Derrière ce titre volontairement accrocheur se cache une question : et si le mot végétarien était devenu un repoussoir pour de nombreux consommateurs ? Et si, pour réduire la consommation de viande mondiale, il valait mieux miser sur autre chose que le « végétarien » ?
On le sait, la consommation de viande est l’un des aspects de nos modes de vie qui affecte le plus l’environnement. L’alimentation, dans la vie d’un français, représente en moyenne 20% des émissions de gaz à effet de serre et est le 3ème aspect le plus polluant de notre vie (juste derrière les consommations énergétiques du logement, et le transport individuel). Et dans notre alimentation, ce qui pèse le plus sur la planète, c’est la viande. En effet, la viande est en général un aliment plutôt lourd en termes environnementaux. Si certaines viandes sont finalement assez peu polluantes (comme c’est le cas du canard, du lapin ou encore du poulet) d’autres en revanche le sont très fortement. C’est le cas de l’agneau ou du boeuf, qui peuvent émettre (selon les conditions d’élevage) jusqu’à 30 kg de CO2 par kg de nourriture produite. Par comparaison, le riz ne représente que 3 kg de CO2 par kg de nourriture, les lentilles 900 g de CO2 par kg le tofu 6 kg et le poulet 6.5 kg.
L’enjeu : réduire la consommation de viande de la planète
Réduire notre consommation de viande est donc sans aucun doute une priorité si l’on veut lutter contre le réchauffement climatique. Et cela tombe bien car de plus en plus se développe la tendance des repas sans viande, des repas végétariens. On estime aujourd’hui que 5% des habitants de la planète sont végétariens ou quasiment végétariens. Ces personnes ont donc déjà réduit leurs émissions de CO2 individuellement, mais il semble que du point de vue collectif, cela ne change rien à la pollution globale. Pourquoi ? Tout simplement parce que pendant que ces 5% sont végétariens, l’ensemble des autres habitants de de la planète continue à consommer (et donc à produire) toujours autant, voire plus, de viande. En effet, dans la plupart des pays du monde, la consommation moyenne de viande par habitant continue d’augmenter malgré le fait que les végétariens soient aussi de plus en plus nombreux. En résumé : si 5% des habitants arrêtent de consommer de la viande pendant que les 95 autres pourcents continuent à augmenter leur consommation, l’effet sur la consommation globale et donc sur la pollution globale est négatif.
Du point de vue environnemental, l’enjeu essentiel est que nous soyons capables, collectivement, de réduire notre consommation de viande. Mais le monde est-il vraiment prêt à devenir végétarien ? Probablement pas. La plupart des études montrent que l’idée d’abandonner complètement la viande semble difficile pour beaucoup. D’abord, une étude de psychologie alimentaire montre que près de 80% des personnes ayant dans leur vie décidé d’adopter un régime entièrement végétarien finissent par remanger de la viande. Ensuite, d’après un sondage mené auprès d’un panel représentatif d’hommes, 2 tiers des hommes préfèreraient abandonner le sexe plutôt que la viande (sondage à prendre avec précaution étant donné qu’il a été commandité par Peparami, grand industriel de la viande). Selon un autre sondage Opinion Way, 90% des français n’envisagent pas de devenir un jour végétarien. En tout cas, ce que montrent ces chiffres, c’est que pour une bonne partie de la population, devenir entièrement « végétarien » semble difficile voire impossible.
Végétarien : un mot repoussoir pour les consommateurs
Mais il y a plus. Une étude de psychologie comportementale menée par la London School of Economics montre que le terme même de « végétarien » constitue encore un repoussoir pour beaucoup de consommateurs. Ainsi, l’étude a confronté différents panels de consommateurs a différents menus de restaurants comportant exactement les mêmes plats pour analyser leurs choix. Seuls l’intitulé des plats et la structure du menu changeaient. Ce que les chercheurs ont constaté, c’est que les consommateurs évitent la plupart du temps les menus ou les plats lorsqu’ils sont labellisés « végétarien ». Ainsi, les consommateurs étaient 56% moins enclins à choisir un plat s’il apparaissait dans la section « végétarienne » d’un menu par rapport au groupe de contrôle. En revanche, lorsque les mêmes plats étaient inscrits dans le menu sans être labellisés végétarien, mais simplement en étant décrit comme des plats normaux, on n’observait pas de différence dans la fréquence de choix.
Une autre étude confirme cette tendance : un rapport publié par des chercheurs de l’Université de Stanford. A partir des données récoltées sur près de 28 000 repas dans une cafétéria universitaire, les chercheurs ont découvert que lorsqu’un plat est labellisé comme était « bon pour la santé » il était choisi 29% moins souvent par les consommateurs. En résumé : lorsque l’on met une étiquette restrictive à un plat, les consommateurs ont tendance à l’éviter. L’une des chercheuses à l’origine de l’étude de la LSE estime même que lorsqu’un menu ou un plat est étiqueté végétarien, il pourrait être d’office considéré comme non pertinent par beaucoup de consommateurs.
Réapprendre à réduire sa consommation de viande
Or le mouvement végétarien porte dans son identité cette connotation restrictive. En systématisant le refus de la viande ou du poisson (ou pour les végans de tout produit issu d’un animal), le régime végétarien est apparu à beaucoup de consommateurs comme un régime contraignant, restrictif, et nécessairement moins gourmand qu’un régime omnivore. Peu à peu, le mot végétarien est devenu (à tort), pour ceux qui ne le sont pas, le symbole d’une alimentation triste, sans saveurs… alors même que nos cuisines ont toujours intégré des plats végétariens (le gratin dauphinois étant un bon exemple, mais aussi la ratatouille…).
En opérant une sorte de classification entre les plats (les végétariens d’un côté, les autres de l’autre) beaucoup de restaurants ou de commerçants passent à côté de l’opportunité de faire des plats végétariens des plats comme les autres, désirables au même titre que les autres. La conclusion de ces études est donc que pour répondre à la nécessité actuelle de réapprendre à réduire notre consommation de viande, il faudrait peut être oublier le mot végétarien et redonner aux plats sans produits animaux la place qu’ils devraient avoir, au coeur d’un régime alimentaire normal. L’étude de la LSE montre d’ailleurs que lorsqu’un plat végétarien est labellisé « Suggestion du Chef », il est choisi plus fréquemment que lorsqu’il est appelé « végétarien ». En d’autres termes, pour aider le monde à réduire vraiment sa consommation de viande, il serait plus productif de montrer en quoi les plats sans viande sont des plats normaux (bons et gourmands) et mettre en avant ces plats, plutôt que de prôner l’arrêt complet de la viande et le passage à un régime végétarien.
D’autant plus qu’en réalité, il n’y a pas besoin que l’ensemble de la planète soit végétarienne pour lutter contre le réchauffement climatique : il suffirait que chacun réduise sa consommation à une dose raisonnée. Ces résultats sont d’ailleurs en adéquation avec les dernières études sur l’impact environnemental de l’élevage, qui montrent que des élevages en pâturages, raisonnés et extensifs peuvent rendre de nombreux services écologiques et écosystémiques et faire partie d’un mode de vie soutenable.
La tendance actuelle au végétarisme et au véganisme est en tout cas salutaire du point de vue environnemental car elle permet sensibiliser au rôle de notre alimentation dans la réduction nos émissions de CO2. Mais pour les réduire vraiment, il faut réussir à toucher une masse critique de la population, et pour cela, il faudra probablement plutôt réapprendre à manger moins de viande, en redécouvrant qu’il existe de nombreux plats délicieux sans viande ou sans poisson, sans nécessairement tout abandonner d’un coup.