Je vous propose de partir à la découverte de cette énergie marine à travers une série d’articles, explorant les capacités de chacun des industriels testant à l’heure actuelle leurs turbines au fond de la mer. Découvrons ensemble ce qui s’annonce comme une révolution énergétique.
Aujourd’hui nous nous intéressons à une petite PME bretonne, employant 12 personnes, rivalisant déjà avec les plus grands groupes : la Sabella et son hydrolienne D10 est en effet la première entreprise française à avoir mouillé en France un prototype fonctionnel d’hydrolienne, et à l’avoir raccordé avec succès au réseau de l’île d’Ouessant.
La Sabella D10, l’hydrolienne des grandes premières
La France a décidé de se lancer dans l’aventure de l’hydrolien en ouvrant deux « concessions » en mer, sur deux spots possédant un très fort courant de marée : le Raz Blanchard, en Normandie, dont je vous ai parlé la semaine dernière à propos de l’hydrolienne DCNS, et le passage du Fromveur, en Bretagne. Ces deux spots doivent permettre à deux industriels de tester leurs machines dans des endroits connus pour abriter les plus forts courants d’Europe, représentant à eux deux 20% du potentiel hydrolien de la France (3 GGW au total). Si DCNS a été choisi pour la Normandie, c’est la Sabella qui a été la première à mouiller son hydrolienne sur le site du Fromveur, au large d’Ouessant et en plein milieu du Parc Naturel Marin de la Mer d’Iroise.
Pour cela la Sabella a développé plusieurs modèles d’hydroliennes, d’un diamètre de plus en plus important. En 2008 c’est la D03, de trois mètres de diamètre, qui a servi de banc de test au large de Bénodet. Mais c’est la D10, d’un diamètre de 10 mètres qui a été installée dans le passage du Fromveur fin juin 2015 par 55 mètres de fond.
De novembre à mars celle ci a produit de l’énergie, ensuite injectée sur le réseau de l’île d’Ouessant : cette première internationale a permis de fournir à elle seule 70 MWh aux habitants de l’île, soit 5% de la consommation totale des Ouessantins. Il était prévu que l’hydrolienne fournisse 15 % de l’électricité consommée sur l’île mais un câble endommagé lors de la mise à l’eau de la turbine l’a empêché de fournir son plein rendement.
Le raccordement au réseau a permis de valider l’insertion de la turbine dans le cadre d’un réseau indépendant du réseau national : cet objectif pleinement rempli, l’hydrolienne a été sortie de l’eau en juillet 2016 pour être améliorée et fournir un retour d’expérience aux ingénieurs de la Sabella. Elle sera replongée à l’automne, cette fois pour trois ans dans le cadre d’un accord avec la Région Bretagne.
A terme ce sont ces deux grandes sœurs qui seront mouillées dans le passage du Fromveur afin de fournir de l’énergie aux îles de Bretagne, indépendantes du réseau national mais fortement consommatrice d’énergies fossiles. Ces hydroliennes modèle D15, de 15 mètres de diamètres, offriront dans 3 ans une capacité unitaire de 1,5 MW au maximum, pour un courant de 4 m/s, tandis que la D10 fournissait 1 mW dans les mêmes conditions.
L’hydrolienne D10 possède six pales et un moyeu central, avec une construction modulaire : son embase de 330 tonnes reste au fond de l’eau tandis que la turbine de 120 tonnes peut être remontée à la surface. Elle est apte à fonctionner dans les deux sens de marée (réversible) et démarre à basse vitesse. Son efficacité est excellente comparée à ses cousines les éoliennes : ces dernières ont un rendement estimé à 20 %, alors qu’il est le double pour les hydroliennes.
Un développement non sans difficulté mais qui s’annonce brillant
La Sabella vise à la mise en place d’une ferme d’hydrolienne appelée Eusabella utilisant des turbines D15 de 15 mètres de diamètres placées dans le passage du Fromveur, afin de fournir une énergie propre issue des courants de marées aux îles de Bretagne.
Si le marché domestique semble enfin mature, avec l’Appel à Manifestation d’intérêts (AMI) et les aides permises dans le cadre du Programme des Investissements d’Avenir (PIA), le futur n’est pas tout rose pour la Sabella.
Tout d’abord le rôle de défricheur de cette petite PME Quimperoise fait peser de lourds risques sur leurs épaules : les difficultés techniques telles que la mise en place d’une hydrolienne en mer ou sa relève entraînent des coûts imprévus importants pour les projets qui sont difficiles à évaluer en amont. Ceci entraîne également une difficulté de financement, la PME ayant mis deux ans à boucler son premier tour de financement devant la frilosité des investisseurs. Ajoutez à cela des risques imprévisibles comme le piratage d’une hydrolienne par un ransomware et vous obtenez un cocktail bien difficile à ingurgiter.
Mais la réussite technique du modèle de la Sabella semble l’emporter : la souplesse de la PME lui permet de concourir à l’international pour agrandir un marché domestique qui reste sa base arrière. L’Indonésie et les Philippines semblent intéresser par la technologie. Un partenariat a été signé avec les Philippines pour 3 à 4 hydroliennes D15, afin de fournir en énergie les riverains du détroit de San Bernardino et les îles les plus isolées. Et c’est bien cette « niche » que vise la Sabella : la production d’énergie pour les petites îles, alors que les grands groupes cherchent avant tout à exploiter de grands sites avec de forts courants.
Avec son implantation en Bretagne, soutenue par l’ADEME et des investisseurs privés, la Sabella espère bien rendre les îles bretonnes indépendantes du pétrole. Cette vision d’une énergie « décarbonée » et produite localement pour les îles correspond exactement à la politique actuelle de transition énergétique du gouvernement. Ainsi Molène, Ouessant et Sein se sont fixées comme objectif un mix énergétique issu à 100% d’énergies renouvelables. L’hydrolienne D10 y joue un grand rôle : elle a déjà permis d’abaisser le coût de l’énergie sur l’île d’Ouessant à 37 centimes, contre 44 centimes précédemment. Les 1315 habitants de ces îles ont un facteur d’émission de GES 13 fois plus élevé que les continentaux : la transition énergétique s’annonce comme étant une véritable révolution pour eux. L’Etat prévoit d’y investir 1,5 million d’euros sur trois ans.
Crédits images : AFP, Sabella, le Télégramme