La route est encore longue pour la COP15 de la biodiversité. Après une rencontre de pré-négociation fin mars des 196 Etats membres de la Convention pour la diversité biologique (CDB) à Genève, aucun accord n’a encore été trouvé pour la protection de la biodiversité en vue du futur sommet. Alors à quoi peut-on s’attendre de cette COP15 ?
Après deux ans d’une politique Zero-Covid sur le territoire chinois largement défavorables aux négociations, la récente accélération de l’épidémie de Covid19 en Chine a encore posé le doute de la tenue de la quinzième Conférence des Parties (COP15) pour la biodiversité. D’abord prévue pour 2020 à Kunming en Chine, ces retards répétés minent le dynamisme international autour de la protection de la biodiversité. « La première session préparatoire ‘en personne’ tenue à Genève en mars ne s’est pas très bien déroulée », explique Sandrine Maljean-Dubois, directrice de recherche au CNRS en droit international de l’environnement.
Une nouvelle session de négociations est prévue en juin en prévision de cette quinzième rencontre internationale pour la biodiversité afin d’aboutir à un accord ambitieux. Mais la Chine n’a pour le moment communiqué aucune date pour la tenue de l’événement, alors que le sommet est censé se tenir fin août – début septembre.
Une attente pesante alors que l’érosion de la biodiversité continue de s’accélérer. Le rapport de la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES) alertait déjà sur l’état des écosystèmes dans son rapport de 2019, « au total, 75 % de la surface terrestre est altérée de manière significative, 66 % des océans subissent des incidences cumulatives de plus en plus importantes et plus de 85 % de la surface des zones humides ont disparu ». Le bilan n’est guère plus engageant pour la faune et la flore. 25 % des espèces évaluées, animaux et végétaux confondus, sont menacées d’extinction, soit près d’1 million d’espèces.
Résoudre la crise de la biodiversité, une option internationale
L’Accord de Paris pour le climat, adopté en 2015 lors de la COP21, avait redonné un certain engouement pour ces sommets internationaux. Un traité considéré comme ambitieux, et qui marque une étape importante de collaboration entre les pays signataires. Même si l’Accord de Paris est perfectible sous de nombreux points, et en dépit de l’absence de sanction juridique, il joue un rôle incitatif important.
Le traité doit être ratifié par les parlements nationaux pour entrer en vigueur. Il fait donc partie du droit national et se doit donc d’être respecté. L’ensemble des signataires sont garants du suivi, du respect et au besoin de la révision de leurs objectifs. Ils doivent consentir en outre à des processus de contrôles réguliers de la part des instances internationales. Mais sans sanction, la contrainte n’est-elle pas insuffisante ? La force de ce traité réside aussi dans son caractère universel. Le non-respect des objectifs entache la réputation d’un pays aux yeux des autres signataires. La pleine transparence commandée par le traité pousse à l’effort.
Alors peut-on s’attendre à un traité contraignant pour la biodiversité ?
Ce ne sera pas le cas. « Il y avait ce risque que certains pays refusent les négociations dès le début en cas d’un accord contraignant, souligne Juliette Landry, chercheuse sur la gouvernance internationale de la biodiversité à L’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri), à la place, la COP15 pour la biodiversité devrait aboutir sur une décision de COP ». Dans le cadre du droit international, ces décisions n’ont pas de caractère directement contraignant. Les décisions de COP ont une portée juridique mais elles n’obligent à rien, et n’ont, in fine, qu’une valeur de recommandation.
Pour les deux chercheuses, l’enjeu de cette déclaration est avant tout politique. La décision de COP est une contribution qui permet d’étoffer d’autres mouvements externes : marches pour le climat, procès nationaux, mouvements jeunes…
Mais l’absence de traité n’annonce pas nécessairement un échec des négociations, « ce n’est pas une fin en soi d’avoir un traité juridiquement contraignant à l’échelle nationale, rappelle la chercheuse de l’Iddri, car ces rencontres permettent de produire des innovations juridiques, en termes de mécanisme ou d’instruments, notamment sur les systèmes de transparence et redevabilité ».
Un appel à plus de transparence…
Le nouveau cadre mondial post-2020 contre l’érosion de la biodiversité a donc tout intérêt à être ambitieux, en particulier après l’échec indiscutable des Objectifs d’Aichi adoptés en 2010 à Nagoya (Japon), et dont aucun des 20 objectifs n’a été atteint en 10 ans. « Les grands enjeux qui vont être débattus pour cette nouvelle COP ne sont pas nouveaux, explique Juliette Landry, l’objectif est cette fois-ci d’arriver à un cadre pour la biodiversité assez contraignant qui permettra de trouver les points d’ancrage suffisants à tous niveaux pour permettre le changement transformateur escompté et ne pas répéter les erreurs d’Aichi ».
Une mesure importante a par ailleurs été approuvée par les parties prenantes lors de la session à Genève : l’adoption du « 30 X 30 », instaurant la protection de 30 % des écosystèmes terrestres et 30 % des écosystèmes marins d’ici à 2030. Un engagement politique majeur, mais insuffisant sans actions directes sur les causes de l’érosion de la biodiversité, à savoir la pollution, l’urbanisation, les pesticides…
Cette COP15 est cette fois-ci l’occasion d’inciter les gouvernements à respecter leurs engagements pour la protection de la biodiversité par le développement d’instruments et de mécanismes de transparence quant au respect des engagements individuels fixés sur les territoires nationaux. Ces « stratégies et plans d’action nationaux pour la biodiversités » (SPANB) feront en théories l’objet de rapports facilement consultables, « L’examen des rapports nationaux est considéré par les participants comme un enjeu crucial en ce qu’il permettra de renforcer la confiance mutuelle entre les Parties, la solidarité, mais aussi la redevabilité et la transparence », peut-on lire dans une étude de l’Iddri publiée en mars 2022.
Encore des problèmes à régler avant le sommet à Kunming
Mais les négociations restent compliquées compte tenu d’une division assez claire entre pays développés et en voie de développement. La question des financements anime les négociations. Les futurs projets d’adaptation et de protection pour la biodiversité seront particulièrement coûteux. Un problème surtout pour les pays du Sud déjà frappés durement par le réchauffement climatique. Un chèque de 10 milliards de dollars par an est prévu dans le texte initial du cadre mondial. Une somme considérée comme trop faible par une coalition composée de pays d’Afrique, d’Amérique du Sud, du Pakistan et de l’Inde. Elle appelle à une hausse massive des financements, passant à au moins 100 milliards de dollars par an, puis porté à 700 milliards de dollars par an d’ici 2030.
Autre point de discorde : le déploiement des banques de gènes digitales « commune », ou DSI (Digital sequence information). Très utiles notamment pour la recherche mondiale sur la biodiversité, ces banques permettent aux pays un accès instantané à des données génétiques. Mais les pays en voie de développement dénoncent une utilisation abusive de leurs ressources génétiques nationales, et ce, sans contreparties. « Ces nations souhaitent s’assurer que les pays développés reconnaissent les droits, les savoirs et les connaissances des peuples autochtones en cas de bioprospection, précise Sandrine Maljean-Dubois, et que ces banques ne participent au contraire qu’à accroître les inégalités technologiques ou financières ».
Il reste beaucoup à faire avant ce sommet international et son issue reste encore bien incertaine quant à une potentielle décision de COP ambitieuse.
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