Et si, structurellement, la société créait des stéréotypes de genres qui empêchaient les jeunes filles de pouvoir viser des carrières à succès ? C’est en tout cas la conclusion de plusieurs études récentes qui montrent que, dès le plus jeune âge, les jeunes filles tendent à se percevoir « moins brillantes » et « moins capables » que leurs homologues masculins…

On le sait, dans toutes les sociétés, y compris en France, il existe de grandes disparités notamment professionnelles entre les hommes et les femmes. De manière générale, pour tous les postes de dirigeant, postes à responsabilité, ou même mandats politiques, les femmes sont largement moins représentées que les hommes. Ainsi, seules 14% des entreprises françaises sont dirigées par des femmes. À l’Assemblée Nationale sur 577 députés, seules 155 sont des femmes, soit à peine plus d’un quart des élus. Il en va de même dans les études supérieures : alors que les femmes sont majoritaires parmi les étudiants, elles ne représentent que 28% des étudiants en sciences fondamentales, 20% seulement des effectifs des Écoles d’Ingénieur, et elles sont minoritaires dans les Classes Préparatoires…

Alors qu’en théorie, les femmes ont les mêmes droits en matière de formation, d’emploi et de travail, en pratique, elles sont sous-représentées dans toutes les filières qui sont perçues comme « l’excellente » et dans tous les domaines qui sont perçus comme les signes du succès professionnel. Qu’est-ce qui explique cet écart ? Depuis quelques années, plusieurs chercheurs pensent avoir trouvé une partie de la réponse : il s’agirait des stéréotypes que notre société fait perdurer sur les femmes et les hommes.

Stéréotypes : quand les filles se perçoivent « moins brillantes » que les garçons

filles egalite stereotype ecoleUne étude publiée en janvier 2017 dans le magazine Science a décidé de se pencher sur la question des perceptions que les jeunes enfants ont de leur genre. Ils ont ainsi raconté à des enfants de 5, 6 et 7 ans une histoire à propos d’une personne « vraiment très intelligente » sans préciser le genre de cette personne. Ils ont ensuite demandé aux enfants de deviner qui était cette personne intelligente à partir d’une série de photos. L’objectif était de voir si les enfants allaient choisir plutôt des hommes ou des femmes. Résultats ? Les enfants de 5 ans ont des réponses similaires qu’ils soient garçons ou filles. Néanmoins, à partir de 6 ans, les chercheurs ont constaté que les filles étaient moins susceptibles d’associer leur propre genre à cette personne « très, très intelligente ». Or, on sait que c’est à partir de 6 ans que s’ancrent les stéréotypes dans l’esprit des enfants. Ce que ces données tendent à prouver : à partir du moment où les enfants intègrent nos stéréotypes sociaux, ils sont plus susceptibles d’associer l’intelligence avec le genre masculin qu’avec le genre féminin.

Dans une deuxième partie de l’expérience, les chercheurs ont proposé deux jeux aux enfants : l’un était « un jeu pour les enfants très intelligents » et l’autre était « un jeu pour les enfants très travailleurs ». Ce que l’étude met en évidence, c’est que spontanément, les filles se détournent du premier pour aller majoritairement vers le second. Tout se passe donc comme si inconsciemment, les filles évitaient les jeux, les sujets ou les travaux qui sont associés à une plus grande intelligence. Les conclusions des auteurs sont sans appel : les filles se perçoivent moins brillantes que les garçons.

Les stéréotypes masculins et féminins empêchent les femmes de développer leur plein potentiel

Egalite-hommes-femmes-performanceCes résultats confirment d’autres données issues de publications plus anciennes. Ainsi, en 2015, l’OCDE a publié un rapport intitulé « ABC de l’égalité de genre dans l’éducation ». Dans ce rapport, les chercheurs ont étudié les perceptions des jeunes enfants et la façon dont cela affectait leurs choix d’études et de carrière et leurs attitudes au travail. Ils ont ainsi pu identifier que globalement, les filles manquaient de confiance en elles, se percevaient moins brillantes que les garçons toutes choses égales par ailleurs. Ainsi, les filles avaient tendance à sous estimer leurs capacités à résoudre des problèmes mathématiques ou scientifiques. Au contraire, ils ont pu mesurer que les garçons avaient tendance à faire preuve d’une très forte confiance en eux, quitte à surévaluer leurs capacités.

Une autre étude montrait que dans certains domaines (notamment les sciences, les métiers de l’ingénierie et du digital), l’omniprésence d’une « culture masculine » donnait l’impression aux femmes qu’elles ne pourraient pas s’y intégrer, qu’elles seraient mal à l’aise… Et cela a tendance à les détourner de ces domaines d’études ou de travail.

Dans le monde de l’entreprise, une fois encore, les stéréotypes de genre empêcheraient les femmes de progresser. D’après le rapport McKinsey intitulé « Women Matters » les femmes auraient tendance à adopter des formes de management différentes des hommes. Elles baseraient leurs rapports aux autres sur la communication, la collaboration, la co-construction, alors que les hommes fonctionneraient plutôt dans la compétition, l’émulation et la performance individuelle dans leurs relations sociales. Et semble-t-il, dans un monde de l’entreprise largement dominé par les hommes, le « style de management féminin » (si l’on peut dire, par abus de langage) serait perçu comme « un manque d’ambition ». Autrement dit, inconsciemment les femmes n’adopteraient pas les « codes masculins » du monde de l’entreprise et ne seraient donc pas perçues comme de potentiels leaders dans ce cadre.

Comment changer les choses ? Le rôle de l’éducation

Tous ces stéréotypes, toutes ces perceptions étant du domaine socio-culturel, ils sont intégrés profondément dans les habitus et dans l’esprit des individus. C’est ce qui les rend pernicieux et difficilement perceptibles. Les hommes par exemple n’ont en général pas conscience d’être beaucoup plus confiants que les femmes (quitte à l’être parfois trop). De leur côté, les femmes n’ont pas nécessairement conscience qu’elles peuvent, parfois, s’auto-censurer et ne pas réaliser leur plein potentiel, par manque de confiance. Par essence, ces stéréotypes sont ancrés en nous et nous ne les percevons même plus tant ils nous semblent naturels.

C’est aussi ce qui rend difficile la lutte contre ces stéréotypes. Ils sont en chacun de nous, et sans nous en rendre compte, nous les transmettons à nos enfants. C’est ce que nous faisons quand nous décidons d’offrir à un garçon un petit laboratoire de chimie pour son anniversaire, et à une fille une maison de poupée. Sans penser à mal, nous contribuons à faire rentrer dans l’inconscient de nos enfants certaines perceptions de leur genre et d’eux-mêmes. En être conscient permet de lutter contre ces phénomènes et de travailler, par l’éducation, à changer notre vision de l’homme et de la femme pour parvenir progressivement à l’équité des hommes et des femmes. Comment faire ? Les chercheurs ne donnent pas de réponse définitive, mais seulement quelques pistes :

  • Valoriser les accomplissements des femmes dans tous les domaines, pour faire comprendre aux jeunes enfants que tous les grands scientifiques ou politiques ne sont pas forcément des hommes.
  • Mettre fin au marketing du genre qui tend à reproduire les stéréotypes de genre.
  • Valoriser le travail, la confiance en soi et la progression aussi bien chez les garçons que chez les filles.

 

En tout cas, le chemin vers la fin de ces stéréotypes sera long et difficile. D’après le World Economic Forum, il faudra encore 170 ans de progrès dans ce domaine pour vraiment atteindre une égalité économique entre les hommes et les femmes. Et même à ce moment-là, il y aura encore sans doute des progrès à faire dans les domaines sociaux et culturels. Raison de plus pour s’y mettre dès aujourd’hui !