Le développement durable : cela s’apprend. Seule une vraie offre de formation adaptée intégrant les sujets du développement durable et de l’écologie politique pourra amener un vrai changement de paradigme.
Merci Greta ! Les marches de jeunes et moins jeunes qui remplissent les rues le week-end ne font que commencer. Elles sont un pied de nez aux déambulations insouciantes des genérations précédentes, dont nous avons été sans trop se poser de questions, dans ces couloirs de Mall en rond qui étaient nos nouvelles églises, en Europe du moins ; elles le sont encore à Houston et Dubai qui s’appliquent à faire durer l’addiction au pétrole jusqu’à plus soif.
Un sursaut générationnel pour changer de paradigme social
Ce que dit cette insurrection juvénile est un message d’angoisse mélangée de révolte : nos enfants n’ont pas envie de terminer leur vie dans des décharges de plastique avec des masques sur le visage toute la journée ! En fait, nous venons de passer la 3°étape du cycle des grandes transformations civilisationnelles ; elles commencent toujours par des alertes qu’on reçoit comme des signaux fous ou insupportables.
Ces dernières ont surgi à Stockholm dès 1976, qui s’en souvient ? Et puis vint ensuite le temps des controverses ; on s’est écharpé entre pour et contre au nom de ses intérêts, de ses habitudes, de ses idéologies, jusqu’à ce que le débat se décante ou reflue ; on a tout entendu, de la mauvaise foi au cynisme. Cette dernière dispute a duré jusqu’aux Cop de Copenhague et Paris qui ont vu la rationalité des études, du GIEC, des assureurs, des banquiers centraux, mais aussi des agences militaires, CIA en tête, s’imposer pour dire qu’il y avait péril en la demeure.
Alors, nous sommes entrés, contre notre gré, culpabilisés et peureux à la fois, dans le temps du comment, pas vraiment celui des solutions, au minimum celui des petits gestes, du consensus mou et de l’organisation balbutiante, faisant et défaisant les taxes carbone ou affichant des engagements RSE aussitôt démentis dans les comptes. Si nous n’étions pas poursuivis par un feu continu et irrépressible, ce temps passé à se mobiliser aurait pu apparaître comme une opportunité à penser l’avenir post-industriel.
Mais voilà, le temps nous est compté, dans ce monde trop abrité au coin des identités et des religions qui l’anesthésient, prisonnier des vielles générations qui ne veulent pas voir l’horizon ; trop de retard a été pris et les volontés ont manqué pour se dire qu’il faire bouger les modèles.
Réapprendre une vision durable du monde
Alors le sursaut générationnel en cours dit au moins deux choses. La première est que derrière l’instinct de précaution qui se fait jour, monte une aspiration constructive pour changer notre rapport aux autres, à la nature, aux ressources encore disponibles et faire émerger un autre « vivre ensemble », durable au double sens du terme, celui du projet onusien et celui qui garantit un futur viable dans les décennies qui sont là. Ce premier message est d’autant plus salutaire que les forces en présence, que décrit si bien Amin Maalouf dans son dernier ouvrage, « le naufrage des civilisations », poussent plutôt au repli vers un individualisme triomphant, encouragent les violences identitaires, accélèrent les machines orwelliennes à tout dire, tout surveiller, tout contrôler et sapent les constructions démocratiques qui ont mis tant de temps à trouver leurs équilibres précaires.
Le deuxième message est plus conséquent encore car plus exigeant : la vision durable du monde ne surgira pas comme une « génération spontanée », grâce à de jeunes humains que le refus du présent convertit à un futur plus sobre, plus solidaire, plus raisonné. Il faudra apprendre à « vivre durablement », si on le veut, entre des tirs de missiles au Moyen-Orient, des inondations répétées dans les deltas d’Asie et une sécheresse chronique en Afrique. Pour cela l’humanité a besoin de connaissances, d’études et de savoirs qui lui manquent encore gravement, pas seulement d’argent bien employés et de lois correctrices ; elle a besoin de faire confiance à deux leviers de l’esprit humain qui nous ont toujours sauvé des pires régressions historiques : la critique lucide du présent et l’invention de méthodes expérimentales pour échapper aux obsessions fatales par le changement et l’innovation.
On aurait pu penser que le débat médiatique en boucle, l’extraordinaire invasion des communications individuelles et l’instantanéité des échanges nous auraient ouvert une porte de sortie socratique. Pour que l’humanité se trouve plus intelligente, plus organisée, plus sérieuse. C’est tout le contraire qui se passe : la confusion du net s’ajoute à la pagaille démagogique. On comprend pourquoi notre plus grand écrivain franco-libanais, vacciné contre la dérive des communautarismes, s’alarme de la perte de repères civilisationnels, partout et même dans le réduit européen… C’est la toile de fond de la question durable !
Le développement durable : un défi pour le monde universitaire européen
Sommes-nous condamnés à marcher sans espoir et à regarder le Bouthan et le Costa-Rica édifier une nouvelle arche de Noé, tandis que le royaume d’Aramco et le continent amazonien poursuivront leur somnanbulisme arrogant ? Non, si nous donnons à cette nouvelle génération éveillée les armes de la science et la sagesse de la politique, si nous la dotons des instruments de la raison et si elle s’empare des vertus du dialogue, de l’intelligence du contrat, de l’édifice des Lumières dont Steven Pinker nous rappelle heureusement qu’il éclaire encore largement la conscience humaine contemporaine. Ce havre d’espoir s’appelle l’université, l’école, la formation et la réflexion collective. C’est là que nous devons livrer la guerre de « la civilisation durable » ; c’est là qu’elle se joue pour de bon.
Alors que l’excellente étude du Shift project révèle que nos grandes écoles portent un regard marginal sur la question climatique, que des étudiants mobilisés mettent en cause les insuffisances des cours sur la non-soutenabilité des modèles, que d’autres s’en prennent aux relations trop étroites entre entreprises et enseignements, que ces derniers dans l’économie et la finance tardent à intégrer la logique d’un modèle durable, que les professeurs de gestion valorisent toujours largement les canons de la croissance quantitative et que les sciences sociales ne s’intéressent qu’à la dénonciation, on doit s’inquiéter et réagir : la révolution durable se fera par les amphis ou ne se fera pas ! Il faut armer les esprits nouveaux d’un nouveau corpus intellectuel, en créant des chaires, en encourageant des diplômes innovants, en rénovant les contenus transmis et en organisant les relations éthiques et équilibrées entre les acteurs, dans la transparence et l’intégrité.
C’est sur le campus et dans les écoles qui y mènent, que se jouera l’avenir d’une démocratie responsable, écologique, solidaire, issue d’une reconstruction intellectuelle qu’on avait cru achevée avec l’avènement des algorythmes et l’échec du socialisme scientifique. Il y a là un défi formidable pour l’université européenne qui n’est plus enfin condamnée à courir dans le classement de Shanghai mais qui peut proposer les vérités et les fondamentaux d’une nouvelle «cosmogonie » qui allie enfin la question sociale, la question écologique, celle de la création de richesses avec la science de la bonne gouvernance et de la collaboration contractuelle entre acteurs privés et publics, ceux de la Société, des institutions, des entreprises, dans un « nouvel esprit des Lois » qui fonde son équilibre sur une réinvention de l’intérêt commun.
« La tragédie des horizons » a été un formidable coup de pied mis dans la fourmillière dirigeante par l’un de ses meilleurs représentants ; cherchons, écrivons et enseignons désormais « l’espoir des communs » en pariant sur l’intelligence qui nous reste par-dessus-tout. En collaborant vite. Une initiative s’impose sans tarder. L’appel est lancé.