Après la crise, pourra-t-il y avoir un changement de modèle ? Une transition vers un paradigme prenant mieux en compte le long terme et l’utilité des services publics ? Est-ce la fin d’un capitalisme néo-libéral orienté uniquement sur le profit à court terme ?

La crise du coronavirus illustre l’incapacité de nos sociétés à être résilientes, à prévoir les crises, à les anticiper. Cette incapacité trouve sa racine dans notre modèle économique, entièrement préoccupé par les rendements à court terme. Ce modèle fonctionne dans un seul but : assurer la croissance, au prix, bien souvent, des services publics qui coûtent certes un peu d’argent mais nous permettraient d’être plus à même de faire face aux imprévus. La santé en est le meilleur exemple : au nom des économies financières, on a petit à petit sapé la résilience de nos services de santé qui aujourd’hui nous fait défaut face au virus.

Tirera-t-on les leçons de cette crise ? Pourra-t-on changer enfin de paradigme et aller vers un autre modèle économique, plus à même de prendre en compte nos besoins de long terme ? C’est en tout cas ce que semblent penser certains économistes, à l’image de Patrick Artus, qui publiait le 30 mars 2020 dans son habituel Flash Économie une analyse de la situation.

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Le modèle néo-libéral face aux crises

Ces dernières années, à travers le monde, on a vu progressivement émerger des remises en cause de plus en plus fortes du modèle économique dominant, fondé sur la réduction des coûts et l’austérité budgétaire. Après la crise de 2008, nombreux sont ceux qui ont appelé à redéfinir nos modèles, à redonner la priorité à des mesures permettant de lisser les inégalités, d’anticiper les instabilités financières, de construire, en résumé, une économie plus durable. Peut-être moins prolifique en termes de croissance, mais plus durable.

Un peu partout, certains indicateurs ont commencé à s’infléchir. Par exemple, depuis la crise de 2008, on a observé un déclin progressif des processus de mondialisation commerciale : le commerce mondial a ralenti, les investissements vers les pays émergents ont diminué, preuve que les industries tentent de se « relocaliser » peu à peu. Les données identifiées dans la note d’analyse de Natixis le confirment.

De même, les politiques d’austérité budgétaire ont commencé à être remises en cause dans certains pays. Les dépenses publiques ont à nouveau augmenté, ou du moins se sont stabilisées, même si dans certaines zones (en Europe) les politiques d’austérité sont toujours d’actualité.

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La crise du coronavirus met en lumière les faiblesses structurelles du capitalisme néo-libéral

Le problème, c’est que tout ça n’a pas, loin s’en faut, mené à un véritable changement de paradigme. Après la crise, les politiques de relance ont fait leur effet, mais on a rapidement commencé à oublier ce qui avait causé la crise en premier lieu. La tentation était donc grande de revenir aux pratiques antérieures, à la compétition fiscale, à la réduction des coûts.

Mais cette fois, la situation pourrait bien être différente. La crise du coronavirus met en évidence les fragilités structurelles de notre mode de développement économique : la dépendance de certaines chaînes de production délocalisées, la fragilité des services publics, notamment quand ils sont privatisés et soumis à des logiques de coût. Elle met aussi en évidence la raison d’être des politiques sociales et de ce que l’on appelait l’Etat providence : protéger le citoyen et l’économie en cas de crise, assurer des filets de sécurité.

Comme le montre la note d’analyse de Patrick Artus, ce sont précisément sur ces indicateurs que la situation a continué à empirer ces dernières années. Par exemple, les économies mondiales se sont rendues dépendantes des approvisionnements asiatiques pour toute la production pharmaceutique. Jamais l’Inde et la Chine n’ont autant exporté de médicaments.

Dans certains pays, les politiques de protection sociales ont continué à s’amenuiser. On a souvent parlé de la réduction des coûts dans les domaines de la santé ou de la protection des travailleurs en Europe, par exemple. Mais un cas est peut-être encore plus significatif : aux Etats-Unis, jamais la protection santé des citoyens n’a été aussi faible.

Comment la crise du coronavirus pourrait redéfinir notre modèle économique

En mettant en lumière ces faiblesses structurelles et stratégiques, la crise du coronavirus devrait nous amener à repenser globalement notre paradigme économique.

Comme l’indique l’étude, « la crise du coronavirus a mis en évidence la fragilité des chaînes de valeur mondiales : quand la production s’arrête dans un pays, toute la chaîne est arrêtée. » Il y aura donc probablement « un retour à des chaînes de valeur régionales, avec l’avantage d’une fragilité moindre et d’une diversification des risques. » Cela signifie une certaine « relocalisation », une « déglobalisation ». « Une situation de dépendance comme celle qui existe pour les médicaments vis-à-vis de la Chine ou de l’Inde ne va plus être acceptée« , selon Patrick Artus.

On peut aussi espérer que « là où elle était [encore] préconisée, l’austérité budgétaire va disparaître« , face à la nécessité de revaloriser le rôle régulateur de l’Etat, dans les politiques de santé ou les politiques sociales notamment. Il se pourrait que le coronavirus entraîne une meilleure compréhension du fait « qu’il faut que toute la population bénéficie d’une protection sociale convenable : indemnisation décente du chômage, couverture maladie… » Dans ce contexte, il ne sera donc plus possible de continuer à baisser les impôts de façon aggressive dans le cadre de la concurrence fiscale.

Délocalisations, réduction des budgets publics liés à la protection sociale, concurrence fiscale : « la crise du coronavirus va amener à remettre en cause tous ces choix du capitalisme néo-libéral« . Espérons-le, pour ne pas se retrouver la prochaine fois dans une crise encore plus grave.

Photo par Paul Fiedler sur Unsplash