La forte natalité en Afrique nécessite d’abord d’en comprendre les logiques sous-jacentes. Zoom sur les logiques sociales de la procréation sur le continent.
D’après le Fonds des Nations Unies pour la population, le continent africain a une fécondité de 4,6 enfants par femme. Le continent pourrait atteindre près de 3 milliards d’habitants en 2100, et représenter 40% de la population mondiale.
Comment expliquer cette natalité beaucoup plus forte que sur les autres continents ? Les causes sont multiples : religion, tradition, « rationnalité économique »…
Mais c’est aussi une histoire culturelle, sociale. Encore aujourd’hui dans de nombreuses communautés, le fait d’avoir des enfants est facteur de prestige social et représente donc un réel enjeu pour les femmes dont la maternité va conditionner leur statut social. Et cette pression à avoir des enfants vient aussi de l’extérieur, à savoir de la communauté ou du conjoint. Analyse…
L’image de la femme liée au rôle de la maternité
Dans les sociétés africaines, la femme est généralement considérée à travers son rôle de mère. C’est en premier lieu via cette fonction qu’elle existe et est valorisée dans la société, constituant alors un véritable pilier du corps social.
La maternité, un moment privilégié
La maternité est perçue comme un moment privilégié dans la vie d’une femme, particulièrement en Afrique. Cela se voit par exemple à travers l’art où dans toutes les ethnies, on trouve des représentations de mère à l’enfant.
Elles sont réalisées dans des matériaux divers comme bois, l’ivoire, la pierre, la terre cuite, et dans de multiples attitudes : mère assise allaitant son enfant, debout avec l’enfant au dos ou à la hanche…
La grossesse et l’accouchement représentent la survie de la communauté. Ainsi, ils s’accompagnent d’un ensemble de rites de protection et d’interdits visant à protéger les mères et leurs fœtus.
Par ailleurs, selon les croyances, la femme enceinte aurait une relation privilégiée avec les esprits, avec les êtres de l’au-delà, et est généralement considérée comme un intermédiaire entre les ancêtres et le monde réel.
La femme, définie selon son statut de mère
Lorsqu’elle enfante, ou même lorsqu’elle élève un enfant qui n’est pas le sien au sens biologique, la femme est souvent appelée différemment par la communauté.
Tanella Boni dans son livre « Que vivent les femmes d’Afrique ? » prend ainsi l’exemple de la Côte d’Ivoire. Elle explique que la femme, après l’accouchement, est désignée comme « la mère de » suivi du prénom de l’enfant. Si elle a plusieurs enfants, elle sera nommée par le prénom du premier enfant, à l’origine de son statut de « mère ».
Cette logique de nomination s’applique aussi parfois aux enfants. Par exemple, dans les familles où l’époux a plusieurs femmes et de nombreux enfants pouvant porter le même prénom, comme au Sénégal ou dans des pays du Sahel, l’enfant est reconnaissable par le prénom de sa mère, parfois même à l’âge adulte. Il est ainsi désigné fille ou fils de telle femme. Cela met permet de comprendre l’importance du lien mère – enfant dans certaines cultures africaines.
La pression sociale autour de la maternité : le « devoir de procréer »
La maternité est également fortement valorisée par les communautés africaines. Cela se traduit par des rites de fécondité, mais aussi par des pratiques d’exclusion envers les femmes ne parvenant pas à procréer.
Les rites de fécondité en Afrique
Dans l’imagerie populaire en Afrique, il y a d’un côté les femmes stériles et de l’autre les femmes fécondes.
Ces dernières font le bonheur des hommes dans la société, considérées comme « reines-mères ». En effet, la maternité a un fort pouvoir symbolique car elle est gage de continuité de la communauté et plus particulièrement gage de la descendance de l’homme auquel elle est liée.
Ainsi, un certain nombre de rituels existent pour faciliter l’enfantement. Il existe ainsi par exemple des rites autour des « poupées de fertilité ». Ainis, d’après une légende du Golfe de Guinée et notamment des régions ghanéennes, Akua, une jeune fille infertile, avait fait sculpter sur du bois, sur les conseils du guérisseur du village, un petit enfant qu’elle devait porter, nourrir et traiter comme son propre bébé. Grâce à cette poupée de bois, la jeune femme serait tombée enceinte. C’est ainsi que d’autres femmes dont la grosesse tardait à venir auraient suivi son exemple et adopté l’Akua Ba (l’enfant d’Akua).
Selon les régions et l’évolution des traditions, la poupée de fertilité doit être confectionnée par le père, le frère ou le mari. Parfois offerte aux petites filles pour assurer leur fécondité à l’âge adulte, l’apparence de l’Akua Ba doit tendre vers la perfection pour donner naissance à un bel enfant.
Par ailleurs, c’est toujours à la femme qu’il appartient de se soumettre aux rituels destinés à assurer la venue et la survie de l’enfant. Et si la femme ne parvient pas à avoir d’enfant, cela peut se transformer en un véritable problème.
La maternité conditionne le statut social
Les femmes africaines accèdent à la plénitude de leur rôle social avant tout à travers la procréation. Par exemple chez les Joolas, un peuple du Sénégal, une femme qui n’a pas eu d’enfants occupe une position bâtarde. Elle est par exemple exclue des associations de femmes.
Certains auteurs vont même jusqu’à parler de « contrat social rempli » pour les femmes ménopausées qui ont été épouses et mères.
En outre, la stérilité de la femme entraîne une mise au banc par la communauté pouvant se traduire par un divorce à la simple initiative du mari tenant de la pure et simple répudiation ou encore par des accusations ou soupçons de sorcellerie.
Lors des cérémonies liées au culte de la fécondité, les femmes stériles sont parfois même calomniées à travers des chants que nous rapporte Tanella Boni dans son livre :
« Ohoo, la femme stérile ! elle couche en vain avec les hommes,
Ohoo, la femme stérile s’habille très bien mais c’est en vain que son mari la chérit.
Ohoo, la femme stérile accompagne les hommes, elle est debout comme un bois sec. »
A souligner que la situation est bien différente dans le cas où le mari est impuissant ou stérile. On assiste notamment à des pratiques telles que le « prêt » de l’épouse à un ami qui pourrait l’aider à procréer, ou encore au lévirat, où le frère du mari stérile épouse sa femme afin de poursuivre la lignée de son frère.
Maternité valorisée… Mais pas sous n’importe quelles conditions
On peut donc affirmer que la maternité constitue souvent un passage obligé pour les Africaines, dans le sens où elle conditionne leur rôle et leur place dans la société. À quelques nuances près toutefois, comme le rappelle l’historienne Anne Hugon.
Que la maternité soit en général valorisée en Afrique ne signifie pas que cette valorisation soit homogène sur tout le continent, à toutes les époques, ni que tous les traits de la maternité constituent pour les femmes un privilège.
Ainsi, beaucoup de jeunes filles enceintes voire devenues mères ne peuvent plus retourner à l’école. La Sierra Leone, la Tanzanie et la Guinée équatoriale interdisent même aux filles enceintes de suivre les cours.
« Beaucoup de mères adolescentes ne retournent pas en classe parce que leurs écoles les excluent ou que leurs familles ne les laissent pas continuer leur scolarité » explique Elin Martínez, chercheuse auprès de la division Droits des enfants de Human Rights Watch.
La maternité s’exerce aussi sous la contrainte sociale du groupe. Il s’agit aussi d’être une « bonne mère », c’est-à-dire d’élever ses enfants selon les normes sociales de la communauté, et finalement d’adopter les bonnes attitudes pour avoir la réputation et le prestige qui se rattachent à la fonction maternelle.
Croissance démographique et sociétés africaines
Quoi qu’il en soit, une partie de la croissance démographique africaine s’explique par le rôle très particulier que tiennent la maternité et le rapport à la procréation dans les sociétés africaines.
Pour comprendre la transition démographique du continent, et éventuellement pour agir sur cet enjeu, il est donc nécessaire de passer par l’analyse des rapports sociaux complexes qui entourent la question de la maternité et de la place de la mère dans la société africaine.
Photo par Terre Citoyenne et Solidaire