Qu’est-ce que le greenwashing et comment l’identifier ? Comment repérer les stratégies d’éco-blanchiment dans la publicité et le marketing ? Décryptage.
Slogans trompeurs, labels auto-décernés, certaines marques sont prêtes à tout pour se donner une image responsable tout en exerçant des activités polluantes. La publicité est alors un moyen de « verdir » leur image auprès des consommateurs, de plus en plus soucieux de l’environnement. L’argument écologique serait donc un moyen d’encourager la promotion et la vente des produits d’une marque.
Cependant, promouvoir un produit polluant via un argument écologique est forcément délicat et peut conduire à l’utilisation de cet argument écologique de manière abusive : c’est le greenwashing. Cette méthode de marketing fourvoye le consommateur qui a l’impression de faire une bonne action alors même qu’il vient de se faire duper. Et les cas de ce genre sont nombreux. Plusieurs ont notamment été pointés par un rapport de la Commission européenne en janvier 2021, que l’on vous détaillait dans notre article Le greenwashing : comment lutter ?.
L’étude révèle que sur les 344 allégations environnementales de sites web analysées, la moitié n’étaient pas étayées par des preuves suffisantes pour permettre aux consommateurs de juger de l’exactitude de l’information. 37% d’entre elles comportaient des affirmations vagues et générales mentionnant des termes tels que «conscients», «respectueux de l’environnement» et «durables», visant à donner aux consommateurs l’impression non étayée qu’un produit n’avait pas d’incidence négative sur l’environnement.
Face aux attentes des Français dont 80% trouvent que la publicité pour les produits les plus émetteurs de gaz à effet de serre devrait être interdite, il semble primordial de s’interroger sur ces questions.
Quels sont les critères retenus pour déterminer si oui ou non une marque fait du greenwashing dans une publicité ? Existe-t-il un contrôle de la publicité et si oui qui s’en charge ? Quels sont les apports de la loi Climat et Résilience sur le sujet ? On vous en dit plus dans cet article.
Voir aussi : Publicité et écologie : quels liens ?
Le contrôle de la publicité et le respect des règles de déontologie publicitaire
Qui contrôle la publicité ?
Il existe, en France, un organisme chargé de « mener toute action en faveur d’une publicité loyale, véridique et saine » qui se nomme l’autorité de régulation professionnelle de la publicité (ARPP).
Pour réaliser cette mission, l’ARPP édicte un ensemble de recommandations qui sont des règles d’éthique applicables à la communication publicitaire. Ce sont en quelque sorte les règles déontologiques de l’expression publicitaire en France.
Ces règles sont par exemple édictées concernant l’image et le respect de la personne, l’appel à la générosité publique, les comportements alimentaire ou encore le développement durable entre autres. L’ARPP analyse ainsi les publicités et détermine si elles sont conformes ou non à ces règles déontologiques.
Les publicités diffusées à la télévision sont systématiquement contrôlées en amont, mais pas pour les autres supports comme la radio, ou dans le journal. Pour le contrôe après diffusion, c’est principalement le jury de déontologie publicitaire (JDP) qui s’en charge en étudiant et en se prononçant sur des plaintes émises à l’encontre de publicités.
Si les taux de conformité sont très élevés dans l’ensemble des bilans thématiques de l’ARPP, ce n’est en revanche pas le cas des publicités environnementales…
Publicités environnementales : des règles de déontologie pas toujours respectées
L’étude « Publicité et environnement » réalisée conjointement par l’ARPP et l’Ademe en 2019 montre que les règles de déontologie publicitaire, notamment concernant l’environnement, sont encore loin d’être parfaitement appliquées.
Cette étude résulte de l’examen de 26 120 publicités diffusées sur les bannières web, les insertions presse, l’affichage national, les posts Facebook et les films publicitaires diffusés sur la plateforme YouTube. Sur le total des publicités analysées, 833 sont liées à la thématique environnementale soit 3%, un taux stable par rapport aux années précédentes d’après les auteurs de l’étude.
Que retenir de cette étude ? Essentiellement que le taux de non-conformité de ces publicités environnementales est de 11,6%. En d’autres termes, cela signifie que sur les 833 publicités environnementales analysées, 97 visuels ne respectaient pas les recommandations de l’ARPP en matière de communication autour du développement durable.
A noter également que ce taux est en nette baisse par rapport à celui du précédent bilan en 2017 (94%) et atteint le niveau plus bas depuis 2010.
À titre de comparaison, les taux obtenus dans les bilans thématiques de l’ARPP sur les comportements alimentaires et sur l’image et le respect de la personne sont de 99,8 % dans les deux cas.
Sur la plateforme Youtube, c’est même la moitié des films publicitaires abordant les sujets du développement durable qui ne sont pas conformes.
Comment expliquer cette différence du taux de conformité ?
Urgence écologique, évolution des comportements des consommateurs, appels à une consommation plus durable et responsable, les marques ont compris qu’elles devaient arriver à vendre tout en prenant en compte cette nouvelle préoccupation des consommateurs. Les arguments écologiques sont donc de mise pour séduire le client, mais ils ne sont pas toujours bien trouvés, et induisent donc parfois le consommateur en erreur, dans le cadre de pratiques dites de « greenwashing ». Que ce soit de manière volontaire ou non, on peut l’expliquer de différentes façons :
- Le manque de formation des personnels de la communication
Encore une fois, la formation sur ces sujets est primordiale. Le développement durable et la RSE sont des enjeux complexes où la nuance s’impose. Or la nuance, c’est justement ce qu’il manque dans des campagnes de pub où l’objectif est de faire passer un message simple et court. - Des campagnes non adapatées au système de réglementation français
Le deuxième facteur d’explication tient au manque de connaissance de la réglementation française en matière de publicité. En effet, dans les grands groupes, les campagnes sont généralement définies à l’échelle internationale. Or, ne pas prendre en compte les spécificités de la loi dans les pays peut poser problème. - Des entreprises qui agissent de bonne foi
D’autres entreprises quant à elles sont persuadées de bien agir, d’être conformes au droit, de dire vrai. C’est souvent le cas des campagnes axées autour de la compensation carbone par exemple. Or, les études ont démontré que ce n’était pas un moyen efficace pour lutter contre la crise écologique, on vous en parlait dans un précédent article sur le sujet. Cela rejoint le premier point sur le manque de formation des équipes puisque si elles étaient mieux sensibilisées à ces enjeux, elles ne se retrouveraient probablement pas dans cette situation où elles pensaient bien faire. - De faibles sanctions
Et puis il y a les entreprises qui savent qu’elles sont en tort mais prennent le risque de diffuser leur message. Déjà parce que les sanctions sont généralement faibles (la publicité est parfois retoquée une fois que la campagne est terminée, puisqu’il faut du temps pour que le dossier soit examiné), mais aussi parce que les agences de communication savent que certains groupes notamment des ONG s’opposeront dans tous les cas aux campagnes de publicité de certaines marques, et donc ces entreprises qui diffusent leur publicité estiment que le ratio coût-bénéfice reste encore à leur avantage. On peut prendre l’exemple de Greenpeace qui portait plainte en 2019 contre 3 publicités d’Orano (ex-Areva).
Donc, pour diverses raisons, certaines publicités sont retoquées pour non-respect des recommandations en matière de développement durable de l’ARPP. On peut donc se demander comment concrètement l’ARPP encadre les arguments écologiques dans la publicité.
Apprendre à identifier des pratiques de greenwashing
Quels sont les critères retenus pour considérer si oui ou non une marque fait du greenwashing à travers une publicité ?
Pour répondre à cette question, il faut s’intéresser à la recommandation « Développement durable » de l’ARPP : c’est à partir de ce texte et les critères qu’il énonce que les instances de régulation se basent pour émettre leurs jugements. On peut résumer ces différents critères en plusieurs points :
Le rapport au geste éco-citoyen
Ce principe concerne la relation avec les gestes communément admis comme positifs ou négatifs vis-à-vis des enjeux du développement durable. Il n’est pas possible, selon ce principe de banaliser ou de valoriser des pratiques ou idées contraires aux objectifs du développement durable. Par exemple, en France, il n’est pas possible de montrer l’image d’un véhicule roulant sur une plage.
La véracité des actions et la proportionnalité des messages
La publicité ne doit pas induire le public en erreur sur la réalité des actions de l’annonceur ni sur les propriétés de ses produits en matière de développement durable. Cela signifie que pour communiquer sur une action en matière de développement durable, cette dernière doit être significative à l’échelle de l’organisation pour pouvoir être revendiquée. Par exemple, l’annonceur ne peut pas communiquer sur un enjeu qui représente 5 à 10% de ses impacts réels.
Le vocabulaire utilisé
Cela s’applique notamment à tous les annonceurs faisant la promotion d’un produit « neutre » ou « positif ». Le choix du vocabulaire et l’introduction de nuance est important. Entre le fait d’affirmer qu’un produit est « moins impactant pour l’environnement » ou qu’il est « écologique », il y a un fossé.
C’est là que l’on observe la difficulté à communiquer sur ces enjeux complexes puisque par essence la publicité a vocation à véhiculer un message simple et percutant. Pour autant, travailler sur les terminologies est indispensable pour ne pas induire le consommateur en erreur.
L’ARPP recommande par exemple que dans le cas où il est difficile de justifier une formulation globale (éthique, responsable…), la publicité doit les relativiser en utilisant des formulations telles que « contribue à… »
La clarté du message, de l’allégation
Cela se rapporte aux messages que l’on ne comprend pas, que l’on ne peut pas vérifier, les messages dont on n’a pas de preuve. Par exemple, affirmer que son produit est écologique sans apporter de précision peut relever du greenwashing : écologique par rapport à quoi ? Sur quel élément ?
La présentation visuelle et sonore du message
Cela concerne la mise en situation d’un produit : tous les éléments visuels ou sonores doivent être utilisés de manière proportionnée à l’argument écologique et aux éléments justificatifs qui l’appuient. L’emploi d’éléments évoquant la nature comme les enregistrements de gazouillis d’oiseaux ne doit pas induire en erreur sur les propriétés environnementales du produit ou des actions de l’annonceur. On ne peut pas utiliser des images de nature, d’animaux de sons qui donnent une impression de naturalité disproportionnée.
La question des labels et logos
Cette recommandation répond notamment à la problématique des labels auto-décernés. Retenons de celle-ci que les signes ou symboles ne peuvent être utilisés que si leur origine est clairement indiquée et s’il n’existe aucun risque de confusion quant à leur signification. Par exemple, lLe recours à des logos d’associations, fondations ou tout autre organisme ne doit pas créer de lien abusif entre le partenariat engagé et les propriétés du produit ou de l’action.
Vers une communication responsable
Alors comment réussir à faire appliquer plus massivement ces règles de l’ARPP ? Comment lutter efficacement contre le greenwashing ?
Les apports de la loi Climat et Résilience pour mieux encadrer la publicité
Promulguée le 22 août 2021, la loi Climat et Résilience a mis en place un certain nombre de mesures, dont un meilleur encadrement de la publicité, et un renforcement des sanctions contre le greenwashing.
- La reconnaissance du greenwashing comme pratique commerciale trompeuse
La loi stipule désormais qu’une pratique commerciale reposant sur des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur concernant l’impact environnemental d’un bien ou service est considérée comme trompeuse.
- L’affirmation de la neutralité carbone d’un produit ou service bien plus encadrée
Par ailleurs, la loi prévoit « l’interdiction dans une publicité d’affirmer qu’un produit ou service est neutre en carbone ou d’employer toute formulation de signification ou de portée équivalente », « à moins que l’annonceur puisse démontrer qu’il a engagé une démarche vertueuse visant prioritairement à éviter puis réduire ses émissions de gaz à effet de serre et à les compenser seulement en dernier recours, et en respectant des standards de qualité environnementale élevés » indique ce document disponible sur le site du gouvernement.
C’est déjà un premier pas car aujourd’hui, le consommateur peut avoir l’impression de faire un achat sans impact sur le climat lorsqu’il lit cette mention, or on a juste une compensation qui se fait de manière différée et incomplète. On vous renvoie d’ailleurs à notre article sur le sujet : Neutralité carbone : le grand n’importe quoi des allégations climatiques.
- Durcissement des sanctions
Alors que l’amende était portée à 50% du montant des dépenses engagées pour la réalisation de la publicité en cas de pratique commerciale trompeuse, le pourcentage est désormais de 80% depuis la loi Climat et résilience lorsque que la pratique commerciale trompeuse repose sur des allégations en matière environnementale.
- Le principe du « name and shame » désormais applicable à toutes les entreprises condamnées pour allégations environnementales trompeuses
Ce principe consiste à exposer au grand public les mauvaises pratiques d’une entreprise. Il s’applique désormais aux entreprises condamnées pour pratique commerciale trompeuse, y compris lorsqu’il s’agit d’allégations environnementales trompeuses. « Le tribunal ordonne, par tous moyens appropriés, l’affichage ou la diffusion de l’intégralité ou d’une partie de la décision ou d’un communiqué informant le public des motifs et du dispositif de celle-ci et peut, de plus, ordonner la diffusion aux frais de la personne condamnée, d’une ou de plusireurs annonces rectificatives. »
La Commission Européenne a aussi publié son projet de directive Green Claims sur le greenwashing, pour encadrer les éco-labels et les communications environnementales.
La publicité, une force de frappe à mettre au service du changement de modèle ?
Rappelons enfin que le greenwashing n’est qu’un sujet et ne couvre pas la totalité des enjeux de communication responsable. Il est néanmoins intéressant de se pencher sur la question : notre société actuellement en profonde mutation n’aurait-elle pas justement besoin d’un appui de la publicité et plus généralement de la communication pour promouvoir une certaine vision de la société ?
Est-ce que finalement la publicité ne pourrait-elle pas être un moyen d’accompagner les changements en faveur d’une société plus durable ?
La publicité, à travers ses facultés à toucher un grand nombre de personnes mais aussi d’être à la fois courte et percutante, peut conduire à un comportement (achat d’un produit ou d’un service par exemple). L’influence de la publicité sur les consommateurs, démontrée par de nombreuses études en sciences comportementales, pourrait alors servir à modifier les normes sociales, faire évoluer les comportements, pour une meilleure prise en compte des enjeux environnementaux. Si informer se révèle parfois trop partiel pour inciter à un passage à l’action, la publicité, pourrait-elle le permettre et ainsi accompagner ces changements de comportement ?
« La publicité, en tant que puissant vecteur de transformation culturelle, peut contribuer à projeter un imaginaire en cohérence avec les objectifs de la France d’une neutralité bas carbone en 2050, se faire l’écho des nouveaux enjeux sociétaux et accompagner les changements en mettant sa puissance et sa créativité au service d’une société plus durable. Pour cela, elle doit opérer sa révolution, il en va de la responsabilité de tout un secteur. » – Arnaud Leroy, Président-directeur général de l’ADEME
Il semble dans tous les cas qu’une vigilance accrue est portée aux messages et aux valeurs diffusés à travers la publicité, et que la celle-ci aurait un fort potentiel pour véhiculer les enjeux du développement durable.
Quoi qu’il en soit, communiquer sur les sujets environnementaux nécessite de se former au préalable sur ces sujets, pour donner une image positive de la société bas carbone. Connaitre les règles déonotologiques de l’ARPP et se former aux enjeux climatiques d’une manière générale doit être la norme pour l’ensemble des professionnels du secteur. La fonction communication doit évoluer vers une communication plus responsable, et cette transformation est notamment attendue au niveau de l’engagement sur le plan des messages pour éviter le greenwashing. Ce travail ira probablement de pair avec un changement de modèle des entreprises, moins axées sur le profit, et le développement des « entreprises à mission« .