Et si l’on vous disait que vous avez un « deuxième cerveau » capable d’influence votre bien-être, vos émotions, votre productivité… ? Intéressons-nous de plus près à cet organe mystère qui affecte notre vie et notre travail.
Depuis quelques années, nos intestins sont devenus un centre d’intérêt majeur de la part des scientifiques, comme du grand public, grâce à des ouvrages tels que « Le Charme discret de l’intestin »[1] ou des documentaires tels que « Le ventre, notre 2ème cerveau »[2]. Rapprocher nos intestins (affectés aux basses besognes) de notre cerveau, (organe noble s’il en est) c’était déjà une provocation. Mais affirmer que ce qu’il se passe dans nos viscères peut influer notre mental et nos émotions, c’est presque subversif. Et pourtant…
Un système nerveux dans notre tube digestif
De nombreux travaux scientifiques menés ces dernières décennies sur notre système nerveux entérique ne cessent d’alimenter la presse et la littérature afin de partager cette découverte majeure : l’intestin est doté d’un système nerveux autonome ! « Autonome » mais néanmoins largement connecté au système nerveux central. Doté de 200 millions de neurones issus du même feuillet embryonnaire que les neurones du système nerveux central, ce centre nerveux assure la régulation du complexe processus de digestion, en coordonnant notamment l’activité motrice des organes. Ce système nerveux est dit autonome dans la mesure où nous ne contrôlons pas volontairement son action.
Il est cependant largement connecté au système nerveux central et notamment au système limbique, siège de nos émotions. Chacun d’entre nous a eu l’occasion de remarquer l’influence de nos émotions sur notre capacité à bien digérer ou non et sur la motilité intestinale, le transit.
La liaison entre système nerveux central et système nerveux entérique est établie par le nerf pneumogastrique ou « nerf vague ».
Si nous entrevoyons comment notre état émotionnel peut influencer notre système intestinal, peut-on en dire autant de l’inverse : notre système intestinal a-t-il une influence sur notre état émotionnel ? Ici, un neurotransmetteur essentiel entre en jeu : la sérotonine. Celle-ci assure des fonctions bien spécifiques au niveau intestinal : contrôle de la motricité et stimulation des défenses immunitaires de l’intestin. C’est la raison pour laquelle cette sérotonine produite dans l’intestin, correspond à 90% de l’ensemble de la sérotonine produite par notre organisme ! Or, sa fonction au niveau central est d’apporter sérénité et bien-être. Lorsque la digestion est perturbée ou la paroi intestinale en mauvais état, nous comprenons alors que cela puisse avoir une influence sur la production de ce neurotransmetteur-clé, et du même coup, sur notre humeur du jour !
Plus largement, les signaux émis par les intestins arrivent, par le nerf pneumogastrique ou nerf vague, dans les régions cérébrales qui gèrent la perception du moi (!), les sentiments, la peur, la motivation… Grâce à ses nombreux plis et replis, l’intestin est l’organe le plus en relation avec le milieu extérieur, bien plus que la peau ou les poumons. La surface de contact estimée à 300m2 équivaut à celle d’un court de tennis ! Ceci explique que 80% de nos cellules immunitaires y montent la garde. Mais surtout, cela en fait un puissant organe de perception de notre environnement. Ces perceptions voyagent le long du nerf pneumogastrique pour être intégrées au niveau cérébral. Le cerveau intègre, décide, réagit en prenant en compte ces informations entre autres.
Un cerveau sous influence microbiotique ou l’intelligence du ventre
Parmi les découvertes scientifiques les plus récentes, le rôle de la flore intestinale prend de plus en plus d’ampleur. Son rôle potentiel dans la communication entre le système nerveux entérique et le système nerveux central est particulièrement fascinant.
On parle aujourd’hui plus volontiers de microbiote que de flore, car cet ensemble est en réalité plus animal que végétal : composée de 100 000 milliards de micro-organismes, représentatifs de centaines d’espèces différentes, logée dans notre tube digestif, cette population nous rend plusieurs services indispensables. En particulier, ces hôtes se chargent de la dégradation des fibres végétales, par fermentation. Ces microbes saprophytes, c’est-à-dire bénéfiques, contribuent même à la synthèse de vitamines, notamment certaines vitamines B, si indispensables à l’équilibre nerveux.
Si les espèces qui composent ce microbiote sont variées, certaines sont plus présentes que d’autres dans nos intestins. D’une personne à l’autre, telle ou telle famille de bactéries va être prépondérante par rapport à d’autres. Nous disposons d’un microbiote très personnel, très spécifique à chaque individu. Or, des études se multiplient pour analyser les liens entre typologies de bactéries et santé et même entre bactéries et psychologie, donnant naissance à une nouvelle science : la psychomicrobiotique.
En effet, des études scientifiques[3] établissent des liens entre la qualité du microbiote, sa composition, et des troubles neurologiques, tels que l’autisme mais aussi la dépression. L’expérience menée au Canada par le Pr Stephen D Collins[4] avec 2 groupes de souris, l’un composé de souris identifiées comme craintives et anxieuses et l’autre de souris plus téméraires et curieuses, est édifiante. Une manipulation a consisté à intervertir les souches des microbiotes intestinaux des 2 groupes. Ces transferts de flore ont inversé les tempéraments des souris : les souris « anxieuses » sont devenus « normales » et inversement ! Nos comportements seraient donc partiellement influencés par des micro-organismes étrangers que nous hébergeons dans notre intimité…
En résumé, le système nerveux entérique influe directement sur nos météos internes, sentiments et perceptions et le microbiote oriente nos comportements, voire notre personnalité !
Equilibre et bien-être au travail : et si on s’occupait de notre ventre ?
Conscients de l’importance de notre « quotient émotionnel » dans notre bien-être au bureau comme dans notre réussite professionnelle, nous pourrions nous pencher sur ce 2ème cerveau et développer un peu d’attention à l’état de santé de nos intestins et à la composition de son microbiote.
Comment ? En priorité, en choisissant une alimentation à la fois savoureuse et aussi digeste que possible et non simplement comestible ; en favorisant les aliments qui nourrissent la flore bénéfique (les végétaux) ; en réduisant l’ingestion de « sucres rapides », c’est-à-dire à indice glycémique élevé, qui alimentent des hôtes moins désirables ; en limitant les traitements antibiotiques et en les compensant par des cures de probiotiques de qualité… Mais aussi, en soignant notre stress, grand perturbateur de la digestion et du microbiote, lui-même grand régulateur du… stress !
[box]Sources :
- [1] Jiulia Enders – Actes Sud
- [2] Arte – Cécile Denjean
- [3] Gut:brain axis and the microbiota” EA. Mayer, K. Tilisch, A Gupta. The Journal of Clinical Investigation
- [4] Collins SM, Kassam Z, Bercik P., The adoptive transfer of behavioral phenotype via the instestinal microbiota experimental evidence and clinical implications. 2013;16(3) 240-245[/box]