Les quotas d’immigration feront-ils baisser l’immigration ? Et quel impact sur l’économie et l’emploi ? Quels effets peut-on attendre de la réforme des quotas proposée par le gouvernement ? Décryptage.
Depuis plusieurs décennies, l’immigration s’est imposée comme un sujet central dans les débats citoyens français. Dans le cadre de ce débat, les gouvernements tentent chacun à leur tour de lancer des réformes supposées répondre aux défis de l’immigration.
Le dernier exemple en date est la feuille de route d’une vingtaine de mesures dévoilées le 6 novembre par le gouvernement Edouard Philippe. Au coeur de ce projet : des quotas d’immigration.
Que recouvre cette mesure ? Quels effets peut-on attendre de tels quotas ? Décryptage.
Qu’est-ce qu’un quota d’immigration
Pour comprendre, commençons par définir ce qu’est un quota d’immigration.
D’une manière générale, un quota d’immigration consiste à définir un nombre maximum d’immigrés que l’on accepte sur son territoire. Par exemple, aux Etats-Unis en 1924, on a voté l’Immigration Act qui définissait des quotas d’immigration par pays. Concrètement, chaque année, il ne pouvait y avoir plus de 55 000 Allemands accueillis sur le territoire américain, pas plus de 4 000 italiens ou encore aucun asiatique.
Dans le cas du projet de loi français actuel, les quotas d’immigration sont un peu plus spécifiques. Il s’agit de quotas d’immigration par « métier ». Cela signifie que l’on va chercher à définir pour différents métiers un nombre cible d’immigrants économiques acceptés dans le pays, en fonction des besoins en main d’oeuvre.
Mais quels sont au juste les objectifs poursuivis par l’instauration d’une telle mesure ? Quel impact sur l’immigration, sur l’économie, sur l’emploi ? Voyons voir.
Immigration économique : comment ça marche ?
Avant tout, il faut rappeler qu’un étranger ne peut pas rentrer en France n’importe comment et pour n’importe quelle raison. Théoriquement, pour qu’un étranger puisse rentrer et séjourner en France, il doit disposer d’un visa, et il en existe plusieurs types. Des visas courts, de moins de 3 mois, pour des raisons touristiques ou de transit et des visas plus longs, pour des raisons économiques ou pour suive des études.
L’immigration économique, sur laquelle vont s’appliquer les quotas, regroupe toutes les entrées en France d’étrangers qui ont obtenu un visa long pour raisons de travail. En résumé, ce sont des étrangers qui veulent travailler en France et ont obtenu pour cela un visa de type D, qui les autorise à rester sur le territoire et à y travailler.
Pour obtenir ce type de visas, il faut déposer une demande et disposer de certains documents (une autorisation de travail, demandée à l’administration par un futur employeur par exemple) ou de certaines garanties (ressources de subsistance, attestation d’hébergement…). Dans ce cadre, certains métiers sont accessibles aux étrangers (la liste des métiers accessibles par région est disponible ici), mais pas tous. Certains métiers sont accessibles aux ressortissants de certains pays, mais pas d’autres.
En gros, pour travailler en France lorsqu’on est étranger il faut suivre une procédure bien définie, et ça ne se fait pas si facilement. Il y a bien sûr des cas d’immigration illégale, qui sont hors de ce cadre.
Les quotas pour l’immigration économique : quel objectif ?
L’idée des quotas de la réforme présentée par le gouvernement, c’est d’encadrer encore plus cette immigration économique. Notamment, en définissant plus précisément le nombre de ressortissants étrangers à qui l’on accordera un visa ou une carte de séjour pour des motifs de travail. Concrètement, l’idée est de regarder les différents métiers dans les différentes régions de France, d’évaluer si ces métiers ont besoin de main d’oeuvre et le cas échéant, accorder un nombre défini de visas ou cartes de séjour à des étrangers afin de pourvoir ces postes.
L’objectif affiché par le gouvernement est donc de se doter d’un outil permettant de faire mieux correspondre les entrées sur le territoire pour raisons économiques avec les besoins en emploi dans certains secteurs.
Les quotas vont-ils faire baisser ou augmenter l’immigration ?
Il est donc très difficile de savoir à l’avance si les quotas feront ou non baisser l’immigration ou si au contraire ils la feront augmenter. Cela dépendra de la façon dont ils seront mis en place, de la situation économique et du marché de l’emploi.
En théorie, c’est le Parlement qui va décider, chaque année, des quotas à appliquer pour les différents métiers accessibles aux étrangers. Pour cela, il devra regarder si le secteur peine à recruter en France, évaluer le nombre de postes à pourvoir et établir les quotas en fonction.
Il est possible que dans certains secteurs, ceux qui arrivent aujourd’hui à recruter suffisamment, les quotas soient faibles. Il est aussi possible que les quotas soient élevés dans les secteurs qui au contraire peinent à recruter et pour lesquels les demandeurs d’emploi français ne suffisent pas ou ne correspondent pas.
Impossible donc de dire en avance si ces quotas feront ou non baisser ou augmenter les flux migratoires. De toute façon, l’immigration économique ne représente pas une part très importante des flux migratoires (seulement 13% des permis de séjour accordés). Les variations induites par d’éventuels quotas seront donc minimes.
Les quotas vont-ils faire baisser ou augmenter le chômage ? Quel effet sur l’activité économique ?
Il est également difficile d’évaluer précisément l’effet de ces quotas sur l’emploi ou l’activité économique. Il est déjà difficile d’évaluer précisément l’impact de l’immigration en général sur l’économie, il est donc, logiquement, encore plus difficile d’évaluer l’effet d’une mesure précise sur un aspect précis de l’immigration.
Globalement, de nombreuses études ont cherché à analyser l’impact économique de l’immigration et leurs résultats sont parfois contradictoires. Une étude a ainsi montré qu’en France, l’immigration tendait à faire augmenter les salaires des résidents Français, les immigrés occupant plus souvent les postes les moins qualifiés. Aux Etats-Unis, la situation est un peu différente : une étude menée par David Card, économiste de Berkeley a montré que l’immigration avait un très faible effet négatif sur les salaires moyens. L’absence de salaire minimum permettrait aux entreprises de tirer les salaires vers le bas grâce à la présence d’une immigration plus susceptible d’accepter des salaires bas. Mais même cette étude, souvent relayée par l’extrême droite, s’accorde pour constater que l’immigration a en fait très peu d’effet négatif sur l’activité et les opportunités économiques.
Globalement, la majorité des analyses s’accordent sur le fait que l’immigration en général (incluant l’immigration économique et les autres formes d’immigration) a un impact faible, parfois légèrement positif, parfois légèrement négatif sur des indicateurs comme l’emploi, la croissance ou les salaires. C’est ce que conclut le rapport de France Stratégie sur le sujet.
Certaines études ont également étudié plus spécifiquement les effets des quotas d’immigration. C’est le cas d’une étude américaine menée sur les politiques de fermeture migratoire des années 20 aux Etats-Unis. D’après les chercheurs, les quotas mis en place pour limiter l’immigration à ce moment-là ont plutôt eu un effet négatif sur l’économie (baisse de productivité et baisse des salaires). Il est toutefois difficile d’extrapoler à partir de ce cas sur le cas français, les situations étant très différentes.
Dans ce contexte, on peut penser que les quotas appliqués à l’immigration économique n’auront pas un effet très important sur les indicateurs économiques. D’autant qu’il n’est pas possible de présager de la façon dont ils seront mis en place en pratique.
Actuellement, l’idée des quotas est, d’après la Ministre Muriel Penicaud, plutôt d’affiner la délivrance des permis de travail et de la faire mieux coïncider avec les besoins des bassins d’emploi. Sur le papier, l’idée a du sens, mais en pratique elle est plus compliquée à appliquer. Il est en effet difficile de contrôler finement les besoins en emploi et encore plus de contrôler les flux migratoires pour les faire correspondre à ces besoins.
L’efficacité de la mesure dépendra donc en grande partie des moyens alloués à l’accompagnement des demandeurs d’emploi étrangers et de l’infrastructure mise en place avec Pôle Emploi.
Les quotas d’immigration économique : une mesure symbolique ?
En tout état de cause, l’instauration de quotas sur l’immigration économique ne devrait pas avoir d’effets très importants ni sur le nombre global d’immigrés en France, ni sur les variables économiques. L’immigration économique représente en effet une faible part des flux migratoires. Seuls 13% des titres de séjour délivrés en France le sont pour des raisons économiques. Et comme on l’a vu précédemment, l’immigration n’a pas un impact décisif ni sur l’emploi, ni sur la croissance, même si elle fait légèrement augmenter les salaires des résidents Français.
Ce n’est donc pas nécessairement par le biais de quotas sur l’immigration économique que l’on peut agir réellement ni sur les flux migratoires, ni sur les variables économiques.
En réalité, les leviers à actionner pour agir efficacement sur la politique migratoire française ont été maintes fois identifiés par experts, études et rapports. Selon l’un des plus récents, le rapport de l’OCDE publié en 2018, c’est avant tout le manque de moyens alloués à l’intégration des migrants qui pose problème dans la politique migratoire de la France. Mais sur ce sujet, une seule mesure apparaît dans le projet gouvernemental : une meilleure reconnaissance des diplômes étrangers.
Pas sûr que cela suffise.