Et si la lutte contre les inégalités était la vraie condition préalable pour construire un monde plus durable et écologique ? On vous explique !
Dans la lutte pour un monde plus écologique et plus durable, on parle volontiers d’énergies renouvelables, des smart cities, des voitures électriques ou encore du prix du carbone. Bien sûr, toutes ces initiatives ont un but : réduire notre impact environnemental afin d’assurer à nos sociétés la capacité de continuer à exister sans détruire leur environnement. Mais un facteur est souvent oublié dans la lutte écologique et dans les réflexions pour un futur plus durable : la question des inégalités.
On le sait, malgré la croissance économique de ces 100 dernières années, les inégalités économiques et sociales persistent partout dans le monde. Dans les pays développés, elles tendent même ces dernières années à augmenter. Par exemple, en France, le salaire des patrons les plus riches a augmenté depuis 2008 de 33% (alors même que l’on est en contexte de crise économique), alors que le salaire horaire minimum n’a lui augmenté que de 80 centimes (soit un peu plus de 9%). Autrement dit, les salaires des plus riches ont augmenté 3 fois plus vite que ceux des plus pauvres. Mais quel est le rapport entre ces inégalités et l’écologie, la durabilité et l’environnement ?
Il semble que ces deux réalités en apparence distinctes soient en fait intimement liées et qu’on ne puisse pas envisager un futur réellement durable et écologique sans réduire les inégalités.
Inégalités, pauvreté et écologie : pourquoi ça coince ?
Les inégalités, en particulier les inégalités de revenu, sont un vrai frein au développement d’une société plus durable et écologique. En effet, dans les sociétés très inégalitaires, la préoccupation pour l’environnement et l’écologie peut être très variable. Plusieurs études ont ainsi montré qu’au sein d’un pays, ce sont en moyenne les populations les plus riches qui se préoccupent le plus des problèmes environnementaux comme le réchauffement climatique. Et c’est normal. Les populations pauvres ont très souvent d’autres priorités et d’autres inquiétudes que l’écologie, qui peut apparaître comme un enjeu lointain. (Notons toutefois qu’en moyenne, les riches polluent plus que les pauvres à cause de modes de vie moins respectueux du climat et de l’environnement).
Surtout, avoir une consommation écologique au quotidien coûte cher. Acheter bio, acheter une voiture électrique, faire rénover son logement pour moins gaspiller d’énergie… tout cela coûte cher, et les populations les plus précaires qui ont déjà du mal à boucler leurs fins de mois n’ont pas les moyens de se préoccuper des conséquences environnementales de leurs achats. Il semble donc que les inégalités constituent un frein notable au développement de produits plus écologiques sur le marché de la consommation. En effet, généralement, des produits plus écologiques coûtent plus cher : une étude comparative montrait en 2010 au Royaume-Uni que les produits « écologiques » ou « green » étaient en moyenne 44% plus chers que leurs équivalents « standards ». Ce n’est pas toujours le cas, mais bien souvent, c’est logique : produire un produit de façon plus écologique coûte souvent plus cher. Il faut rechercher des fournisseurs responsables, utiliser des ressources de façon plus durable, investir dans des infrastructures, des modes de transport ou des technologies plus écologiques… Bref, faire un produit plus « vert » ce n’est pas gratuit pour une entreprise, et cela se répercute donc sur le consommateur. Résultats, 4 consommateurs sur 5 estiment que les produits écologiques sont plus chers. Et ils sont 60% à déclarer qu’ils achèteraient plus volontiers un produit écolo s’il était en solde ou s’il permettait de faire des économies.
Cela tend à prouver que les populations seraient prêtes à acheter des produits écolo, mais qu’une majorité ne le font pas, tout simplement car ils n’ont pas les moyens. Les inégalités de revenu contribuent donc à freiner le développement du marché des produits écologiques. En réduisant les inégalités et en augmentant la redistribution dans la société, on réduirait la pauvreté et on donnerait donc à plus de consommateurs les moyens d’acheter des produits écologiques. Et bien entendu, cela pourrait créer une émulation dans le monde de l’entreprise sur le secteur des produits écologiques.
Quand les inégalités freinent les débats sur l’écologie
L’autre problème des inégalités, c’est qu’elles freinent les réflexions sur l’écologie et le développement durable. Prenez l’élection présidentielle 2017 par exemple. Parmi les enjeux jugés importants par les citoyens pour l’élection, l’écologie n’arrive qu’en avant-dernière place avec seulement 1 français sur 3 jugeant l’enjeu très important. En revanche, tous les sujets économiques (redressement économique, niveau des impôts, concurrence et mondialisation économique) arrivent tous dans les premières positions. Dans un pays où les inégalités économiques sont fortes, où la pauvreté est très présente, les citoyens ont d’autres priorités sur le plan politique que l’écologie. Résultats ? Les questions écologiques sortent de l’agenda politique et peu de candidats en parlent réellement car au final cela intéresse assez peu d’électeurs.
De leur côtés, les riches ou les classes privilégiées n’ont pas forcément intérêt à ce que l’écologie ait une place centrale dans les débats politiques. En effet, une étude publiée par le Département des Affaires Économiques et Sociales de l’ONU a montré que les classes aisées subissent moins les effets néfastes de la pollution ou du réchauffement climatique. Ils habitent souvent dans des quartiers épargnés des pollutions industrielles, disposent des moyens nécessaires pour acheter des produits alimentaires de qualité… L’écologie n’est donc pas nécessairement une préoccupation politique de premier plan pour ces citoyens qui n’ont pas besoin que la collectivité agisse dans ce domaine. Au contraire, les plus privilégiés auraient tendance à soutenir des politiques axées sur la croissance économique et industrielle (ce qui est rarement durable ou écologique).
Si nos sociétés étaient moins inégalitaires, l’ensemble des citoyens auraient plus de temps, d’attention à accorder aux débats sur l’écologie. Ils auraient aussi plus de raisons pragmatiques de le faire, et cela permettrait de remettre au centre du jeu politique cette question fondamentale.
Les inégalités et l’efficacité collective dans le domaine écologique
Enfin, une étude récente publiée en décembre 2016 avance l’idée que les inégalités (économiques, mais aussi sociales, spatiales, environnementales) contribuent à affecter négativement l’efficacité collective d’une société. L’efficacité collective, c’est la capacité d’une société à mobiliser ses citoyens autour d’enjeux importants, de porter ces enjeux dans les négociations publiques, et de mettre en place des actions collectives efficaces sur ces enjeux. Or plus une société est inégalitaire, moins cette efficacité serait forte. Par exemple, la Banque Mondiale affirme que les sociétés où les inégalités sont les plus fortes sont aussi celles qui ont les taux de délits, crimes et homicides les plus élevés. Dans ces cas-là, la société dépense une partie importante de ses ressources pour lutter contre la délinquance, ouvrir des prisons, faire fonctionner des tribunaux, fournir des indemnités aux victimes… Bref, cela coûte cher à la collectivité, et toutes ces ressources sont autant de moyens qui ne sont pas mis au service de causes comme l’écologie.
De plus, les sociétés inégalitaires sont bien souvent marquées par une défiance mutuelle entre les citoyens, mais aussi envers les institutions publiques. Imaginez que vous vivez toute votre vie dans un quartier défavorisé, abandonné des institutions publiques, sans activité économique et dans la précarité. Auriez-vous confiance dans la collectivité ? Dans le monde politique ? La réponse est bien souvent négative. Or dès que la confiance dans les institutions sociales diminue, sa capacité à mobiliser les acteurs autour d’enjeux comme l’écologie diminue car les citoyens ne veulent plus s’investir. C’est le constat qu’a d’ailleurs fait le chercheur Robert Sampson dans les villes américaines : dans les villes où les inégalités sont fortes, le tissu nécessaire à l’action sociale, associative et politique est plus fragile.
Au final, on constate que la problématique écologique est intimement liée à celle de la réduction des inégalités. Lorsque les inégalités sont fortes (que ces inégalités soient économiques, sociales ou politiques), la capacité d’une société à agir pour l’écologie diminue. Pour construire un futur durable, il faut donner les moyens à chaque citoyen de s’investir dans l’écologie. Il faut réhabiliter l’idée d’une consommation responsable, et donc donner les moyens aux consommateurs d’acheter de meilleurs produits. Sans cela, l’écologie restera, elle aussi, un enjeu inégalitaire, avec d’un côté ceux qui peuvent se permettre une vie écologique et de l’autre ceux qui subissent la pression écologique et la pollution.