Quel meilleur symbole du recul de nos côtes que la cas de l’immeuble du Signal, à Soulac-sur-Mer en Gironde ? Construit dans les années 60 loin de la mer, ses propriétaires ont finalement été évacués en Janvier 2014 devant le danger, la dune sur laquelle l’immeuble était construit menaçant de disparaître dans les vagues. Le constat est un peu partout le même en France : nos côtes reculent, sous l’effet du changement climatique certes, mais aussi… des mauvais choix d’urbanisme littoral.
Une érosion très rapide du trait de côte en 50 ans
Alors que l’hiver approche avec ses tempêtes, les littoraux de France se préparent à reculer une fois de plus sous l’assaut des vagues. Mais pour les propriétaires de l’immeuble du Signal, c’est un hiver qu’ils ne verront plus de leurs fenêtres.
Construit il y a 50 ans à 200 mètres de la mer, à proximité d’une côte sableuse, cet immeuble se retrouve maintenant les pieds dans l’eau et la face dans les embruns, suite au recul de la côte sous l’assaut des tempêtes hivernales.
Une situation à laquelle personne n’était préparé, ni l’Etat, ni les propriétaires : de nombreux travaux de stabilisation du rivage ont été réalisés, en pure perte. Résultat, la justice décide de l’évacuation des derniers propriétaires en 2014 devant l’ampleur du risque… sans indemnisation.
La faute en revient à cette évolution du littoral trop rapide pour le législateur : aucun dispositif d’indemnisation n’a été prévu pour des cas comme celui du Signal. Avant d’être expropriés, les propriétaires n’avaient reçu qu’une proposition d’1,5 million d’euros à se partager, soit… 20 000 euros par appartement. Une indemnisation jugée scandaleuse et refusée, ce qui a conduit à une expropriation sans contrepartie financière.
Pourtant un fond existe pour indemniser les victimes d’aléas naturels : le Fond de Prévention des Risques Naturels Majeurs (FPRNM) dit « fonds Barnier ». Depuis 1995 celui ci est censé servir à financer les indemnités d’expropriation de biens exposés à un risque naturel majeur. Ce fond permettrait donc de couvrir la totalité de l’acquisition du bien menacé, mais sous certaines conditions.
Afin d’en bénéficier et devant le refus de la DDTM (Direction Départementale des Territoires et de la Mer) de leur allouer, les 78 propriétaires de l’immeubles se sont donc adressés à la justice : La cour administrative d’appel de Bordeaux ayant « jugé que les conditions à la mise en oeuvre de ces dispositions n’étaient pas réunies » en février 2016, ceux ci sont toujours en attente d’une indemnisation pour leur bien, qui menace toujours de sombrer dans la mer. Leur dernier espoir est le Conseil d’Etat, qui devait se prononcer sur la forme de l’affaire début Décembre 2016. Le Conseil a cassé la décision du tribunal d Bordeaux… et l’affaire reste à suivre.
De la défense contre l’érosion au « retrait stratégique »
Avant d’en arriver là des solutions avaient été mises en place pour ralentir la fuite du sable et l’érosion de la dune sur laquelle l’immeuble était construit. Elle sont d’ailleurs bien visibles sur les photos satellites de Google Earth : des épis, placés perpendiculairement au littoral, censés capter le sable de la dérive littorallee pour le fixer. Mais ceux ci ne sont pas efficaces contre une érosion aussi importante et coûtent cher à la commune, qui n’est juridiquement pas obligée d’assurer la défense des biens littoraux des particuliers.
Les épis sont une défense « en dur » contre l’érosion, inamovibles et bien souvent en béton ou enrochements. Ces techniques n’ont pas démontré leur efficacité depuis qu’elles sont mises en pratique : au choix, le peu de sable accumulé pendant l’été sera remis en circulation pendant l’hiver avec les tempêtes, ou bien l’accumulation de sable qu’ils engendrent creusera la côte en aval. C’est cette circulation du sable le long du littoral qu’il faut bien comprendre : si certains endroits s’engraissent sous l’accumulation de sable, d’autres se creusent plus loin en contrepartie. Et c’est bien ce qu’il s’est passé pour l’immeuble du Signal, les aménagements en dur en amont ayant perturbé la dérive littorale, la mer a repris du sable en aval… juste devant l’immeuble, qui lui a aussi été bâti sur du sable dunaire.
D’autres techniques sont maintenant préférées aux épis et aux enrochements : il s’agit avant tout de prendre conscience du problème le plus tôt possible, pour mettre en place ces solutions douces pour le trait de côte au plus vite. A présent on joue sur la flexibilité du littoral, en respectant la dynamique sédimentaire saisonnière : les plages s’engraissent en été et perdent du sable en hiver. Ce sable ira nourrir d’autres plages en aval pendant l’été. On privilégie aussi la végétation pour ancrer le sable plutôt que le béton : ces techniques souples minimisent les dégâts des tempêtes hivernales, une année suffisant à reconstituer le stock de sable qui ne se serait jamais re-déposé en présence de béton.
Comme exemple on peut citer les AlgoBox testées par l’Université de Bretagne Sud dans le Morbihan : il s’agit de préserver le cordon dunaire, la meilleure défense contre les submersions marines, en favorisant l’ensablement du haut de plage. Concrètement ce projet prends la forme d’enclos de ganivelles, de fines planches imputrescibles, piégeant le sable et favorisant la retenue des algues qui serviront d’engrais à la végétation. Résistant aux tempêtes, économique, très simple de maintenance et proposant une solution aux échouages massif d’algues les AlgoBox sont en cours de validation sur la Presqu’île de Rhuys avant d’être proposées sur d’autres plages.
Quand ces techniques ne sont plus possibles une notion commence à émerger : celle du retrait stratégique, qui consiste a évacuer la population vers l’intérieur des terres. Néanmoins elle requiert des instruments juridiques qui commencent à peine à voir le jour.
Le recul du trait de côte pose un défi pour l’homme moderne : passer d’une logique de conquête de l’espace littoral à celle de « flexibilité environnementale ». Les politiques publiques commencent à envisager le fait qu’on ne puisse pas résister aux assauts de la mer : la proposition de loi « Adaptation des territoires littoraux aux changements climatiques » a été adoptée en première lecture par l’Assemblée Nationale le 1er Décembre. Cette loi offre les outils de planification nécessaires pour prévoir le risque littoral, en précisant les mesures particulières à prendre dans les zones à fort risque d’érosion. Ceci devrait permettre que le cas de l’immeuble du Signal ne se représente plus jamais, dans un littoral qui s’émiette de plus en plus. Et les choses n’iront pas en s’arrangeant : le BRGM prévoit une accélération de près de 50 mètres perdus d’ici 2050 pour le territoire Aquitain !