Le bois énergie est-il une solution de la transition écologique ? 3 experts et expertes de différents domaines répondent à la question simplement.

Dès la Préhistoire et jusqu’au développement du charbon, le bois a été la principale source d’énergie pour se chauffer et cuire les aliments. Le terme « bois-énergie » désigne l’utilisation du bois en tant que combustible, pour produire de la chaleur et/ou de l’électricité après transformation. Il est maintenant utilisé sous forme de bûches, de granulés ou de plaquettes forestières. Le bois-énergie est une énergie renouvelable puisque les arbres coupés sont remplacés par de jeunes arbres. C’est la première source d’énergie renouvelable en France, devant l’hydraulique. Brûler du bois est-ce neutre en carbone ? Est-ce que cela présente un risque pour la santé humaine ? Comment gérer une forêt de façon durable ? La filière bois française est-elle adaptée à la production de bois-énergie ? Pour répondre à toutes ces questions, nous nous tournons vers trois professionnels de différents domaines. Cheffe de projet, chercheur, architecte : ils nous éclairent depuis leur champ d’expertise.

Scarlett Boiardi est cheffe de projets bois énergie et forêt au sein de FIBois IDF, l’interprofession qui fédère les acteurs de la filière forêt-bois en Île-de-France. Elle aide à l’émergence de projets de chaufferie biomasse sur le territoire francilien

Le bois énergie est la première énergie renouvelable en France, avec près de 36 % de la production primaire totale d’énergie renouvelable. En 2019, cette filière représentait environ 67 % de la chaleur renouvelable.

La France fixe d’ailleurs des objectifs ambitieux sur le bois puisqu’elle prévoit une hausse de la consommation de chaleur produite à partir de la biomasse de 20 % d’ici à 2023 et de 30 à 40 % d’ici à 2028, par rapport à 2017.

Il faut savoir que 16,9 millions d’hectares en France sont recouverts de forêts, soit le tiers du territoire national. En absorbant du dioxyde de carbone (CO2), via la photosynthèse, les forêts et la filière bois représentent actuellement un puits de carbone estimé à environ 130 millions de tonnes d’équivalent CO2, soit près d’un quart des émissions de gaz à effet de serre annuelles en France. Séquestration et stockage du carbone, substitution à des énergies ou matériaux plus carbonés, ce sont de véritables services rendus par l’ensemble de la filière forêt-bois. Concernant le bois énergie, le combustible bois vient en substitution à des combustibles davantage émetteurs de gaz à effet de serre (charbon, pétrole, gaz…). Étant donné que la consommation d’énergies fossiles est la première source d’émission de CO2, le bois énergie est un levier essentiel à l’atteinte de la neutralité carbone du territoire, tout en veillant à respecter les exigences en matière de qualité de l’air.

Cette neutralité du bois énergie n’est possible que dans le cadre d’une exploitation forestière durable et multifonctionnelle, avec un usage du bois en circuits courts qui privilégie une utilisation du bois en tant que matériau. Plus précisément, la gestion des forêts et les différentes opérations sylvicoles nécessaires pour produire du bois d’œuvre de qualité conduisent à pratiquer des coupes de bois en forêt, appelées « éclaircies ». Comme les premières éclaircies ne peuvent être utilisées pour la construction du fait du faible diamètre du bois coupé, une partie est laissée au sol et assure la fertilité du substrat forestier en se décomposant, le reste est utilisé comme bois énergie. Ainsi, en moyenne, sur toute la durée d’exploitation d’une parcelle, produire 1m3 de bois d’œuvre conduit à produire 1m3 de bois énergie. En plus d’être un combustible économiquement avantageux pour le particulier, le bois énergie est un complément essentiel à l’économie forestière, et un outil de gestion sylvicole.

C’est aussi un levier au développement économique du territoire. En effet le bois énergie nécessite trois fois plus de main-d’œuvre que les énergies concurrentes. En France, la filière bois énergie compte environ 40 000 emplois directs et indirects, auxquels peuvent être ajoutés entre 20 000 et 30 000 emplois informels (liés aux volumes de bois bûches non commercialisés). Faire appel à la filière bois permet ainsi de faire travailler l’industrie forestière de proximité.

Le bois-énergie est utilisé par des particuliers dans des cheminées à foyer ouvert, inserts et chaudières bois ou par des collectivités et industriels au sein de chaufferies biomasse. On compte environ 7,5 millions de foyers équipés d’un appareil de chauffage au bois et environ 400 000 logements raccordés à un réseau de chaleur alimenté par des chaufferies biomasse. Au total, la France compte plus de 7000 installations biomasse de plus de 50 kW.

Si la question de la qualité de l’air est un enjeu concernant le chauffage au bois domestique, qui émet notamment des particules fines, ces émissions ont été réduites ces dernières années grâce au renouvellement des équipements par des appareils performants (comme ceux du Label Flamme Verte) et l’utilisation de bois de qualité (sec, écorcé et fendu) issus de démarche de qualité comme France Bois Bûche…En effet, 50% d’équipements non performants, antérieurs à 2002, émettent 80% des particules fines issues du chauffage au bois en France. Ces démarches nécessitent d’être poursuivies afin de respecter les exigences européennes en matière de qualité de l’air. Le bois énergie possède de nombreux atouts : indépendance énergétique, substitution à des énergies fossiles, économie circulaire, création d’emplois non-délocalisables, exploitation durable de la forêt, combustible économique… Il s’agit d’une filière qui a l’avantage de reposer sur des ressources locales, et qui constitue ainsi un levier de transition écologique pertinent à développer auprès de territoires forestiers, en articulation avec les autres énergies renouvelables disponibles sur le territoire.

Jean-François Dhôte est directeur de recherches à l’INRAE d’Orléans. Il est spécialisé dans la gestion durable des ressources forestières et leur mutation actuelle liée au changement climatique.

Le bois peut fournir de l’énergie selon différents procédés : chaleur, électricité (par co-génération), biogaz, biocarburants. Même si ces procédés-bois peuvent être moins efficaces que leurs concurrents fossiles en termes d’émissions de gaz à effet de serre par unité d’énergie produite, on considère généralement comme neutre en carbone le bois-énergie issu d’une forêt gérée durablement, contrairement aux énergies fossiles.

Ce qui rend neutre la combustion du bois, c’est qu’il provient d’une récolte régulée pour assurer un rendement soutenu (ordonnance de Brunoy, 1346). Ce constat s’applique aux résidus de bois brûlés après un ou plusieurs cycles comme matériau (usage en cascade), mais aussi (et c’est souvent oublié) au bois frais brûlé directement en sortie de forêt.

La gestion durable des forêts signifie que les coupes sont réglées pour que l’état des forêts reste au cours du temps conforme à une certaine norme sylvicole, quelle que soit l’option retenue pour la conduite des peuplements (futaie régulière, taillis, systèmes irréguliers). Dans chaque parcelle, les arbres ont à peu près le même âge et le même diamètre. Lorsque l’on coupe une parcelle âgée, la perte de carbone que cela représente est compensée par ce que capte une jeune parcelle. Donc, le stock de carbone est constant à l’échelle de la forêt, aussi bien dans les sols que dans les troncs.

Les forêts jeunes, où les vieux arbres ont par exemple été décimés par une maladie, stockent beaucoup de carbone. Si on regarde tout un pays, on peut considérer qu’il y a des compensations entre les forêts qui stockent beaucoup de carbone et celles qui en stockent moins. À l’échelle nationale, du fait de l’importance des forêts jeunes ou sous exploitées, le bilan de cette compensation se traduit par un stockage net de carbone, équivalent à 15% de nos émissions nettes de GES. Par conséquent, même si nous émettons du carbone en brûlant du bois, la pratique de gestion durable assure que ces émissions soient compensées en temps réel par le recrutement de bois analogues, ailleurs dans la ressource forestière.

En outre, la forêt est un mode d’usage du sol particulièrement sobre en intrants, qui fournit à la société quantité de services écosystémiques précieux : biodiversité, habitats pour des espèces de grande valeur conservatoire, eau de qualité, support pour des usages récréatifs ou des valeurs patrimoniales et culturelles… La production de bois alimente une filière locale riche de quelque 400 000 emplois et offre le potentiel d’une activité industrielle diffuse dans les territoires, aussi bien à proximité des grandes concentrations urbaines qu’en milieu rural.

Enfin, la mise en œuvre du bois comme matériau induit des quantités importantes de co-produits (sciures, délignages, purges…) et de résidus en fin de vie, qui peuvent être utilisés sous forme d’énergie. Le débouché énergie contribue aussi à financer la réalisation de travaux en forêt (éclaircies, renouvellement de forêts dégradées ou en impasse sanitaire), dont l’intérêt est vital compte-tenu des risques émergents liés au réchauffement climatique. La production d’énergie-bois, dans un cadre de gestion durable, participe ainsi à l’utilisation efficiente d’une ressource forestière renouvelable, polyvalente, sobre et riche en aménités pour la société.

Dominique Gauzin-Müller est architecte-chercheur, professeure d’architecture et membre du groupe d’experts indépendants de l’association Négawatts.

Si la ressource provient d’une exploitation durable de la forêt, le bois en bûches, granulés ou plaquettes a tout à fait sa place dans un mix énergétique renouvelable pour une transition écologique ambitieuse.

Comme le prône l’association negaWatt[1], son emploi aux côtés du solaire, de l’éolien, de l’hydraulique, du biogaz et de la géothermie doit cependant s’accompagner d’une forte réduction des besoins par la sobriété, grâce à des comportements moins gaspilleurs, et par l’efficacité des systèmes techniques mis en œuvre. 

La quatrième forêt d’Europe

La forêt couvre 31 % du territoire hexagonal. Sa surface s’accroît depuis un siècle, passant de 10 millions d’hectares en 1908 à 17 aujourd’hui. Avec une centaine d’espèces, dont environ 65 % de feuillus, elle est plus diversifiée que celle des autres pays européens. La forêt française profite en effet de la variété de nos milieux naturels et de leurs caractéristiques géologiques, climatiques et topographiques : zone côtière, de plaine ou de montagne avec un climat continental, océanique ou méditerranéen, etc. Son écosystème est viable sans intervention humaine, mais le travail des forestiers vise à l’étendre, à préserver sa biodiversité et à en tirer des ressources.

Pourquoi entretenir les forêts ?

En absorbant du carbone par la photosynthèse, les arbres jouent un rôle central dans la lutte contre les dérèglements climatiques, mais ils sont aussi les premières victimes de ses effets secondaires : tempêtes, sécheresses, ravageurs, maladies, etc. Contrairement aux idées reçues, une forêt vieillissante et non entretenue, dans laquelle le bois s’accumule, est plus sensible aux perturbations. Quand elle est réalisée dans le cadre d’une gestion durable, la coupe est donc fondamentale pour préserver la santé d’une forêt et garantir son équilibre dans la durée. L’entretien des forêts permet aussi de réduire les risques d’incendie et de prévenir les risques d’érosion dans les régions montagneuses.

Produire du bois d’œuvre

Les forêts ne sont pas coupées pour brûler le bois. Cela n’aurait pas de sens d’un point de vue écologique ni économique, sans parler du bilan carbone ! Entre les arbres de haute futaie, qui seront un jour mis en œuvre dans des bâtiments, poussent des spécimens plus chétifs ou tordus, qui dépérissent et meurent. La valorisation de cette ressource en bois-énergie permet d’entretenir la forêt, mais pas de la faire vivre. En Pays de la Loire, par exemple, les plaquettes forestières sont vendues moins de 10 euros par tonne et les bûches entre 10 et 15 euros par stère, alors que du chêne de qualité peut dépasser 1 000 euros par mètre cube. L’objectif de la filière forestière est donc plutôt de produire du bois d’œuvre, dans le respect de la nature et de ses cycles.

Les usages du bois-énergie

Dans les forêts françaises, environ 60 % d’un arbre mature est utilisé en bois d’œuvre : son tronc est transformé en pièces de charpente, montants d’ossature, poutres de plancher, parquet, mobilier, etc. Quant aux branches et aux houppiers des cimes, ils servent à la fabrication de papier ou de dérivés industriels et pour le bois-énergie. Si 8,1 millions de mètres cubes sont commercialisés, la récolte des ménages pour leur consommation est estimée à 21,5 millions de mètres cubes[2]. Le bois-énergie est donc en grande partie issu d’une économie informelle fondée sur l’affouage. Le Code forestier donne en effet à un conseil municipal la possibilité de réserver une partie des bois de la forêt communale pour l’usage domestique, et les particuliers peuvent y ramasser gratuitement du bois pour le chauffage et la cuisine. Les changements de mode de vie, l’urbanisation, la baisse de population dans les zones rurales et la professionnalisation de la vente des bûches réduisent cependant cette pratique historique.

Les sources du bois-énergie

Le bois-énergie est un sous-produit de la transformation industrielle des grumes : sciages, contreplaqué, panneaux de particules, etc. Il peut aussi venir de l’entretien des forêts, des haies bocagères et des espaces verts urbains ou de la valorisation, en fin de cycle, de déchets de bois non traités.

Il arrive aussi que des erreurs de sylviculture et les conséquences du changement climatique amènent à des coupes sanitaires, comme pour les sapins et épicéas touchés par les scolytes dans l’Est de la France. Ces arbres malades, parfois difficiles à valoriser en bois d’œuvre, peuvent être utilisés dans l’industrie ou comme combustible. Leur récolte est nécessaire pour planter de nouvelles essences qui produiront du bois d’œuvre pour les prochaines générations. La récolte de bois-énergie sur des peuplements « pauvres » permet aussi de planter des arbres destinés à la production de bois d’œuvre. L’agroforesterie et la replantation de haies de bocage participent également à la production de biomasse destinée à l’énergie, sous forme solide ou liquide.

Un potentiel d’accroissement de la récolte

La récolte de bois en France est depuis des décennies notablement plus faible que l’accroissement biologique (environ 60 %). En 2015, l’IGN et le FCBA ont réalisé une évaluation des disponibilités nationales à l’horizon 2035. Selon ce rapport, notre forêt pourrait supporter une augmentation d’environ 30 % de la récolte. Cette évolution pourrait satisfaire à la fois l’accroissement de la demande de bois d’œuvre en feuillus et celle de ressources pour l’industrie et l’énergie. À cause de la faible proportion de conifères dans la forêt métropolitaine (environ 35 %), la disponibilité en bois d’œuvre de résineux resterait inférieure à la demande envisagée, et les importations en provenance des pays scandinaves et germaniques continueraient.

Valorisation économique du patrimoine forestier

Le Land autrichien du Vorarlberg, pionnier pour la transition énergétique, est également réputé pour son architecture écologique en bois. Les 96 communes de cette petite région alpine ont au moins une centrale de chauffage au bois avec réseau de chaleur. Ce développement participe à une valorisation économique du patrimoine forestier, riche d’une ressource abondante et efficacement gérée.

La forêt française profiterait d’un tel modèle, mais elle présente plusieurs handicaps. Elle est majoritairement détenue par des propriétaires privés (75 %), le reste appartenant à l’État (9 % de forêts domaniales) et à des communes, des collectivités locales ou des établissements publics. Par ailleurs, la forêt hexagonale est très morcelée : un tiers de sa surface est composée de parcelles de moins de 25 hectares, ce qui rend leur exploitation très difficile.

La sensibilisation des petits propriétaires est un enjeu majeur. Des efforts sont indispensables pour que la récolte augmente dans les forêts privées et que les coupes soient effectuées partout dans de bonnes conditions. Par ailleurs, les agriculteurs doivent être sensibilisés à l’entretien du bocage et de ses haies. Des machines performantes et le tri des produits de l’élagage peuvent aussi participer à une meilleure valorisation de la matière issue des parcs et jardins urbains.

Les scénarios négaWatt et Afterres2050

Pour produire de l’énergie, utiliser une ressource renouvelable comme le bois permet d’éviter de consommer des combustibles fossiles. Plusieurs scénarios énergétiques montrent qu’il est possible d’atteindre en France une solution 100% renouvelables à l’horizon 2050. Le bois y est utilisé principalement pour chauffer les bâtiments : poêles à bûches, à granulés ou hybrides ; chaufferie centrale dans des immeubles résidentiels ou tertiaires ; réseaux de chaleur. Le parc des poêles et cheminées existants doit par ailleurs être renouvelé par des appareils performants pour réduire les émissions de poussières.

Dans le mix en énergie primaire du quatrième scénario négaWatt, paru en 2017, la part du bois est supérieure à 20 %. Une partie est convertie par pyrogazéification et injectée dans le réseau actuel de gaz naturel. Le scénario Afterres2050 de l’association Solagro[3], partenaire de négaWatt, fournit de nombreux détails sur ces sujets. La condition primordiale pour atteindre l’objectif ambitieux de ces analyses prospectives est une implication individuelle pour réduire drastiquement les besoins et la rénovation énergétique rapide, massive et performante du parc immobilier existant.

Frugalité heureuse et créative

Au même titre que la paille pour le blé, le bois-énergie doit rester un sous-produit du bois d’œuvre. Et plus nous produirons du bois d’œuvre, plus il y aura du bois-énergie issu des coupes d’éclaircies et des produits connexes de la transformation des grumes. Le développement du bois dans la construction est donc un facteur déterminant pour augmenter la récolte et valoriser économiquement le bois-énergie. Mais la seule maîtrise de l’énergie ne suffira pas !

La transition écologique demande une approche holistique, comme celle du Manifeste pour une Frugalité heureuse et créative dans l’architecture et l’aménagement des territoires urbains et ruraux[4]. La frugalité commence par le bon usage des sols, dans le souci de la préservation du vivant. Le manifeste prône aussi la frugalité en énergie, en matière et en technicité : « La transition écologique et la lutte contre les changements climatiques concourent à un usage prudent des ressources épuisables et à la préservation des diversités biologiques et culturelles pour une planète meilleure à vivre. »


[1] https://negawatt.org

[2] „Questions-réponses Bois énergie“, Syndicat des énergies renouvelables et France Bois Forêts, 2019

[3] www.solagro.org

[4] www.frugalite.org

Photo de Hayden Scott sur Unsplash