La notion de lanceurs d’alerte est passée dans le langage courant, compte-tenu de la multiplication des scandales révélés par ces citoyens engagés. Mais qu’est-ce qu’un lanceur d’alerte ? Quelle alerte peut-il donner ? Quel est le dispositif de protection légal dont il peut se prévaloir et la procédure à suivre ?
Définitions des lanceurs d’alerte
Définition courante des lanceurs d’alerte
Pour le grand public, un lanceur d’alerte est un individu qui effectue un signalement dans l’intérêt général, dans le but de révéler les dis-fonctionnements au sein des institutions politiques et économiques. Mais si les alertes se sont multipliées ces dernières années, contribuant à démocratiser le concept de lanceurs d’alerte, pendant longtemps, ces derniers se sont vus exposés à d’importants risques de représailles, en raison de l’absence de dispositif de protection.
Définition juridique des lanceurs d’alerte
En France, ce n’est qu’à partir de la loi du 13 novembre 2007 que le terme a fait son apparition dans le droit français. Cependant, ce n’est réellement qu’avec la loi du 9 décembre 2016 appelée Loi Sapin II qu’un régime général de protection des lanceurs d’alerte a été adopté.
Cette loi impose aux personnes morales publiques et privées de plus de 50 salariés de mettre en place une procédure permettant de recueillir les alertes de leurs salariés. Quant aux organismes de plus de 500 salariés et faisant plus de 100 millions d’euros de chiffre d’affaires, ils sont tenus de mettre en place un dispositif anti-corruption plus vaste, comprenant un dispositif d’alerte interne.
En pratique, selon les dispositions légales issues de la loi Sapin II, un lanceur d’alerte est « une personne physique qui révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou un délit, une violation grave et manifeste d’un engagement international régulièrement ratifié ou approuvé par la France, d’un acte unilatéral d’une organisation internationale pris sur le fondement d’un tel engagement, de la loi ou du règlement, ou une menace ou un préjudice graves pour l’intérêt général, dont elle a eu personnellement connaissance. Les faits, informations ou documents, quel que soit leur forme ou leur support, couverts par le secret de la défense nationale, le secret médical ou le secret des relations entre un avocat et son client sont exclus du régime de l’alerte ».
Pour résumer, est considéré comme lanceur d’alerte toute personne physique (citoyen, salarié ou agent public), qui signale une atteinte considérée comme grave à l’intérêt général. A contrario, les personnes morales, associations ou syndicats par exemples, ne peuvent se prévaloir du dispositif législatif.
En outre, le lanceur d’alerte doit être de bonne foi, ce qui exclut de facto toute personne agissant contre un organisme public ou privé avec l’intention de lui nuire. Cette précision vise à éviter la multiplication des dénonciations calomnieuses. Il convient aussi de souligner que seul le lanceur d’alerte est protégé par la loi et non la victime des faits dénoncées ou le témoin d’un fait portant gravement atteinte à l’intérêt général et qui ne l’a pas dénoncé.
La protection offerte aux lanceurs d’alerte par le dispositif de la loi Sapin II
La protection des lanceurs d’alerte contre les risques de représailles
Lorsqu’une personne correspond à la définition du lanceur d’alerte telle que prévue par la loi Sapin II, elle est alors protégée contre les mesures de représailles dont elle pourrait faire l’objet. Il en résulte que la personne ne peut être licenciée, faire l’objet d’une mesure discriminatoire et ne peut être mutée ou reclassée pour ce motif.
Ainsi, lorsqu’une quelconque mesure de représailles est adoptée à l’encontre d’un lanceur d’alerte, celle-ci est considérée comme contraire à la loi et donc frappée de nullité.
De plus, pour renforcer le dispositif de protection, en cas de mesures de représailles établies contre un lanceur d’alerte, la charge de la preuve est renversée (le principe en droit français est que la preuve incombe à celui qui l’invoque, autrement dit, lorsqu’une personne se prétend victime d’un fait, elle doit en apporter la preuve). Dès lors, cela impose au défendeur – l’organisme ayant porté l’atteinte grave à l’intérêt général dénoncée par le lanceur d’alerte – de démontrer qu’il n’a pas édicté de mesures de représailles. Et, lorsque des mesures ont effectivement été prises contre un lanceur d’alerte, il incombe au défendeur de prouver que la mesure a été prise pour des raisons extérieures à l’alerte transmise.
La possibilité d’agir en référé aux prud’hommes en cas de licenciement
En outre, en cas de rupture du contrat de travail suite à une alerte, le lanceur d’alerte peut saisir le Conseil des prud’hommes en référé (procédure accélérée devant le juge) pour obtenir justice plus rapidement.
La protection pénale des lanceurs d’alerte
Le lanceur d’alerte fait également l’objet d’une protection pénale : sa responsabilité ne peut être engagée lorsque les informations qu’il a dévoilées constituent des violations de la loi (sauf violation du secret médical, du secret professionnel de l’avocat et du secret de la défense) et que la divulgation était nécessaire et proportionnée aux intérêts en cause.
Il faut également préciser que les éléments qui pourraient permettre d’identifier la personne à l’origine du signalement ne peuvent être transmis qu’avec son accord, même s’il est possible de transmettre l’identité du lanceur d’alerte à tout moment aux autorités judiciaires. La violation de l’obligation de garantir la confidentialité de l’identité du lanceur d’alerte est punie de 30.000 euros d’amende et 2 ans d’emprisonnement.
Les faits qui peuvent faire l’objet d’une alerte
L’alerte ne peut porter que sur les éléments énumérés par la loi.
Les alertes peuvent en particulier avoir pour objet de dénoncer un crime, un délit, la violation grave et manifeste d’un engagement international de l’Etat français, ou dénoncer un préjudice d’atteinte grave pour l’intérêt général.
La procédure à suivre pour transmettre une alerte
En pratique, le dispositif d’alerte prévu par la loi Sapin II est graduel : il faut s’adresser d’abord à sa hiérarchie (en interne), avant de saisir au besoin une autorité administrative ou judiciaire puis enfin transmettre l’alerte au public.
La transmission de l’alerte en interne
Ainsi, sauf exceptions, le lanceur d’alerte est tenu de transmettre dans un premier temps les renseignements qu’il a en sa possession en interne au référent désigné pour recueillir les alertes de son entreprise, à son supérieur hiérarchique ou son employeur. La loi ne précise pas s’il est nécessaire de mener une enquête après réception d’une alerte, il est toutefois conseillé d’en mener une lorsque les faits signalés sont sérieux.
L’alerte doit être recueillie en toute confidentialité quant à l’identité du lanceur d’alerte et les faits transmis. La personne destinataire de l’alerte doit en accuser réception et examiner la recevabilité de l’alerte dans un délai raisonnable.
La transmission de l’alerte aux autorités judiciaires et administratives
En l’absence de diligence de la personne informée de l’alerte dans un délai raisonnable, le lanceur d’alerte peut s’adresser aux autorités judiciaires ou administratives, voire à l’ordre professionnel dont il dépend. A ce titre, il peut faire appel au Défenseur des Droits pour être orienté vers l’institution compétente pour traiter sa demande.
La transmission de l’alerte au public
A défaut de traitement de sa demande dans un délai de trois mois par les instances précitées, le lanceur d’alerte peut alors rendre public les informations dont il a eu connaissances.
Par exception, lorsque les informations détenues par le lanceur d’alerte sont relatives à un danger grave et imminent, il peut adresser directement son alerte aux autorités administratives et judiciaires ou encore rendre public son signalement.
Au final, le dispositif de la loi Sapin II est pour le moment récent et donc relativement incompris du grand public (notamment quant à l’obligation de procéder à un signalement en interne avant de rendre toute information publique). Le système mis en place est cependant un vrai pas en avant pour protéger les citoyens engagés ayant eu connaissances de faits de nature à porter atteinte à l’intérêt général.