Congés et vacances illimités : quels avantages et quels inconvénients ? Si le nombre d’offres d’emploi proposant des vacances illimitées augmente, le concept, lui, continue de faire débat.
Pour bon nombre de salariés, le mois de septembre rime avec la reprise du travail et la fin des vacances avant plusieurs semaines. Et pourtant, saviez-vous que certaines entreprises proposent des congés illimités à leurs salariés ?
Si de prime abord, l’offre de vacances illimitées semble alléchante, elle ne présente pas moins plusieurs limites. On vous aide à y voir plus clair…
Les congés illimités : une tendance en hausse
Linkedin, Dropbox ou encore Netflix, le concept de congés illimités est devenu la norme au sein de ces entreprises. Né aux États-Unis au cœur de la Silicon Valley dans les années 2000, le concept de vacances illimitées se développe lentement en Europe. La plateforme de recherche d’emploi Joblift a publié une étude datant de 2018 sur cette tendance. Elle a analysé les offres d’emploi publiées sur 24 mois où les congés illimités étaient mis en avant, dans 5 pays.
L’offre de vacances illimitées est encore très faible en France avec 1 offre sur 100 000, soit 26 fois moins qu’au Royaume-Uni par exemple, et elles restent essentiellement proposées par des startups, à la différence des autres pays où l’offre de congés illimités est plus intégrée par les grandes entreprises (30% des offres au maximum viennent de startups dans les 4 autres pays étudiés).
Un nombre de propositions qui reste pour l’instant assez marginal en France notamment en raison du système de protection sociale, l’un des plus généreux en termes de congés payés légaux (cinq semaines obligatoires contre zéro outre-Atlantique).
En revanche, on note une augmentation de ces offres de 60% dans l’Hexagone, preuve que ce système intéresse de plus en plus d’employeurs. Que doit-on en penser ? Les congés illimités sont-ils vraiment un avantage ou un nouveau moyen de pression sur les salariés comme l’affirment certains ?
Congés illimités : quel intérêt pour les entreprises ?
Bien qu’à première vue ce système semble davantage profiter aux salariés, les entreprises peuvent aussi y trouver leur compte.
Attirer et retenir les talents en améliorant la qualité de vie au travail
Indéniablement, ce système a pour vocation d’attirer et retenir les talents, surtout lorsqu’on sait les coûts pouvant être engendrés par le départ d’un salarié.
L’entreprise souhaite montrer aux candidats qu’elle offre de très bonnes conditions de travail à ses salariés, qu’elle a un rapport sain vis-à-vis du travail, et ainsi paraitre plus attractive.
Offrir une meilleure ambiance de travail, moins de stress et donc davantage de bien-être à travers un système qui repose sur la confiance, c’est toute l’ambition du principe des congés illimités.
Et pour que cela fonctionne au mieux, les salariés créent ensemble une charte morale des congés illimités. Par exemple, ne pas prendre de congés lorsque l’on est en plein milieu d’un gros projet, ou encore de prévenir à l’avance lorsque l’on souhaite prendre quelques jours de repos.
Améliorer la performance du salarié à travers une organisation flexible du travail
Dans ce système, il n’y a plus une culture d’horaires mais plutôt une culture de résultats, où chacun accomplit ses objectifs. Les salariés s’organisent en fonction de leurs besoins, de leurs aspirations personnelles, ce sont eux qui choisissent comment répartir leur temps de travail. Arriver plus tard pour emmener ses enfants à l’école, ou plus tôt pour se libérer en fin de journée, c’est tout à fait possible. Et cela semble avoir un impact positif sur la performance de l’entreprise, à en croire le témoignage de Martial Demange, gérant du groupe immobilier « Avinim » dans les Vosges qui a mis en place le principe des vacances illimitées pour sa dizaine d’employés.
« Je pense vraiment qu’il y a un intérêt au bien-être des collaborateurs, et que ça s’en ressent sur les performances. Si notre groupe immobilier a survécu après la crise, je pense que ce système n’y est pas pour rien. » explique ainsi Martial Demange, dans Vosges Matin
Attention aux dérives liées aux congés illimités
Cependant, d’autres voient dans cette nouvelle pratique des risques de dérives et préfèrent mettre en garde.
Des risques pour la santé du salarié
En France, d’un point de vue légal, les contrats définissent le temps de travail à 35 heures par semaine avec des arrangements en fonction du statut. Les salariés disposent également de 30 jours ouvrables de congés payés soit 5 semaines, hors jours fériés.
Toutefois, en laissant libre choix au salarié de bénéficier du nombre de jours de congés qu’il souhaite, il y a un risque de dérapage hors du cadre légal si le salarié prend finalement moins de congés, ce qui semble parfois être le cas.
« Quand les congés sont à la libre initiative de l’employé, il n’en prend pas. Il a tendance à en faire trop quand il n’a pas de cadre légal de protection », selon Lætitia Vitaud, responsable des contenus chez WillBe Group et spécialiste des questions sur l’avenir du travail et du management
Mais alors comment expliquer que certains salarié ne prennent pas ou peu de congés alors même qu’ils sont illimités ? Si le salarié peut prendre ses congés et aménager son temps de travail comme il le souhaite, il y a alors transfert de responsabilité : la responsabilité du travail ne dépend plus de l’employeur mais du salarié. Dans ce contexte, il se peut que la culture de certaines entreprises, qui valorise la performance, finisse par créer une pression (plus ou moins explicite) sur les salariés : une pression de présentéisme et d’implication qui se fait parfois au détriment de la santé mentale ou physique des collaborateurs. Le risque est particulièrement fort dans des structures où les salariés manquent de temps pour réaliser leurs tâches, ou dans le cas d’objectifs trop difficiles à atteindre.
Alors que ce système d’autorégulation est censé favoriser un meilleur cadre de travail pour prévenir notamment l’épuisement professionnel, il peut avoir l’effet contraire et dans certains cas, contribuer à détériorer ce cadre. Or comme le rappelle Stéphane Béal, il est du devoir de l’employeur de veiller à ce que ses employés prennent du repos.
« C’est le salarié qui s’autolimite, mais légalement l’employeur doit assurer sa sécurité physique et mentale. S’il ne le force pas à prendre ses congés, il peut être responsable en cas d’accident du travail. Dans les textes, le congé, comme le repos hebdomadaire, est là pour permettre aux salariés de se reposer, pour protéger sa santé« , explique Stéphane Béal, avocat associé et directeur du département Droit social du cabinet Fidal
Un risque de perte de cohésion d’équipe
Le système des congés illimités peut être la source de tensions au sein de l’équipe. Par exemple, elle peut susciter des problèmes d’équité entre ceux qui chercheront à dépasser absolument les 5 semaines pour profiter de leur avantage, et ceux qui se restreindront, notamment pour des raisons liées à la culture du travail et à la performance. Cela peut générer de la frustration chez certains, voire un sentiment d’injustice, et in fine conduire au désengagement et déteriorer l’ambiance et la cohésion d’équipe.
Autre illustration avec la manière de prendre les vacances : pour que le système fonctionne correctement, il est nécessaire d’avoir une très bonne communication entre tous les collaborateurs. Ceux qui souhaitent prendre du repos doivent prévenir suffisamment en avance, se concerter avec les autres s’ils sont plusieurs à vouloir partir aux mêmes dates, veiller à la continuité du travail à effectuer pour ne pas mettre en péril l’entreprise… Ce sont des points dont il est important de discuter, et une charte morale peut être un moyen intéressant de contourner une partie de ces difficultés.
Quoi qu’il en soit, il semble que la réussite du modèle des congés illimités au sein d’une entreprise repose sur un équilibre parfois difficile à trouver entre le bien-être du salarié, la santé de l’entreprise et la cohésion d’équipe.
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