Quelles sont les causes et les conséquences du harcèlement scolaire ? Comment se perpétue le harcèlement à l’école, et sur le web ? Décryptage.
En début d’année, la mère de Quaden, un enfant australien de 9 ans, atteint de nanisme et harcelé et l’école, est filmé par sa mère alors qu’il lui demande un couteau pour se suicider.
Cette vidéo devenue virale illustre un fléau qui touche un élève sur trois entre 13 et 15 ans à travers le monde soit 130 millions d’enfants, toutes catégories sociales confondues : le harcèlement scolaire.
Il désigne une violence répétée et s’inscrivant dans la durée, impliquant un rapport de domination, et avec la volonté délibérée de nuire à la victime. Elle peut être d’ordre physique, psychologique, sexuelle ou d’appropriation (racket par exemple).
A l’école, elle est le fait d’un ou de plusieurs élèves à l’encontre d’une victime qui ne peut se défendre et dont les conséquences sur elle, sur le plan personnel ou scolaire sont parfois dramatiques. Ces violences se poursuivent également en-dehors du cadre scolaire à travers le cyber-harcèlement.
Quelles sont ces violences et comment sont-elles généres ? Quels sont les mécanismes harcelé-harceleur à l’oeuvre ? Explications…
Le profil des violences de harcèlement scolaire
Les types de violences : les brimades, plus courantes que les violences physiques ou à caractère sexuel
Les insultes (subies par 51 % des collégiens), le vol de fourniture (48 %), les surnoms désagréables (46 %) et les mises à l’écart (39 %) sont les quatre atteintes les plus fréquentes d’après cette note d’information de la DEPP datant de 2017.
Les violences physiques ou violences à caractère sexuel (voyeurisme, baisers ou caresses forcés) sont moins fréquentes. 34% des collégiens rapportent être victimes de bousculades, un chiffre qui descend à 7,5% pour les victimes de voyeurisme.
L’expansion du phénomène à travers le cyber-harcèlement
Ce nouveau type de harcèlement, qui s’effectue sur le web, à travers les réseaux sociaux, forums et chats notamment, consiste à embarrasser, insulter ou menacer les victimes. Cela passe par exemple par du chantage autour de la diffusion de photos à caractère sexuel, par la diffusion de rumeurs, etc.
Avec le temps passé par les jeunes devant les écrans, le risque de cyber-harcèlement peut augmenter. Selon la DEPP, en 2017, 18 % des collégiens déclarent avoir subi au moins une atteinte via les réseaux sociaux ou par téléphone portable. Pour 7 % d’entre eux, le nombre d’atteintes déclaré peut s’apparenter à du cyber-harcèlement. Notons qu’il est majoritairement subi par les filles (8% contre 6% pour les garçons), et par les élèves de troisième.
Ainsi, le harcèlement ne se cantonne plus à la cour de récréation. Il obéit aux mêmes mécanismes que le harcèlement « classique », mais présente certaines particularités.
Selon le Journal du droit des jeunes, beaucoup de jeunes perçoivent Internet comme une zone de non-droit. La violence est encore plus exacerbée car l’agresseur ne perçoit pas les conséquences de ses actes et a le sentiment de ne pas pouvoir être pris. « Les technologies agissent comme désinhibiteur et un jeune qui n’oserait pas agresser un camarade en personne peut être tenté de le faire sur la toile », peut-on lire. Par ailleurs, les contenus haineux peuvent rester indéfiniment sur Internet.
Certains agissent de manière anonyme pas ce n’est pas systématique : « le recours à l’anonymat dépend du moyen de communication utilisé et n’est pas forcément recherché par le(s) harceleur(s), voulant parfois « s’afficher » en tant que membre d’un groupe dominant ».
Le profil des victimes de harcèlement scolaire
En France, d’après le ministère de l’éducation nationale 1 élève sur 10 est touché par le harcèlement scolaire. Plusieurs facteurs permettent de comprendre le processus de victimation.
Les facteurs personnels choisis comme motifs d’agression
Les cibles des agresseurs sont choisies en fonction de motifs : un handicap, une apparence physique particulière (taille, poids, couleur de peau, de cheveux…), une origine nationale ou ethnique, des critères de différence sociale (plus pauvre, plus riche, profession des parents), de genre ou d’orientation sexuelle, etc.
Les agresseurs s’en prennent généralement aux plus petits, aux plus faibles, qui manquent souvent d’estime d’eux-mêmes, et/ou qui ont moins de « prestige social » aux yeux des autres élèves. Ils s’en prennent donc à ceux qui ne peuvent se défendre, et qui sont moins intégrés socialement, dans une logique de loi du plus fort.
Cette étude de l’UNESCO de 2016 fait notamment état des violences homophobes et transphobes dans le milieu scolaire. Par exemple, 70% des étudiants LGBT aux Etats-Unis se sentent en insécurité à l’école.
Le genre : filles et garçons ont autant de risques d’être harcelés, mais pas de la même manière
D’après une étude de l’université de Cambridge, filles comme garçons sont sujets dans les mêmes proportions au harcèlement, mais pas aux mêmes pratiques.
Les garçons seraient davantage exposés aux violences physiques et aux menaces, tandis que les filles seraient plutôt en proie au harcèlement moral à travers l’exclusion ou la diffusion de rumeurs et d’insultes à leur encontre, notamment via les réseaux sociaux.
Par exemple, dans la note d’information de la DEPP, 24% des garçons déclarent avoir été frappés contre 13% des filles.
Les facteurs familiaux : la surprotection parentale
La surprotection de l’enfant par ses parents est évoquée dans ce rapport de l’Observatoire international de la violence à l’École comme un trait fréquent chez les enfants victimes de harcèlement.
Selon le rapport, les enfants surprotégés par leurs proches n’apprennent pas à s’affirmer, à se défendre : « ils ne développent pas une assertivité suffisante, ce qui tend à les fragiliser et à les désigner comme victimes ».
Harcèlement scolaire : le profil des agresseurs
Selon un rapport de l’UNICEF, près de 3 jeunes adolescents sur 10 soit 17 millions de personnes, dans 39 pays d’Europe et Amérique du Nord, reconnaissent avoir harcelé d’autres élèves à l’école.
Les agresseurs proviennent de toutes les catégories sociales, d’établissements privés ou publics, en milieu urbain ou rural, fréquentés par des élèves issus de milieux aisés ou populaires.
Il existe cependant une conjonction de facteurs permettant de comprendre le mécanisme de ces violences, mis en lumière par ce même rapport.
Les facteurs personnels
Physiquement, les agresseurs sont souvent grands et forts et s’en prennent aux plus faibles qu’eux. Parfois, c’est aussi l’inverse, à savoir des personnes petites avec beaucoup d’agressivité. On peut également souligner une tendance à vouloir être dominant, un manque d’empathie et parfois des troubles d’anxiété.
Les facteurs familiaux
Des pratiques éducatives inadéquates, marquées par un faible investissement des parents dans les activités de leur enfant, par l’instabilité de la discipline ou encore par les pratiques disciplinaires punitives et coercitives. C’est la logique selon laquelle la violence génère la violence.
Les facteurs socio-économiques
Le faible niveau socio-économique de la famille serait un facteur aggravant pouvant conduire à des conduites antisociales et agressives. Ces familles sont plus susceptibles de scolariser leur enfant dans un milieu défavorisé par exemple. 64 % des collégiens en Réseau d’Education Prioritaire Renforcée (REP+) déclarent ne pas ressentir de violence dans leur établissement, soit près de 16 points de moins que les élèves des autres établissements selon la DEPP.
Prudence toutefois dans l’interprétation de ces données, car l’organisme montre que le phénomène de multivictimation touche les élèves de tous les établissements dans des proportions comparables.
L’influence des pairs
L’agresseur a généralement de nombreux amis, il agit en groupe. La dynamique du groupe atténue la culpabilité et la responsabilité. Le groupe, mené par son leader, suit un mouvement, ses membres agissent sans réellement se poser de question, avec lâcheté, sans se préoccuper des conséquences sur la victime.
La qualité du climat scolaire
Des règles laxistes au sein de l’école ou encore des conflits entre le personnel joueraient un rôle dans le développement personnel et social de l’élève. Sans cadre stable et sécurisant, sans de véritables sanctions en cas de mauvais comportement, certains se croient tout permis.
Le cas des harceleurs harcelés
Plus surprenant, certains agresseurs sont également des victimes. Dans l’ensemble des pays de l’OCDE, le harcèlement scolaire concerne environ 15 à 20 % des enfants en âge d’être scolarisés, parmi lesquels 10 à 15 % de victimes, 4 à 6 % d’agresseurs et 3 à 4 % de victimes-harceleurs. Ils reproduisent le schéma de violences qu’ils subissent, un phénomène mis en évidence par Dan Olweus, théoricien du harcèlement scolaire.
Les conséquences du harcèlement scolaire et sa prévention
Ces violences peuvent avoir de lourdes conséquences, à court, moyen et long terme.
Concernant l’épanouissement personnel de l’élève, il peut être amené à développer des troubles anxio-dépressifs, une perte d’estime de soi, la peur d’aller vers les autres, des addictions, des troubles de l’alimentation, des somatisations (maux de tête, de ventre, maladies), voire des conduites suicidaires.
Sur le plan scolaire, nombre d’enfants harcelés voient leurs résultats scolaires chuter, décrochent ou ne vont plus à l’école par peur des agressions, développent des phobies scolaires…
S’en sortir est difficile car cela nécessite de parler. Or, « la solitude est une des expériences majeures des victimes de harcèlement » explique Éric Debarbieux, ancien président du Conseil scientifique des États généraux de la sécurité à l’École. La victime est persuadée que c’est de sa faute. Elle a honte et a peur de parler tout en continuant de souffrir.
Apporter une réponse collective
Le harcèlement est donc un phénomène aux mécanismes complexes et aux causes multiples. La responsabilité est donc collective, et endiguer ces violences nécessite une approche globale.
Le rôle des adultes est indispensable. Ils fixent un cadre, donnent l’exemple, et doivent dénoncer ces situations, punir les agresseurs. Ils accompagnent aussi les victimes pour les aider à s’en sortir, à parler. Il s’agit aussi pour eux de veiller aux propos malveillants sur le web.
Du côté des élèves, ils doivent dénoncer les situations de harcèlement et ne pas rester passifs car laisser faire, c’est être complice.
Mener des actions de sensibilisation au niveau national voire international, destinés aux adultes ainsi qu’aux élèves, prendre des mesures fortes pour stopper le harcèlement, c’est aussi l’enjeu des pouvoirs publics, pour protéger les enfants et les adolescents.