Nous connaissions Jean Louis Etienne pour ses aventures à travers le Pôle Nord : à pieds, en traîneau ou en ballon, cet infatigable explorateur repousse toujours plus loin les limites du corps humain et de la science de terrain. Son nouveau projet Polar Pod est encore une fois à la croisée entre la science et l’exploration : développer une base de recherche océanographique économique, dérivant dans un des courants marins les moins connus… Car situé au bout du monde, autour de l’Antarctique.
Un univers à part, encore largement inconnu
L’antarctique, on commence à connaître. Avec pas moins de 34 bases en activité sur le 6ème continent, les données affluent de tous les pays pour améliorer notre compréhension de ce monde à part. En revanche ce qui est largement moins connu, c’est le courant circumpolaire Antarctique.
Comme son nom l’indique ce courant fait le tour du Pôle Sud, l’isolant du reste du monde : il est le siège des fameux « cinquantième hurlants », une zone météo très active, avec des creux de 3 à 6 mètres en moyenne et des vents très violents pouvant aller jusqu’à 180 Km/h.
Mais outre le fait que ce courant isole le continent le plus froid de la planète, c’est sa faible température qui en fait l’un des plus grands piège à carbone atmosphérique, ainsi qu’une véritable pompe océanique pour les autres grands courants marins.
En effet l’eau froide absorbe le carbone présent dans l’atmosphère en plongeant à grande profondeur, permettant ainsi aux océans de jouer le rôle de puits séquestrant les excès de ce gaz à effet de serre. Mais les mécanismes complexes de ce réservoir sont encore mal connus, et ce alors qu’ils revêtent une importance vitale pour comprendre le réchauffement climatique global et l’acidification des océans. Ajoutez à ça le fait que le courant circumpolaire Antarctique abrite une biodiversité parfaitement adaptée à la survie dans une eau à 4 degrés en moyenne et que celle ci est encore largement inconnue, vous comprendrez aisément l’intérêt scientifique d’aller voir sur place !
Le programme scientifique inclut 51 institutions ou universités, 10 nations et 4 domaines d’étude. Jean Louis Etienne le dit lui même : « Il y a une forte demande de la communauté scientifique : l’Ifremer, le CNRS et le CNES se sont impliqués dans le projet. » Le programme s’annonce donc vaste : pendant deux ans, en se relayant par périodes de trois mois, l’équipage va mesurer les échanges entre l’océan et l’atmosphère, identifier les espèces marines par l’écoute passive, rechercher et quantifier les micro plastiques ainsi que calibrer les satellites observant le phytoplancton à partir de l’espace.
Mais pour réaliser une telle campagne océanographique il faut le navire qui va avec. Les conditions des cinquantième hurlants ont poussé l’explorateur à développer un tout nouveau concept : une plateforme dérivante, sans moteurs, capable de rester sûre et stable dans des vagues de 12 mètres !
Des technologies vertes pour une autonomie complète
C’est un projet absolument hors norme qu’a lancé depuis 2012 Jean-Louis Etienne. Né sous la plume du bureau d’étude naval Lorientais Ship-ST, Polar Pod est une plateforme capable d’accueillir un équipage de sept personnes – trois marins et quatre ingénieurs – pour une rotation de trois mois.
Afin de résister aux conditions climatiques extrêmes de l’océan austral, son architecture est inspirée du bâtiment du Scripps Institute of Oceanography, le Flip, capable de basculer à 90 degrés en enfonçant sa proue lestée sous l’eau. Cette architecture offre une stabilité à toute épreuve en cas de mer forte, tout en assurant une prise maximale au courant afin de voyager à la vitesse d’un nœud tout autour du Pôle Sud.
Le Polar Pod mesurera donc 100 mètres de haut, dont 70 sous l’eau : les quatre étages (dont deux d’habitation) se retrouveront en haut après le basculement du navire sur son lest de 150 tonnes, qui sera tracté sur zone par un remorqueur à partir de l’Afrique du Sud.
L’ensemble du Polar Pod fait appel aux techniques douces pour assurer un confort nécessaires aux membres d’équipage. Ainsi il n’y a pas de motorisation : si le besoin se fait sentir de maintenir la plateforme dans le courant circumpolaire, des voiles directrices de 260 m² sont à disposition au sommet de la structure. De même l’énergie à bord sera fournie par quatre éoliennes de 3,2 KW chacune. Prudent, l’explorateur envisage tout de même d’emporter un groupe électrogène de secours. Enfin d’épaisses couches de matériaux isolants garantiront l’isolation de la cabine et le confort des passagers.
Le navire sera construit dans le Sud de la France, avant d’être convoyé à Durban en Afrique du Sud, qui sera le point de départ pour une aventure de 3 ans en mer. Ce que Jean Louis Etienne décrit comme une future « ISS de la mer » aura comme vocation d’accueillir des chercheurs du monde entier pour faire progresser notre connaissance de ce milieu extrême, rarement étudié.
Comment ne pas partager l’enthousiasme de son créateur quand il s’exclame «Chaque projet est une excitation mais celui-là est vraiment au top, entre sciences et aventure.» ? Et l’aventure, Jean Louis Etienne connaît : en 1986 il a été le premier homme à rejoindre le Pôle Nord en solitaire. Le projet Polar Pod a pour le moment recueilli les deux tiers des dix millions d’euros nécessaire à sa concrétisation : de quoi espérer le voir prendre la mer en 2019.
Crédits images : le Monde, Neoplanète, Futura Science, jeanlouisetienne.com