Ah le Brésil, ses plages magnifiques de sable clair, son carnaval coloré, ses bikini de rêve et sa musique entraînante ! Une véritable carte postale, qui a beaucoup compté lors de l’attribution des Jeux Olympiques à Rio de Janeiro en 2009. Mais une carte postale sérieusement écornée par tout ceux qui ont jeté un oeil sur la qualité sanitaire de la baie de Rio : véritable égout à ciel ouvert, sa dépollution était prévue pour offrir un plan d’eau parfait pour les épreuves de voile des JO. Mais voilà, celle ci n’a pas eu lieu et les autorités locales déploient maintenant des trésors d’organisation pour rassurer les athlètes, quitte à masquer les chiffres de la pollution. Alors que s’est il passé depuis 4 ans pour qu’on en arrive à cette catastrophe environnementale ? Faisons le point sur la face cachée de la baie de Guanabara.
Pollution de la baie de Rio : un égout bien pratique
On a beaucoup tendance à l’oublier mais le Brésil n’est pas encore un pays développé au sens économique ou nous l’entendons en Europe. Il est membre du groupe des BRICS, catégorie à part de pays en voie de développement rapide. Qui dit développement rapide, dit infrastructures en retard sur le niveau de développement. Et c’est exactement le cas du système de traitement des eaux usées, pratiquement absent de la seconde plus grande ville du pays, Rio de Janeiro. Conséquence :une grande partie des toilettes des 6,32 millions d’habitants se déversent directement dans la baie, permettant ainsi une évacuation par la marée bien économique pour les autorités de l’état de Rio, mais avec des conséquences catastrophiques pour l’environnement et la santé humaine.
C’est un article paru dans le Guardian qui le premier a révélé le scandale sanitaire. 1 an avant l’ouverture des JO l’Associated Press (AP) avait prélevé des échantillons sur chacun des sites olympiques pour les faire analyser dans ce qui était la première analyse indépendante mesurant à la fois les virus et les bactéries dans l’eau de la baie. Les résultats, publiés dans l’article, faisaient apparaître des taux de contamination proprement hallucinants.
Aucun des trois sites olympiques n’était épargné : les chiffres faisaient apparaître des concentrations en adénovirus, rotavirus, entérovirus et coliformes fécaux largement au dessus des normes américaines et européennes.
Les 3 premiers sont des virus responsables d’infections respiratoires, de diarrhées et de gastro-entérites pouvant être graves si non soignées. Les coliformes fécaux sont eux des marqueurs d’une contamination par les déjection humaines et animales : ils survivent peu de temps dans l’environnement tropical et permettent donc de tracer la source de pollution en fonction de leur concentration.
Les virus sont responsables de troubles du système digestif, de gastro-entérites et d’infections respiratoires, pouvant être graves si non soignées. Les rotavirus sont notamment directement responsables de la mort de 450 000 enfants chaque années selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS).
Les chiffres ont de quoi faire peur avec de simples exemples : entre 1,7 et 14 millions d’adénovirus par litres ont été dénombrés dans le lac Rodrigo de Freitas, devant héberger les épreuves d’aviron, quand le seuil d’alarme en Californie est de seulement 1000 par litres !
La pollution se fait sentir jusqu’à la célèbre plage d’Ipanema, pourtant située à l’extérieur de la baie. Ici les coliformes fécaux ont été mesurés à trois fois le niveau légal Brésilien !
Les marées sont censées emporter la pollution et la digérer : il est complètement illusoire de penser que la baie se vide intégralement et se renouvelle avec de l’eau propre comme une baignoire. La longue survie des virus (plusieurs semaines) dans l’eau est là pour le prouver : les stocks de pollutions sont très importants et seule une dépollution à la source permettrait l’amélioration de la situation.
Le bilan est simple à faire : la baie de Rio est hautement contaminée aux virus issus des intestins humains, et a un niveau de contamination aux coliformes fécaux trop élevé pour la pratique de sports nautiques.
Nier la pollution ne la fera pas disparaître
Les résultats de cette campagne de mesure ont été repris par la plupart des journaux du monde et la réponse du Brésil ne s’est pas faite attendre : l’eau des lieux de compétitions respecte les normes internationales de l’OMS. Circulez, il n’y a rien à voir !
Oui mais voilà : l’OMS ne mesure pas les virus dans son protocole d’évaluation de la qualité d’eau, et le Brésil ne mesure que les bactéries (escherichia Coli principalement), pas les coliformes fécaux. Voilà comment le brésil peut prétendre à une qualité d’eau satisfaisante quand la plupart des scientifiques mondiaux crient au scandale sanitaire.
En vidéo :
JO de Rio 2016 : pollution dans la baie
L’analyse des virus présents dans l’eau pour établir sa qualité sanitaire fait débat depuis des années, si bien qu’elle n’est pratiquée qu’aux Etats Unis, même si, en Europe, cela pourrait bientôt changer.
Le débat ne porte pas sur la dangerosité de ces virus, qui fait l’unanimité, mais plutôt sur la relation mathématique entre leur concentration et les activités humaines. On lui préfère donc l’analyse des coliformes fécaux et des bactéries, analysent qui d’ailleurs reviennent bien moins cher aux gestionnaires. Mais l’analyse des coliformes est trompeuse en milieu tropical, étant donné leur rapidité à être absorbés par l’environnement, ce qui conduit à sous estimer le risque pour les populations.
On pourrait penser que le Brésil ne fait qu’appliquer en toute bonne fois le protocole de l’OMS pour les mesures de qualité d’eau. Mais ce serait oublier la « disparition » des 4 milliards de dollars prévus pour la dépollution de la baie et la mauvaise gestion du gouvernement local concernant les précédents plans de traitement des eaux usées, qui confine presque à l’habitude.
En 1993 le Japon à travers son programme de coopération internationale a financé en partie le développement de 4 stations de traitement des eaux usées. Aucune des 4 ne fonctionne à plein rendement, et l’une n’a pas traité une seule goutte d’eau en 14 ans, jusqu’à son inauguration, il y a deux ans. Si bien que l’agence japonaise de développement a noté ce projet comme « insatisfaisant » et « sans impact sur la qualité d’eau de la baie ».
Exactement de la même façon le Brésil s’était engagé à construire 8 stations d’épuration pour les Jeux Olympiques. Une seule a vu le jour, ce qui explique que sur les fameux 4 milliards prévus, seuls 170 millions aient été dépensés.
Dans ces conditions comment imaginer que la pollution de la baie ait subitement disparue, comme le sous-entendent les communiqués de presse du Comité Olympique brésilien ?
Conscient que nier la pollution ne la fera pas disparaître, les pouvoirs publics se sont attaqués à celle qui se voit : des armées de petits bateaux sont chargés de recueillir les centaines de tonnes de déchets flottants qui n’ont pas été retenus par les barrages flottants. En plus du constat que ces hommes s’épuisent à écoper la mer avec des cuillères trouées, il est navrant de constater que pour certains journalistes, une pollution importante qui ne se voit pas, n’existe pas.
Que l’on ne s’y trompe pas : la pollution de la baie de Rio est plus que jamais d’actualité malgré ce que prétendent les autorités brésiliennes. Leur entêtement à nier cette pollution a poussé des chercheurs brésiliens à publier une tribune dans le New York Times pour dénoncer le fait que les athlètes vont nager (je cite) « dans la merde ».
Le scandale de la pollution de la baie de Rio est un cas classique de mauvaise gestion financière, mâtinée de promesses politiques et de véritables défis environnementaux.
Comment une enveloppe financière de 4 milliards, prévue seulement pour la dépollution de la baie de Rio, a-t-elle pu fondre au point de ne se traduire que par 170 millions de dollars d’investissements ? Sur les 8 stations de traitement des eaux usées prévues une seule a été construite.
Une fois de plus l’environnement a été la variable d’ajustement d’un budget mal ficelé, comme c’est trop souvent le cas dans les grands rendez vous internationaux. C’est encore plus déplorable quand ces économies de bouts de chandelles impactent le sport, porteur de valeurs fortes de respect… Y compris de l’environnement.
Crédits images : Le Figaro, AFP, Le Nouvel Observateur, Baie de Rio sur Shutterstock