La saisine du Tribunal administratif de Paris par quatre ONG pour voir condamner l’Etat à l’occasion de « L’Affaire du Siècle » pour « inaction climatique » le 14 mars dernier, en raison de l’absence d’engagements concrets, est l’occasion de revenir sur une revendication qui émerge de plus en plus dans la bouche des militants : celle de justice climatique.
La justice climatique, une question qui prend de l’ampleur face aux conséquences du réchauffement climatique
Selon le dernier rapport publié par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), alors que les activités humaines ont provoqué une hausse moyenne de la température terrestre de 1° C depuis les débuts de la Révolution Industrielle, la température de la Terre devrait encore augmenter de 1,5 à 2° C et ce juste entre 2030 et 2050. Si les effets du changement climatique se font déjà sentir avec la multiplication des catastrophes naturelles et des canicules en période estivale, la situation s’aggravera avec l’augmentation des températures.
Historiquement, ce sont plutôt les pays du Nord et les populations riches qui sont à l’origine de la majorité des émissions de CO2 et autres gaz favorisant l’effet de serre. À titre de comparaison, un habitant des Etats-Unis émet chaque année plus de 16 tonnes de CO2, tandis que les émissions ne sont que de 0,1 tonne par habitant en Ethiopie selon la Banque Mondiale.
Pourtant, les études montrent que les risques du réchauffement climatique touchent plus les personnes déjà vulnérables, qui vivent privées des infrastructures de base ou dans des zones exposées à la pollution ou des habitations de mauvaise qualité. Dans les pays en développement, le changement climatique aggrave les difficultés des populations en situation de précarité et crée de nouvelles poches de pauvreté. Paradoxalement, alors que les pays du Sud et les communautés les moins favorisées ont relativement moins contribué au réchauffement climatique, ils sont donc les premiers à en subir les impacts.
Dans ce contexte, de plus en plus de voix s’élèvent dans la société internationale pour défendre l’idée que le réchauffement climatique n’est pas seulement une crise écologique, un problème physique, mais aussi une crise politique et sociale au centre de laquelle on retrouve les notions de justice, de préjudice. D’aucuns y voient même l’émergence du concept de « justice climatique », traduisant une attente sociale exprimée par la société civile, pour appréhender les enjeux climatiques sous l’angle juridique, social, éthique, économique mais surtout sous celui des responsabilités des politiques publiques et des entreprises. L’idée centrale de la justice climatique serait alors que les acteurs politiques et économiques ont une responsabilité juridique à agir contre le réchauffement climatique, pour éviter que les communautés en subissent les préjudices.
La justice climatique : quelle reconnaissance juridique
Le problème, c’est que l’idée que la justice puisse trancher des questions liées à la protection de l’environnement et au réchauffement climatique n’est pas vraiment ancrée dans les pratiques juridiques et judiciaires.
Pourtant, plusieurs principes de droit international peuvent servir de fondement à la justice climatique. Dès la Conférence de Stockholm, en 1972, le droit à un environnement sain a été consacré (principe 21 de la déclaration), avant d’être repris par la CCNUCC en 1992, qui prévoit qu’il « incombe aux Parties de préserver le système climatique dans l’intérêt des générations présentes et futures sur la base de l’équité et en fonction de leurs responsabilités communes mais différenciées et de leurs capacités respectives ». En somme, ce traité consacre le principe selon lequel les Etats ont tous l’obligation de protéger l’environnement, mais tente d’y insérer une forme de justice : l’obligation diffère selon le niveau de développement des Etats et leurs besoins, selon leurs contributions passées au réchauffement climatique.
Cette question de justice climatique peut également être reliée à plusieurs des Objectifs du Développement Durable établis par le Programme des Nations Unis pour le Développement (PNUD) en 2015. Ainsi, l’objectif 2 vise à réduire le problème de la faim dans le monde et à développer l’agriculture ; l’objectif 13 évoque les mesures à mettre en œuvre pour lutter contre le changement climatique, tandis que l’objectif 16 traite de l’accès à la justice à travers le monde.
En outre, le droit français reconnaît le droit à un environnement sain à l’article 1 de la Charte de l’environnement de 2005 (à valeur constitutionnelle) qui dispose que : « Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé » tandis que l’article 2 ajoute que : « Toute personne a le devoir de prendre part à la préservation et à l’amélioration de l’environnement ». De plus, en droit français les traités internationaux signés par la France ont en théorie une valeur juridique supérieure à celle des lois ordinaires. Lorsque la France signe un traité comme l’Accord de Paris en 2015, elle est en théorie légalement tenue de mettre en place les mesures adéquates.
Ce sont ces principes qui sont à l’origine de l’action en justice intentée pour carence fautive contre l’Etat dans « L’Affaire du siècle ». Et cette affaire est loin d’être la première en matière d’actions en justice contre les Etats en faveur de la justice climatique.
Quelques actions portées devant les juridictions au nom de la justice climatique
Depuis quelques années, les litiges devant les juridictions se multiplient à travers le monde, en faisant usage des dispositifs juridiques existants, nationaux et internationaux. La question climatique est en passe de devenir une cause citoyenne, ce qui se traduit par l’augmentation des litiges en cours sur la question.
Plusieurs actions judiciaires ont eu un écho certain, en particulier l’action engagée par un fermier du Panjab (région du Pakistan), las de voir ses récoltes anéanties par les sécheresses à répétition. Ce dernier a en conséquences attaqué son gouvernement en 2015 pour « inaction retard et absence de sérieux (…) dans la mise en œuvre de la politique nationale de lutte contre le changement climatique (…) portant atteinte aux droits constitutionnels fondamentaux à la vie et à la dignité ».
La Haute-Cour du Lahore a rendu son verdict en septembre 2015, ordonnant au gouvernement de créer une commission composée de représentants de l’Etat afin d’améliorer la politique du Pakistan dans la lutte contre le changement climatique et l’émission de gaz à effet de serre.
Une autre affaire célèbre est celle liée au procès intenté par l’association néerlandaise Urgenda, au nom de près de 900 citoyens, afin que l’Etat réduise ses émissions de gaz à effet de serre. Si l’affaire est si fréquemment citée à titre d’exemple, c’est que le Tribunal de La Haye a donné raison à l’association, arguant que l’Etat pouvait faire plus « pour contrer le danger imminent causé par le changement climatique, étant donné son devoir de diligence à protéger et améliorer l’environnement ». L’Etat néerlandais a par la suite fait appel, mais le couperet est tombé le 9 octobre 2018, réaffirmant le manquement de l’Etat à son devoir de diligence.
En France, la requête déposée par les ONG Greenpeace, Oxfam France, Notre Affaire à tous et la Fondation pour la Nature et l’Homme mi-mars n’est donc qu’un exemple parmi d’autres d’une volonté citoyenne de voir consacrer une nouvelle forme de justice, dont l’objectif est de préserver l’environnement et par conséquent la capacité des générations futures à répondre à leurs besoins, sans qu’ils ne soient compromis par les générations présentes.
Toutefois, si ces actions soulignent l’importance accrue de la question climatique auprès des citoyens, pour le moment les actions juridiques d’ampleurs ne sont pas envisageables, car ni la Cour internationale de justice ni la Cour pénale internationale ne reconnaissent l’existence de crimes d’atteintes graves à l’environnement, également appelés écocides.
Crédit image : manifestation climat sur Shutterstock