Les attractions touristiques impliquant des animaux sont nombreuses. Et elles sont aussi souvent le lieu de graves dérives peu connues du grand public.
Voyager “pour montrer”. C’est l’une des principales tendances de voyage des consommateurs, selon ce rapport datant de 2019 de l’Organisation mondiale du tourisme.
A la recherche de la photo inédite au succès assuré sur les réseaux sociaux, ou simplement pour le plaisir d’une expérience excitante avec la faune locale, le tourisme animalier attire chaque année des milliers de visiteurs.
Se promener à dos d’éléphant, faire un selfie avec un tigre, nager avec les dauphins, câliner un paresseux… Ces pratiques répandues ne sont pas sans conséquence pour la faune qui subit trop souvent de la maltraitance physique et psychologique.
Selon l’ONG World Animal Protection (WAP), le tourisme de la faune sauvage génère chaque année environ 225 millions d’euros et constitue une source de revenus non négligeables pour les pays en développement. Mais tout n’est pas rose dans ce secteur en pleine expansion. Ce seraient pas moins de 550 000 animaux qui souffriraient de conditions de vie misérables à travers le monde à cause du boom du tourisme animalier.
Pratiques cruelles, mauvais traitement, abus : penchons-nous sur la réalité du tourisme animalier encore trop méconnue du grand public, et sur la nécessité de repenser notre modèle touristique à l’échelle mondiale, pour un plus grand respect de la faune.
Le tourisme animalier, une pratique en vogue qui entraîne des dérives.
Les attractions pour les touristes avec des animaux sauvages sont nombreuses. Parmi ces « attractions », on trouve des dizaines de pratiques répandues et pourtant décriées par les organismes de protection de l’environnement, entre autres.
Le selfie avec les tigres et autres animaux sauvages
Selon le rapport de la WAP, 830 tigres en captivité étaient recensés en Thaïlande pour réaliser des spectacles ou des selfies en 2016.
Selon ce rapport, les tigres seraient soumis à des dressages punitifs, et contraints à réaliser des performances très stressantes comme sauter à travers un cercle enflammé lors de spectacles. Maintenus en captivité dans de petites cages ou enchaînés, certains félins développeraient des troubles du comportement. Le rapport rappelle par ailleurs qu’à l’état naturel, les tigresses parcourent entre 16 à 32 kilomètres en une seule nuit…
Les touristes ont parfois l’opportunité de nourrir et caresser les jeunes tigres, qui sont alors enlevés à leur mère deux à trois semaines après leur naissance. Pour réaliser des selfies, ils sont la plupart du temps drogués et dépourvus de leurs griffes.
D’autres animaux sont les victimes de ce type de pratiques : les singes, les hiboux ou encore les paresseux, capturés dans leur milieu naturel, comme le montre cette vidéo de la World Animal Protection.
Balades à dos d’éléphant
Pour que l’éléphant se soumette à l’homme, on lui inflige un dressage violent appelée « phajaan » qui signifie littéralement « briser ». Ce rituel vient de la croyance ancestrale que l’on peut séparer l’esprit d’un éléphant de son corps. L’objectif est qu’il perde ses réflexes et son instinct naturel sauvage.
Des éléphantaux souvent capturés dans la nature sont ainsi enfermés et enchaînés dans des cages étroites. Là, durant plusieurs jours, ils sont privés d’eau, de nourriture, de sommeil, et sont frappés de manière répétitive aux endroits les plus sensibles avec un bâton mûni d’un croc en métal appelé bullhook.
La peur de l’homme ancrée dans leur esprit, ils sont ensuite utilisés pour servir l’homme. Si la moitié des éléphants subissant cette torture ne survivent pas, d’autres développent des troubles psychologiques sévères comme le montre cette étude publiée par la Tufts University, et sont souvent tués car inexploitables.
Sur les 35 000 à 45 000 éléphants peuplant l’Asie, on estime à plus de 15 000 le nombre de ces pachydermes domestiqués.
Charmeurs de serpents
Cette vidéo du média Brut dévoile l’envers du décor sur les charmeurs de serpents.
L’animal est loin de danser au rythme de la flûte comme on le laisse à penser. Dépourvu d’oreilles externes, il ressent essentiellement les vibrations. Ainsi, le rythme des pas effectués sur le sol par le charmeur associé au mouvement de la flûte est perçu comme une menace par le serpent qui se dresse en position défensive.
Par ailleurs, leur bouche est parfois cousue, les glandes contenant leur venin souvent arrachées, or celui-ci leur permet de digérer leur nourriture. Ils meurent parfois d’épuisement.
Les parcs marins et delphinariums
Ces activités existent également en France, bien que le gouvernement vienne d’annoncer des mesures pour limiter leur existence. Dans les parcs marins, des orques mais aussi des dauphins sont forcés de réaliser des numéros.
Dans des bassins exigus (alors qu’ils sont censés nager près de 160 kilomètres par jour dans leur milieu naturel) sans possibilité de plonger au fond de l’eau pour se protéger de la chaleur, ces animaux sont également victimes de stress et de solitude.
Au parc Marineland d’Antibes, l’association de défense des animaux « Sans voix » a révélé des photos où les orques et les dauphins avaient les dents abîmées ainsi que des morsures sur le corps.
Des organismes proposent également de nager avec les dauphins, une pratique notamment dénoncée par France Nature Environnement.
Malheureusement, la liste des dérives de ce type est encore longue. Elle concerne aussi l’exploitation d’animaux légalement considérés comme domestiques. On peut ainsi souligner l’état alarmant de nombreux ânes sur l’île de Santorin, ou de chevaux utilisés abusivement pour des tours en calèche.
Combattre l’ignorance sur les dérives du tourisme animalier
La plupart des individus aiment les animaux, et n’imaginent pas la cruauté derrière ce cadre idyllique qui leur est présenté. Bien s’informer sur les dérives de ce type de tourisme, c’est apprendre à protéger la faune sauvage.
Une méconnaissance de ces pratiques néfastes
Dans cette étude menée auprès de différents sites de tourisme de faune sauvage, les chercheurs ont comparé leurs résultats avec les avis laissés sur TripAdvisor. Pour les sites identifiés comme portant atteinte à la conservation et au bien-être animal, seulement 7,8 % de tous les commentaires des touristes étaient négatifs en raison de ces préoccupations.
Ainsi, on peut supposer que l’immense majorité des personnes qui laissent une critique sur TripAdvisor ne sont généralement pas conscientes des problèmes de bien-être associés aux lieux de divertissement irresponsables pour la vie sauvage.
Eduquer et sensibiliser au bien-être animal
Dans cette logique, la World Animal Protection a publié le Wildlife Selfie Code, un guide incitant les touristes à ne pas prendre de photo si l’animal est tenu, porté dans les bras ou enchainé, s’il doit être appâté avec de la nourriture ou s’il risque d’être blessé.
Ces expériences largement valorisées sur les réseaux sociaux banalisent le phénomène. Le réseau social Instagram a introduit un message d’avertissement depuis décembre 2017 lorsqu’un hashtag associant selfie et animal sauvage, par exemple #tigerselfie est écrit.
Toutefois, il est de notre responsabilité, en tant que voyageurs, de mieux nous renseigner, et d’éviter les centres qui permettent ce type de dérives avec des animaux sauvages. Pour protéger les animaux sauvages et domestiques, il est nécessaire d’arrêter d’encourager et de récompenser ces pratiques.
Pour une régulation du tourisme de la faune sauvage
Cela dit, pour que ces dérives soient endiguées, il faudra certainement renforcer la réglementation et le contrôles.
Accroître la vigilance sur les pratiques dans ces centres
La fermeture des centres touristiques qui font preuve de commerce illégal, de cruauté ou de négligence semble indispensable. C’est ce qu’ont tenté de faire les autorités thaïlandaises, en menant en 2016 un raid au Wat Pha Luang Ta Bua ou Temple des tigres. Ce lieu touristique prisé avait été signalé pour ses pratiques d’élevage douteuses. Sur place, les agents ont trouvé 40 carcasses de tigreaux ainsi que de nombreux organes d’autres animaux, conservés dans des réfrigérateurs, entrainant la fermeture du centre et le transfert de 147 tigres.
L’élevage en captivité des animaux sauvages pourrait être autorisé lorsque le projet final reconnu au niveau international est la conservation de l’espèce. On pourrait alors imaginer une réhabilitation des centres ayant de mauvaises pratiques.
La nécessaire législation sur le sujet
Empêcher ces pratiques, c’est aussi mettre en place une législation ferme. A Angkor, au Cambodge, les balades à dos d’éléphant ont par exemple été bannies. Mais encore faut-il que la législation soit respectée… Charmer les serpents est interdit en Inde, depuis l’adoption du Wildlife Protection Act en 1972. Pourtant, la pratique est encore largement répandue et les peines peu appliquées.
Parfois, on assiste à des tentatives de régulation avortées comme l’épisode où la ministre de l’Environnement Ségolène Royal en mai 2017 interdit la reproduction de ces animaux en captivité, ainsi que les échanges avec d’autres bassins, et que finalement l’arrêté est annulé l’année suivante. La route est encore longue, et un certain courage politique est de mise…
Vers un tourisme éco-responsable : changer les comportements pour accélérer les transitions
Peut-on concilier tourisme et protection de la faune sauvage ?
Aujourd’hui, la demande touristique en matière d’expériences éthiques avec les animaux augmente. Mais la solution n’est-elle pas, au fond, de cesser les interactions entre l’homme et les animaux sauvages ?
Quand bien même une structure estime prioritaire le bien-être de l’animal, peut-elle réellement lui garantir des conditions de vie optimales s’il est dressé pour divertir les touristes et confiné dans un espace clos ?
Faire le choix d’un tourisme animalier responsable
Choisir une agence qui respecte la faune
Les agences de voyage dans le monde ainsi que les sites en ligne doivent cesser de vendre des billets ou faire la promotion d’attractions cruelles pour touristes utilisant la faune sauvage. Au contraire, elles ont un pouvoir immense pour sensibiliser leurs clients au tourisme responsable, et aux bonnes pratiques, et ainsi impacter positivement la vie de ces centaines de milliers d’animaux victimes de maltraitance.
Trip Advisor a souhaité agir en ce sens en arrêtant en 2016 la vente de billets pour ce type d’activités et en favorisant l’éducation à ces sujets, suivi quelques mois plus tard par Expedia. Plus de 180 autres agences de voyage dans le monde se sont engagées à cesser de vendre et de promouvoir les promenades à dos d’éléphant et les spectacles avec ces derniers selon cette étude. La WAP a récemment publié un classement sur l’engagement des agences de voyage en faveur de la condition animale.
Observer ces animaux dans leur milieu naturel
En gardant une bonne distance de ces animaux, il est possible de les observer dans des réserves naturelles, des sanctuaires ou des zones protégées. Ce sont également des lieux qui peuvent préserver des espèces et sauvegarder des animaux rescapés de l’industrie touristique. Pour mieux les approcher et les respecter, il faut se faire accompagner par un guide certifié. Il existe aussi parfois la possibilité d’être bénévole dans des refuges pour s’occuper des animaux.
Toutefois, prudence ! Certains sanctuaires utilisent l’argument éthique pour attirer les touristes et proposent dans le même temps de monter sur le dos des éléphants. Tous les sanctuaires ne sont pas authentiques, Peta France a par ailleurs réalisé un guide pour déceler les arnaques.
Encore une fois, il faut se poser les bonnes questions et se renseigner : les animaux ont-ils l’air en bonne santé ? Ont-ils suffisamment d’espace ? Les bébés animaux sont-ils seuls ou avec leur mère ? Est-il possible de s’approcher d’eux voire de les toucher ?
Repenser nos pratiques touristiques est indispensable pour voir se généraliser un tourisme respectueux de la planète. Un peu d’inspiration avec ces 20 exemples innovants de tourisme durable.
Photo par Andy Holmes sur Unsplash