Et si la démission de Nicolas Hulot, ministre et personnalité emblématique du monde de l’écologie, signifiait l’échec de près de 50 ans d’intégration progressive de l’écologie dans le discours politique global ?
Le mardi 28 août 2018, la démission de Nicolas Hulot, ministre de l’écologie et pièce maîtresse du gouvernement d’Emmanuel Macron sonnait comme un coup de tonnerre de la rentrée politique. Personnalité appréciée des Français, défenseur médiatique des causes écologiques depuis plusieurs décennies, Nicolas Hulot incarnait pour le gouvernement un symbole : celui d’une vraie prise en compte de l’écologie dans l’action politique.
Mais cette démission, au terme d’à peine un an de mandat, montre sans doute qu’après plus de 50 ans d’existence l’écologie politique a fini par se diluer complètement dans les arbitrages politiciens. Et si cette démission symbolisait l’échec du discours écologique dominant ? Et si elle nous incitait à repenser notre rapport politique à l’écologie ? Décryptage.
L’écologie en politique : l’histoire d’une intégration toute progressive
L’écologie, en France, n’est réellement un sujet politique que depuis une cinquantaine d’années. Précisément, c’est au début des années 1970 que les premières revendications politiques autour de l’écologie commencent à émerger en France. À l’élection présidentielle de 1974, plusieurs groupes écologistes commencent à émettre l’idée de présenter un candidat portant les sujets écologiques. C’est ainsi que pour la première fois, René Dumont est candidat à l’élection présidentielle autour d’un programme entièrement axé sur l’écologie. L’intérêt du public et des médias est alors assez fort pour ce candidat qui porte un projet à l’opposé ou presque de tous ceux des grands partis politiques : rejet de la voiture, en pleines Trente Glorieuses, altermondialisme, rejet du capitalisme agressif. Le candidat ne récolte que 1.3% des voix, mais réussit le coup médiatique de faire parler d’écologie dans le monde politique, qui jusque-là s’y intéressait peu, voire pas du tout.
Cette naissance du mouvement écologiste en politique sera suivi d’une histoire assez tumultueuse : de multiples courants animent l’écologie politique française, avec des représentants variés. Brice Lalonde ou Antoine Waechter représenteront ce mouvement hétéroclite dans les années 1980 : Brice Lalonde obtiendra même plus de 3% des suffrages à l’élection de 1981. Dans les années 1990 ce seront des figures comme Yves Cochet, Dominique Voynet ou encore Daniel Cohn-Bendit qui seront à la tête des mouvements écologiques. Mais durant toute cette période, l’écologie reste surtout l’apanage de ces petits partis spécialisés qui ne font pas vraiment recette sur le plan électoral. Le discours politique dominant, lui, à gauche comme à droite, se saisit encore assez peu de ces questions. En bref, l’écologie reste une question politique assez marginale. La preuve, depuis sa création en 1971, le poste de Ministre de l’Environnement est assez anecdotique : sous certains gouvernements, il n’est qu’un secrétariat d’Etat, voire une délégation ministérielle, mais cela reste dans tous les cas un poste politique de seconde importance.
Mais les choses changent à la fin des années 1990 et au début des années 2000. La proximité de la pensée écologique avec certains aspects de la pensée de la gauche dite « de gouvernement » (la gauche traditionnelle et notamment le PS) créé des ponts politiques entre les petits partis écologistes et les grands partis de gauche. Des alliances politiques commencent à se créer avec ce que l’on appellera la « gauche plurielle », qui sera même représentée au gouvernement avec le mandat de Lionel Jospin, en cohabitation avec Jacques Chirac. À partir de ce moment-là, le monde politique commence à prendre conscience (notamment à gauche) que l’écologie est un sujet politique de plus en plus important avec un électorat non négligeable. Noël Mamère, candidat écologiste en 2002 obtient d’ailleurs le meilleur score pour un candidat écolo à l’élection présidentielle avec plus de 5.8% des voix. Désormais, la pensée écologique commence à devenir, très progressivement, un sujet politique général.
La prise en compte politique globale de l’écologie
Tous les partis se mettent alors à parler d’écologie : Jacques Chirac, en 2002 se saisira de la question écologique lors du Sommet de Johannesbourg avec son célèbre « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs« . Le président de l’époque donnera d’ailleurs en partie ses lettres de noblesse au ministère de l’environnement, d’abord en créant pour la première fois un poste de Ministère de l’Écologie à proprement parler, et en le confiant à des figures fortes du mouvement écologiste : Yves Cochet, Dominique Voynet ou encore Corine Lepage.
Sous le mandat suivant, avec Nicolas Sarkozy, le Ministre de l’Écologie (Alain Juppé) devient même Ministre d’Etat, afin de signifier l’importance de cette question dans la politique générale. C’est aussi Nicolas Sarkozy qui organisera les Grenelles de l’Environnement. Même chose sous le mandat de François Hollande, sous le quinquennat duquel l’écologie prendra une place centrale dans le discours politique. Il confie le ministère à une proche (Ségolène Royal), organise la COP21 et intègre même des écologistes dans son gouvernement.
Bref, depuis 20 ans, tous les politiques, tous bords confondus, se sont mis à s’intéresser et à parler d’écologie. Cette évolution est le résultat d’un double mouvement : d’abord le tout début de prise de conscience citoyenne, qui a fait de l’écologie un sujet politique porteur électoralement, et ensuite, l’ouverture politique des partis écologistes à des alliances avec les grands partis de gouvernement. Résultat : aujourd’hui, l’écologie n’est plus un parti politique, elle est intégrée aux discours de tous les partis politiques.
Pour le gouvernement actuel, la présence de Nicolas Hulot au gouvernement symbolisait cette intégration politique de l’écologie. Elle était une manière de montrer symboliquement l’importance accordée à l’écologie (au moins sur le papier), en confiant cette fonction à une personnalité faisant autorité sur la question.
Une démission qui marque l’échec d’une intégration bancale de l’écologie en politique
Le problème, c’est que par essence, l’intégration de l’écologie à l’intérieur de tous ces discours politiques était bancale, depuis le début. L’écologie politique s’est construite sur une critique assez forte du système politique et économique dominant : une critique de l’économie de marché, une critique des indicateurs comme la croissance du PIB, une critique de la consommation de masse. L’ensemble des données scientifiques traitant de la crise écologique laissent penser que c’est notre modèle de production, notre modèle économique, qui pose problème sur le plan écologique. Initialement, c’est en s’opposant à ce système, à ce paradigme, et en lui proposant une alternative que l’écologie politique prétendait lutter contre la crise écologique.
Aujourd’hui, l’écologie politique n’est plus structurée par cette dialectique. Elle est devenue une dimension commune de tous les discours politiques, qu’ils s’opposent ou non au système économique dominant, qu’ils cherchent ou non à le transformer vraiment. Les discours autour de l’écologie se sont donc transformés : alors qu’il y a 30 ou 40 ans ils invitaient à changer le monde, à transformer nos modes de vies, à revoir nos modes de production, ils sont aujourd’hui structurés par l’idée que l’on peut faire de l’écologie sans changement drastique, sans transformation profonde de la société, sans sacrifice dans nos modes de production ou de consommation, que l’on peut changer sans changer, ce qui est évidemment faux. En s’intégrant aux discours politiques de tous les partis, l’écologie s’est finalement dépolitisée, diluée dans une sorte d’ambiguïté que la démission de Nicolas Hulot nous permet aujourd’hui de toucher du doigt.
L’écologie devrait en théorie vouloir tout transformer : de nos modes de production à nos modes de consommation, nos habitudes de transport, nos façons de concevoir la ville, l’habitat, nos pratiques de consommation alimentaires. Pourtant, elle est aujourd’hui essentiellement portée par des partis ou des courants de pensée qui ne veulent pas changer les choses (ou plus exactement, qui n’ont pas vraiment les marges de manoeuvre pour le faire). C’est ce qui se passe probablement dans le cas du rapport qu’entretenait Nicolas Hulot avec le gouvernement : il aurait voulu changer les choses, avoir plus de moyens, mais la gestion budgétaire ne le permettait pas. Il aurait voulu transformer l’agriculture, mais la crise agricole et la compétition internationale rendaient ce changement difficile. Il aurait voulu transformer l’économie, mais les contraintes d’emplois et de croissance semblaient prioritaires. Résultat : Nicolas Hulot a du, comme il le dit « s’accommoder de petits pas », faire des concessions, « être patient ». Sauf que la situation exige l’urgence.
L’écologie des arbitrages contre l’écologie radicale : dilemme de l’écologie politique
C’est là le dilemme permanent de l’écologie politique : choisir entre la radicalité des positions et les arbitrages et concessions. Choisir de faire des concessions et des arbitrages a l’avantage de permettre d’avancer, petit à petit. Certes trop lentement, mais au moins enclencher quelque chose. Proposer une écologie politique globale, radicale, structurante, un changement de société général a l’avantage de la cohérence, mais elle se heurte à une difficulté électorale majeure et de fait, à l’impossibilité de sa mise en place.
Si la démission de Nicolas Hulot symbolise certainement les manques et les retard de l’ambition écologique du gouvernement actuel, elle symbolise donc aussi l’échec de l’écologie en tant que mouvement politique. Son échec d’abord à avoir su proposer une alternative à la fois suffisamment forte et efficace pour changer les choses et à la fois suffisamment convaincante pour mobiliser plus que quelques pourcent de l’électorat français. Son échec ensuite à s’imposer de l’intérieur dans des forces de gouvernement où elle était, toujours, dans une position ambigüe et bancale. L’écologie ne peut pas être une variable d’ajustement au sein d’une politique globale sans vocation à transformer nos modes de vie. Elle ne peut pas être non plus être reléguée à la marge dans des mouvements politiques qui ne se font jamais élire.
Cet échec est donc aussi et avant tout notre échec en tant que citoyens, de n’avoir jamais su donner à l’écologie l’importance qu’elle mérite au regard de l’urgence, à la fois dans nos modes de vie au quotidien et surtout dans nos choix électoraux. La démission de Nicolas Hulot n’est pas l’échec d’un homme ni celui d’un gouvernement, il est l’échec d’une société à prendre en compte le problème écologique dans son ensemble, et pas seulement en France (qui ne pourrait de toute façon pas faire grand chose seule contre tous), mais partout dans le monde.