Faut-il arrêter de faire des enfants pour protéger la planète ? C’est en tout cas ce que suggèrent certaines études et certains discours parmi les écologistes. Mais les choses sont-elles si simples ? Tentons de répondre à ce problème particulièrement important.
Désormais c’est indéniable : les activités humaines sont en train de détruire notre environnement. Émissions de CO2 et gaz à effet de serre, étalement urbain, déplétion des ressources, pollution de l’air, des sols et des océans, réchauffement climatique, disparition de la biodiversité : notre consommation sans limite est en train de mettre en péril la plupart des écosystèmes mondiaux et par extension nos capacités de survie à moyen terme.
Alors évidemment, il faut trouver des solutions. Et parmi celles qui sont de plus en plus évoquées, à la fois par les partisans de l’écologie et par les scientifiques, est celle de réduire la croissance démographique, voire de réduire la population mondiale. Certains affirment même qu’il faudrait arrêter de faire des enfants pour protéger la planète, ou qu’on ne peut pas être vraiment écolo et désirer avoir des enfants. Qu’en est-il ?
Démographie et impact environnemental : sommes nous trop nombreux sur terre ?
L’idée qu’avoir des enfants est quelque chose de négatif pour la planète est fondée sur des constatations empiriques parfaitement fondées et logiques. On trouvait déjà cette idée dans la pensée de Malthus, économiste de la fin du 18ème et début du 19ème siècle, qui avait cherché à montrer en quoi la croissance démographique posait à terme un problème de disponibilité des ressources. En gros : si l’on est trop nombreux, dans un monde aux ressources limitées, il n’y en aura plus assez pour tout le monde. Cette idée est encore aujourd’hui l’objet de recherches et d’intérêts dans plusieurs sphères scientifiques. Certains chercheurs suggèrent même que c’est le fait que l’on ait trop d’enfants (et la surpopulation en général) qui serait responsable de la crise écologique globale.
Voir aussi : La transition démographique : c’est quoi ?
Par exemple, selon une étude suédoise publiée en 2017, l’acte le plus écolo qui soit serait de décider d’avoir un enfant de moins, ce qui permettrait de réduire notre empreinte carbone de 58 tonnes de CO2 par an. C’est logique : un enfant de moins sur terre, c’est autant de couches en moins, de nourriture à produire en moins, d’énergie à dépenser en moins, et surtout, c’est toute une vie de consommation et d’impact sur l’environnement qui est, in fine évitée.
Si l’on suit cette rhétorique alors le geste le plus écologique qu’un individu puisse mettre en place serait de ne pas avoir du tout d’enfant. C’est ce qui pousse désormais certains militants écologistes à revendiquer le devoir de ne plus avoir d’enfant et c’est ce qui motive certains citoyens aux convictions écologiques bien ancrées à renoncer à faire des enfants. Pourtant, s’il est évident que chaque enfant sur terre représente un impact environnemental potentiel considérable, le problème n’est pas aussi simple qu’il n’y paraît.
Le dilemme du parent écologiste
En réalité, la question de faire ou ne pas faire d’enfants pose un problème d’ordre plus général lorsqu’elle est posée dans une perspective écologiste. Sur le papier, il est évident que si vous décidez de ne pas avoir d’enfant, cela réduira en théorie votre empreinte carbone. Théoriquement, cela réduira aussi l’empreinte carbone globale des humains sur la planète, puisqu’il y aurait alors un humain de moins susceptible de polluer sur terre. Mais ce qu’il est important de se demander, c’est quel effet cette décision aurait sur l’état global de la planète. Or dans ce cas, on constate que cela ne changerait profondément rien à l’état écologique de la Terre. En effet, rien ne va changer si un enfant de moins nait sur la planète : on produira tout autant de biens de consommation, on consommera tout autant de ressources et d’énergie. La différence que fait votre décision est donc marginale, insignifiante.
Faire un enfant de moins, ça ne change rien globalement. Derrière ce sophisme apparent se cache pourtant un problème bien réel. On pourrait en effet se contenter de répondre : « Mais si tout le monde décidait de faire un enfant de moins, cela aurait un impact ». Et c’est exactement cette hypothèse, ce « et si », qui pose problème. Car ce type de préconisations écologiques individuelles adressées aux citoyens (faites un enfant de moins, mangez moins de viande, recyclez vos déchets) présuppose toujours qu’un nombre significatifs d’individus vont les suivre, et que ce nombre soit suffisant pour être de nature à faire changer le système socio-politique et économique global. Or dans le cas de la question de la natalité, cette présupposition pose deux problèmes très sérieux.
Le premier, c’est la question de savoir si ce « nombre significatif » peut réalistiquement être atteint. Autrement dit, peut-on envisager de façon réaliste qu’une part significative de la population mondiale renonce à avoir des enfants pour réduire son empreinte carbone ? On ne parle pas ici d’un geste anodin comme éteindre une lumière ou réduire la durée de sa douche. On parle d’un geste extrêmement contraignant, ne pas avoir d’enfant, c’est-à-dire renoncer à une facette centrale de notre vision de la vie, renoncer même à une chose qui est « naturellement » inscrite dans notre patrimoine génétique (la reproduction). Peut-on sérieusement imaginer qu’en dehors de quelques écolo réellement engagés, de nombreux individus renoncent spontanément à avoir des enfants pour la bonne cause quand dans le même temps, la plupart ne sont déjà pas capables de prendre le métro ou le bus pour aller au travail ?
Le second problème, c’est la question de savoir qui seraient ces individus prêts à renoncer à avoir un enfant. La question n’est pas anodine car elle a des conséquences directes sur le visage sociopolitique des sociétés qui pourraient se dessiner suite à de telles décisions.
La démographie politique : avoir des enfants pour l’avenir de l’écologie ?
Pour le comprendre, il faut s’intéresser à une discipline qu’on appelle la démographie politique. La démographie politique est l’étude de la manière dont les phénomènes démographiques affectent les changements politiques. Autrement dit, il s’agit d’étudier comment lorsqu’une population évolue (si elle vieillit, rajeunit, voit ses structures sociales ou culturelles se transformer) cela peut entraîner des changements politiques. Par exemple, c’est grâce à la démographie politique l’on a pu identifier que la croissance démographique des populations hispaniques et noires des Etats-Unis (traditionnelle plutôt affiliées au parti Démocrate), pouvait faire basculer le rapport de force électoral. Ainsi, en 1952, les minorités noires et hispaniques représentaient 12.5% de la population américaine contre 25% en 1990 et 37% en 2010. Parallèlement à cette évolution, le vote aux Etats-Unis s’est transformé : entre 1950 et 1990, les Républicains ont gagné 7 fois sur 10 le vote populaire lors des élections présidentielles, alors qu’entre 1990 et aujourd’hui les Démocrates l’ont remporté 6 fois sur 7. Une évolution démographique a donc in fine transformé le paysage politique.
Grâce à la démographie politique, la relation entre le fait de faire des enfants et l’écologie prend donc une connotation différente, une connotation socio-politique. En effet, en pratique, les personnes les plus susceptibles de renoncer à faire des enfants pour protéger la planète sont probablement les citoyens les plus engagés sur les questions écologiques : il faut être réellement préoccupé par cette question pour en arriver à renoncer à fonder une famille. C’est là que se situe le noeud du problème : car si ces écologistes, aujourd’hui minoritaires, cessent d’avoir des enfants (et donc d’éduquer ces enfants selon des convictions écologiques) la proportion que les écologistes représentent dans la société va mécaniquement diminuer, ainsi que leur poids politique.
Et ça, ce n’est pas très bon pour l’écologie.
L’écologie : d’abord tout une question politique et sociale, avant d’être démographique
En effet, le coeur du problème de l’écologie, c’est avant tout notre modèle économique, social, et politique. En termes de changement et d’impact global, la promotion des gestes individuels et l’idée que « chacun doit faire sa part » s’est jusqu’ici avérée assez peu performantes. Aujourd’hui, de nombreuses études montrent même qu’en l’absence de changement structurel, des actions comme « consommer local » peuvent même être plus polluantes qu’une consommation « classique. En fait, pour réduire réellement et durablement nos impacts sur la planète, il faudrait changer profondément de modèle : faire la transition vers une agriculture et une industrie moins productivistes, plus durable, imposer des règlementations sur les dégradations de l’environnement, protéger légalement la biodiversité ou les écosystèmes fragiles. Ces changements nécessitent une véritable transformation politique, des règlementations globales et pas seulement des décisions individuelles.
Mais pour que ce changement politique ait lieu, il faut qu’une part de plus en plus significative de la population soutienne ce changement. Certaines études en psychologie sociale montrent qu’il faut atteindre une part équivalente à un quart de la population pour qu’une idée commence à s’imposer dans un débat public. La sociologie politique récente tend à laisser penser qu’il faut atteindre des chiffres encore plus élevés pour faire réellement basculer le système.
Or si les écologistes arrêtent « de se reproduire », l’avènement d’une écologie politique globale susceptible de vraiment changer notre mode de production n’est pas prêt de se produire. Virtuellement, on pourrait même aller jusqu’à dire que les écologistes ont donc tout intérêt à moyen terme à se reproduire (biologiquement et socialement) plus que le reste de la population pour espérer qu’un changement politique global se mette progressivement en place.
Faire des enfants ou pas, ce n’est donc pas seulement une question d’empreinte carbone, mais une question de sociologie politique. Si les seuls à renoncer à faire des enfants sont les citoyens les plus écolo, alors le bénéfice à long terme est nul. De plus, la démographie mondiale recouvre des enjeux bien plus importants que l’injonction faite aux écolo des pays développés de ne plus faire d’enfants : l’émancipation des femmes, la diffusion de la contraception, la santé infantile, notamment dans les pays en développement. Mais en tant qu’écologistes, penser qu’arrêter de faire des enfants pourrait aider la planète semble un non sens à court et à long terme.
Alors que faire ? Il n’y a pas de solution miracles. Il ne s’agit pas de vouloir stimuler les naissances, car la démographie est effectivement une question écologique importante. Mais puisqu’il nous faut un changement de paradigme global, une prise de conscience collective (grâce à l’éducation, la sensibilisation voire le militantisme) peut s’avérer plus efficace qu’une simple liste d’actions individuelles, surtout si celles-ci peinent à susciter l’adhésion. En résumé : il faut convaincre, éduquer, transformer le système de pensée de nos sociétés, de l’intérieur, socialement et politiquement. Et pour ça, éduquer les enfants est sans doute plus importants que de ne pas en avoir.