L’isolement social est une problématique de plus en plus importante en France. Mais qui sont ces Français qui vivent la solitude au quotidien ? Comment l’expliquer ?
Le 10e rapport annuel sur les solitudes de la Fondation de France, montre une forte hausse de l’isolement relationnel au cours des dix dernières années, qui touche autant les hommes que les femmes.
Avec les confinements successifs et la situation sanitaire, cette problématique est plus que jamais d’actualité : zoom sur l’enjeu de l’isolement social en France et sur les dynamiques de repli sur soi, un phénomène qui touche notamment les plus précaires et/ou fragiles.
L’isolement social à la loupe : caractéristiques et chiffres
L’augmentation du nombre de personnes isolées depuis 10 ans : comment l’expliquer ?
3 millions de personnes isolées supplémentaires depuis 2010
L’isolement touche de plus en plus de Français. En 2020, il concerne plus de 7 millions de Français soit 14% de la population contre 9% en 2010.
Le phénomène gagne de l’ampleur en 2016 puisqu’entre 2016 et 2020, la part d’individus isolés augmente de 4 points de pourcentage. La solitude frappe hommes et femmes dès 40 ans, dans les grandes villes comme dans les villages et les campagnes. »
Isolement social : comment analyser ces chiffres ?
Cette augmentation progressive et continue du nombre de personnes isolées s’explique notamment par l’évolution des sociétés. Multiplication des divorces, hausse de la mobilité dans le cadre du travail, manque de contact de voisinage notamment dans les métropoles conduisent à une baisse de la sociabilité et exposent davantage la population au risque d’isolement.
L’autre facteur à souligner est celui de la hausse généralisée de la défiance envers autrui. Aujourd’hui, à peine plus d’un tiers des Français déclarent qu’il est possible de faire confiance aux autres.
Contacts peu fréquents et liens fragiles : principales caractéristiques de l’isolement social
La fréquence des liens sociaux
Ces chiffres sur l’isolement social ont été obtenus en mesurant la fréquence et la densité des contacts avec des personnes extérieures au ménage et uniquement de visu (en face à face). Cela signifie que les interactions physiques ou à distance ne sont pas considérées sur le même plan.
Sont considérées comme isolées les personnes qui ont des contacts de visu avec les membres des 5 réseaux de sociabilité (familial, professionnel, amical, affinitaire ou de voisinage) une fois par mois ou moins.
Par ailleurs, 5% des personnes isolées déclarent sortir peu, voire pas du tout de chez elles (contre 2% de la population générale), une dynamique qui peut devenir un cercle vicieux si elle est cumulée avec l’absence de conjoint, ou encore la perte d’un emploi par exemple.
La qualité des liens sociaux
L’étude questionne également la qualité des relations et relève que seuls 6 isolés sur 10 sont confiants sur la possibilité de mobiliser leur famille en cas de problème.
D’une manière générale, ils déclarent moins souvent pouvoir « certainement » ou « probablement » compter sur le soutien de leurs proches. 14% des isolés sont certains qu’ils ne pourraient compter sur aucun des cinq réseaux de sociabilité en cas de difficultés ou de coups durs.
En outre, c’est aussi la diversification des réseaux qui permet de s’inscrire durablement dans la vie sociale. Cependant, près d’un quart des Français n’entretiennent de relations soutenues qu’avec un seul réseau, qui devient leur unique rempart face à l’isolement.
Mais alors concrètement, qui se cache derrière ces personnes isolées ?
Les personnes précaires et fragiles, fortement sujettes à l’isolement
Isolement social et précarité économique restent étroitement liés
Le manque de ressources, un facteur d’isolement
Depuis 2016, les bas revenus et les classes moyennes inférieures constituent à eux seuls près de 60% des isolés. En janvier 2020, plus d’un tiers des isolés disposent de bas revenus, contre un quart de la population française.
Les travaux réalisés par le Crédoc pour l’Observatoire National de la Pauvreté et de l’Exclusion Sociale (ONPES) sur les ménages modestes montrent que la sociabilité est contrainte par le niveau de ressources. La pauvreté rend plus difficiles les sorties culturelles, pour le loisir, ou même l’investissement dans une association qui nécessitent généralement des dépenses supplémentaires.
Les jeunes, de plus en plus isolés
C’est ainsi que les 18-29 ans sont autant touchés par l’isolement. Cette tranche d’âge, déjà la plus pauvre, se paupérise un peu plus chaque année. Il y a 3 ans, un cinquième des 18-29 ans vivaient en-dessous du seuil de pauvreté. En 2020, 13% des jeunes de cette tranche d’âge sont isolés, contre 2% il y a 10 ans.
Les personnes fragiles : la double peine
Les personnes souffrant de handicap/maladie chronique
12% des personnes en situation de handicap et/ou souffrant d’une maladie chronique sont isolées. 33% d’entre elles ne disposent que d’un seul réseau de sociabilité et se retrouvent ainsi en situation de vulnérabilité face à l’isolement.
Ainsi, un mauvais état de santé a de fortes chances d’entraver l’existence d’une vie sociale alors soumise au rythme de la maladie ou du handicap. Plus de 60% des personnes isolées souffrant de handicap/maladie indiquent que les répercussions négatives se font le plus ressentir sur leur niveau de vie (+16 points en comparaison des personnes concernées par la maladie ou le handicap mais non isolées) ou sur leurs sorties quotidiennes (+10 points).
Les personnes âgées
1 personne âgée sur 3 (plus de 75 ans) est en situation d’isolement et un tiers d’entre eux n’ont que les relations de voisinage comme réseau de sociabilité.
La maladie, l’inadaptation à l’environnement urbain ou encore les difficultés liées au transport sont autant de freins qui conduisent à l’exclusion et « au repli chez soi, sur soi » selon Arnaud Campéon, sociologue.
Les effets cumulatifs liés à une situation de fragilité
Il semble également intéressant de souligner les effets cumulatifs engendrés par une situation de fragilité, notamment le grand âge, la maladie et le handicap. Ces cas de figure peuvent notamment engendrer :
- des douleurs, de la fatigue
- une mobilité réduite
- des difficultés à s’insérer ou se maintenir sur le marché du travail
- une précarité économique
Ces conséquences impactent directement la vie sociale et ont un effet aggravant sur l’isolement. Sans compter le fait que ces personnes limitent les contacts avec leurs proches par crainte d’être un poids pour eux (c’est le cas de 51 % des personnes isolées en situation de handicap et/ou souffrant d’une maladie chronique).
Quelle typologie des isolés ?
Il existe 5 catégories d’isolés avec leurs caractéristiques propres, permettant une meilleure appréhension de la pluralité des cas de personnes isolées.
Les isolés sereins (19%) ont des contacts fréquents avec leurs proches et ouverts sur le monde, à l’inverse des isolés en souffrance (21%).
Les isolés solitaires (19%) ne se sentent ni en sécurité ni en confliance mais ne déclarent pas souffrir de leur manque de contacts sociaux. Ils sont généralement en situation de pauvreté matérielle mais aussi en décalage avec les valeurs de la population et de leur génération affichant notamment des valeurs traditionnalistes.
Enfin, si les isolés par choix (24%) et les isolés défiants (17%) bénéficient de conditions matérielles plutôt favorables, la première catégorie a peu de contacts et souffre de solitude tandis que les isolés défiants ont des contacts à distance et ne se sentent pas seuls.
Combattre l’isolement social pour favoriser la cohésion et le bien-être
Cette étude nous a permis de mettre en évidence les dynamiques qui sous-tendent le phénomène d’isolement social. On s’aperçoit que les personnes déjà en difficulté pour des raisons de santé, d’ordre financier ou autre sont fortment isolées. Cela ne fait qu’accentuer les inégalités, aggraver la fracture sociale.
Faire de la lutte contre l’isolement social une priorité, via des politiques ambitieuses et la mobilisation citoyenne, permettra plus d’inclusion, et un renforcement global de la cohésion de la population.
Il s’agit également d’un enjeu majeur de santé publique lorsqu’on sait que l’isolement social accélère les pertes d’autonomie et provoque dépressions et suicides. Lutter contre ce phénomène et les vulnérabilités qui lui sont liées, c’est donc aussi améliorer le bien-être de la population.
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