Pour une société vraiment écologique, les notions de proximité et de localité sont fondamentales. Et s’il fallait réinventer nos sociétés autour de ces concepts ?
La mondialisation et avec elle le progrès technique, l’avènement de transports de plus en plus efficaces et de télécommunications instantanées a un effet paradoxal sur les notions de proximité et de distance. Aujourd’hui, rien n’est vraiment loin alors que tout vient du bout du monde. Des vacances à plus de 6 000 km ne nécessitent que de réserver un billet d’avion depuis son ordinateur. Manger un poke bowl rempli d’avocats cultivés au Pérou ou en Israël ne nécessite que quelques minutes de trajet jusqu’à son supermarché ou à son spot de street food préféré. Communiquer avec un proche à l’autre bout de la planète ne nécessite que d’appuyer sur son écran tactile. Traverser tout un département pour se rendre au travail ne nécessite que de prendre le volant quelques dizaines de minutes.
Écologie et proximité : les premiers pas du consommer local
Dans notre perception quotidienne, plus rien ne semble loin car tout va désormais très vite. Pourtant, dans les faits, nos gestes les plus anodins ont souvent des racines à l’autre bout du monde. Ainsi, la plupart de nos achats ont traversé la moitié de la planète avant d’arriver dans notre panier. C’est vrai pour les aliments : les plus à la mode (avocats, graine de chia, fruit du dragon, papaye, quinoa….) viennent tous de pays lointains. C’est vrai aussi pour les produits manufacturés les plus tendance, comme les smartphones qui sont fabriqués en Asie du Sud-Est, à partir de matériaux récoltés de l’Afrique à la Bolivie. C’est également le cas pour nos textiles, même ceux qui sont « Made in France » puisque le coton qui les constitue est produit à l’autre bout du monde.
A cause de cette tendance, on multiplie évidemment les gaspillages et les pollutions. A-t-on vraiment besoin de cet avocat du bout du monde omniprésent sur les tables à la mode, quand on sait que les nutriments qu’ils contient se trouvent facilement dans des productions endémiques comme le brocoli, le chou, le chou-fleur ou les lentilles ? A-t-on vraiment besoin que nos produits traversent l’Atlantique du Sud au Nord ou toute l’Europe à bord d’avions qui émettent plusieurs centaines de tonnes de CO2 par voyage ? Pas vraiment.
Fort de ce constat, il s’est mis progressivement en place une tendance du « consommer local ». Les circuits courts ont la cote, les produits régionaux ou du terroir ont le vente en poupe. Ainsi, les marchés de producteurs se développent autour par exemple des AMAPS ou de la Ruche qui dit Oui. Les labels Made in France ont fait la une des dernières années et ont même désormais droit à leur festival. Bref, consommer local devient tendance… Mais cela suffit-il ?
Réapprendre la notion de proximité et de localité : vivre local
D’une certaine façon, les tendances du consommer local sont salutaires car elles permettent de redynamiser les économies locales, et parce qu’elles réduisent au moins partiellement l’impact environnemental de nos achats (bien que ce ne soit pas toujours le cas, comme nous vous l’expliquions dans notre article « Consommer local : ce n’est pas toujours écologique« ).
Mais sur le fond, rien dans tout ça n’interroge vraiment notre perception de la proximité et de la localité. Nous continuons de considérer les distances comme des détails en quelque sorte. Ainsi, on continue à prendre la voiture pour faire 25 km à la moindre occasion, de partir en vacances au bout du monde, de trouver parfaitement légitime de faire 700 km en voiture juste pour aller sur cette plage précise du Sud de la France. Nous continuons aussi de commander instantanément sur Internet des produits livrés le lendemain depuis des entrepôts situés à des centaines de kilomètres et nous estimons normal que ces produits arrivent dans notre boîte aux lettres dans les 3 jours ouvrés. Nous continuons à penser qu’un supermarché situé à 15 km de notre logement est un endroit logique pour faire nos courses car il est plus pratique de tout pouvoir acheter au même endroit. Même quand nous réfléchissons à des solutions écologiques, nous le faisons toujours dans le but de raccourcir les distances, d’aller plus vite et d’aller plus loin. C’est le cas par exemple avec Hyperloop qui prétend pouvoir encore accélérer le transport et réduire au moins virtuellement les distances. Et bien entendu, pendant que nous parcourons ce monde qui est devenu notre arrière cour, nous ne pensons pas aux conséquences environnementales de tous ces déplacements.
Même ceux qui consomment « local » sont victimes du paradoxe de la localité et de la proximité disparue. Ainsi, acheter 1 kg de carottes importées d’Afrique du Sud au supermarché en bas de chez vous polluera moins que d’acheter 1 kg de carottes locales dans une AMAP située à 12 km de voiture de chez vous… car l’impact environnemental du trajet en voiture surpassera les gains liés à la production locale. Le problème, c’est que nous n’interrogeons plus ces distances que nous parcourons chaque jour car notre localité a changé : tout nous paraît proche. Ainsi, quand il ne faut que 30 minutes pour parcourir 25 km, cela semble la porte à côté. Mais sur le plan environnemental, cela représente 3.5 kg de CO2 au mieux, sans compter les pollutions aux particules fines que cela engendre.
En résumé, on peut dire qu’il ne suffit pas de consommer local pour réapprendre à vivre de façon écologique. Il faut vivre local, globalement, c’est à dire réapprendre à penser les distances et leur coût en matière environnementale. En d’autres termes, il faut réhabiliter la notion de proximité et de localité. La vraie, celle qui nous affecte quotidiennement dans nos modes de vie et de déplacement.
Relocaliser : vers une réhabilitation des notions de proximité et de local
Bien sûr, dit comme ça, cela paraît simple. Mais concrètement, cela devient compliqué à mettre en place quand on voit que toute nos structures spatiales, sociales et économiques sont conçues pour que la proximité et la localité ne soit justement plus une contrainte. Ainsi, l’espace urbain contemporain, largement structuré par l’étalement urbain, rend indispensable l’usage de la voiture et les parcours de longue distance. Beaucoup de villes sont par exemple segmentées en quartiers d’habitation / quartiers de travail / quartier de loisir. Cela oblige donc à se déplacer entre chaque zone en fonction de ce que l’on doit faire. Même les lieux de consommation sont éloignés : les centres commerciaux sont situés en périphérie des zones habitées, et on doit ainsi prendre sa voiture pour y faire ses achats. D’ailleurs, de plus en plus d’analystes constatent que cette tendance cause progressivement la mort des centre-villes. Repenser la proximité est donc avant tout un choix d’urbanisme, une façon de faire les territoires, de les construire.
On voit bien qu’il s’agit là d’un problème structurel qu’il est impossible de résoudre par des mesures simples : on ne va pas révolutionner des structures urbaines, des modes de transport et des habitudes économiques ancrés depuis des décennies en un coup de baguette magique. Néanmoins, pour penser des modes de vie plus écologiques car plus ancrées sur la proximité et la localité, on peut déjà identifier quelques tendances. En voici les principales.
Penser des zones urbaines plus denses
La première étape pour limiter les distances, c’est de limiter la surface que nous occupons. Autrement dit, si l’on souhaite penser des territoires plus écologique, il s’agit avant tout de penser des espaces denses et de limiter l’étalement urbain. Cela veut dire qu’il faut privilégier les logements collectifs de taille moyenne aux logements individuels, qui occupent plus de place. Or ces dernières années, les politiques publiques en matière d’urbanisme ont eu tendance à faire l’inverse : étalement urbain pour créer des zones urbaines moins denses. Or l’étalement urbain et la périurbanisation ont accru les distances à parcourir, notamment les distances domicile-travail. En 15 ans, la distance moyenne entre le domicile d’un salarié et son lieu de travail a augmenté de 2 km. En revenant à des habitats plus collectifs et plus denses, on pourrait diminuer ces distances.
Protéger et redynamiser les commerces de proximité
L’étape suivante, c’est de relocaliser nos activités. Et il ne s’agit pas juste de relocaliser nos industries en France. Il s’agit de créer les conditions d’une vraie localité pour les habitants dans les territoires. Aujourd’hui, que ce soit pour faire ses courses, pour aller au travail, ou pour accéder aux services, il faut souvent faire 10 voire 20 kilomètres (et souvent en voiture). Les zones d’activité commerciales qui ont fleuri un peu partout à partir des années 1970 ont contribué à cette délocalisation de nos modes de vie : on a installé les commerces en périphérie, ce qui a concurrencé les petits commerces locaux au profit de zones situées souvent plus loin des habitations. Le résultat c’est que désormais, tous les commerces et les services sont plus lointains des domiciles. Il semble donc nécessaire de remettre l’accent sur les commerces de proximité, via des politiques foncières et fiscales adaptées. C’est ce qui a commencé à être fait par l’intermédiaire des zones franches urbaines, mais cela est encore loin d’avoir recréé un tissu de commerces et de services suffisamment denses pour limiter nos besoins en transports.
Aujourd’hui, les centres des grandes villes touristiques voient un rebond des commerces de proximité qui permet de redynamiser l’activité locale. Mais dans les villes moyennes, les commerces périphériques continuent de drainer l’activité ce qui entraîne la disparition progressive de l’activité locale.
Préserver la vie de quartier et améliorer la qualité de vie urbaine
Dans le même ordre d’idée, il s’agit aussi de recréer et de préserver la vie de quartiers. Préserver les commerces et les services est une chose, mais il faut aussi que les quartiers, malgré la densité, soient agréables à vivre pour recréer une vie locale ancrée dans les territoires. Il s’agit donc aussi de préserver les espaces verts, les zones piétonnes, de réduire les nuisances liées aux transports, de soutenir les associations locales et les projets culturels locaux.
Et évidemment, une telle refonte des territoires devrait naturellement s’accompagner de mesures pour flexibiliser les conditions de travail. Le télétravail, quand c’est possible, est une manière de réduire les distances, comme les bureaux partagés. Dans certaines conditions, l’utilisation des nouvelles technologies permet aussi d’éviter les déplacements. Bref, c’est toute l’architecture de notre vie sociale, économique et spatiale qu’il faudra réformer. Mais une chose est sûre : si l’on veut être écologiques, il faudra réhabiliter les notions de proximité et de localité dans nos vies quotidiennes.