étais toujours à la recherche d’un bureau de tabac, maintenant, je suis toujours à la recherche d’une prise électrique ». Certains salariés en arrivent même à consulter leur messagerie toutes les 5 minutes.
A la gestion des mails s’ajoutent aujourd’hui l’activité sur les réseaux sociaux professionnels, Twitter, LinkedIn notamment, le besoin de se tenir informé en temps réel sur son secteur économique, une sorte de devoir de vigilance par écran interposé.
Pourquoi cette difficulté à déconnecter ? Quelle attitude adopter ?
Face à l’avalanche quotidienne de mails qui s’abat sur eux – plus de 100 mails par jour pour 38% des salariés (enquête de l’Observatoire de la Responsabilité Sociétale de l’Entreprise, 2011), certains cadres hésitent à se déconnecter, en appréhendant l’accumulation de messages pour plus tard. Si c’est votre cas : et si vous admettiez qu’il n’est pas possible de traiter tous les mails ? Et si vous répondiez à moins de messages ? Peut-être vos interlocuteurs changeraient-ils alors leur mode de communication avec vous : en faisant le tri, en vous téléphonant ou en regroupant leurs demandes.
Dans un contexte économique très compétitif, beaucoup tiennent leur délai de réponse aux mails pour une marque d’efficacité. Et si, pour votre manager invasif comme pour vos clients impatients, la rigueur et la pertinence de la réponse étaient plus essentielles que son instantanéité ? Et si votre entreprise attendait des salariés plus concentrés et moins accaparés par la gestion des mails ?
Le besoin de se sentir utile, voire même d’exister, peut se traduire par une hyperréactivité aux messages. Et si vos plus précieuses compétences étaient ailleurs ? Et si votre souci d’autrui passait par moins d’attention aux mails, plus d’attention aux collègues et aux proches ?
En attendant une hypothétique généralisation du « slow working » dans les organisations, chacun déploiera des stratégies différentes en fonction son tempérament, comme dans toute « cure détox ». Certains préféreront le mode progressif et ajusté : quitter son smartphone le temps du déjeuner, désactiver les données mobiles le soir et le week-end. D’autres opteront pour des actes plus radicaux : traitement des mails une fois par jour, ne plus lire les mails pour lesquels ils ne sont qu’en copie, abandon du smartphone au profit d’un simple téléphone mobile.
Bref, il s’agit de déconnecter pour mieux… nous reconnecter : retrouver capacité de concentration et recul face aux situations, privilégier la réflexion à la réaction, mais aussi préserver notre santé en réduisant le stress, développer notre présence à l’entourage professionnel et personnel et mieux goûter l’instant présent.