Qu’est-ce qu’un « écocide », ou « crime d’écocide »? Quelles sont les règles juridiques autour de cette notion ? Quels sont les exemples d’écocide ?
Définition de l’écocide ou crime d’écocide
L’écocide est un terme qui regroupe les dommages graves et durables causés à l’environnement, à travers des activités humaines comme la pollution, la destruction de la biodiversité, le changement climatique, la déforestation, l’exploitation minière, etc. Le terme n’a pas encore vraiment de définition juridique consensuelle, mais on considère que l’on peut parler d’écocide lorsque les conséquences d’un dommage environnemental sont irréversibles, affectant les écosystèmes, les espèces animales et végétales, et / ou les communautés humaines qui en dépendent.
Pour Laurent Neyret, juriste et spécialiste du droit de l’environnement, l’écocide condamne « toute action généralisée ou systématique comprise dans une liste d’infractions qui cause des dommages étendus, durables et graves à l’environnement naturel, commise délibérément et en connaissance de cette action ».
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D’où vient le terme : origine et étymologie ?
Du grec oikos, la maison / l’habitat, et du latin occidere, tuer, c’est de la combinaison de ces deux termes que l’écocide trouve son origine : détruire notre foyer, donc notre Terre. Ce terme est employé pour la première fois lors d’une conférence en 1970 par le biologiste Arthur W.Galston (1920 – 2008), alors que le Viêtnam subit les foudres des États-Unis sur son sol.
Lors de l’opération Ranch Hand, qui dura de 1963 à 1971, les forces militaires américaines dispersèrent au-dessus des forêts vietnamiennes et des rizières diverses herbicides, dont le plus utilisé « l’agent orange ». Une véritable arme de guerre chimique utilisée pour totalement saper la résistance vietnamienne par la destruction des ressources forestières et alimentaires. Sauf qu’en plus de détruire ces écosystèmes pendant plusieurs décennies, l’agent orange s’est révélé être dangereux aussi pour la santé humaine, engendrant diverses maladies parfois héréditaires pour plusieurs générations.
Mais ce n’est que deux ans plus tard après sa première évocation que le terme d’écocide ne se démocratise réellement. À l’ouverture de la Conférence des Nations unies de 1972 sur l’Environnement à Stockholm, le Premier ministre suédois Olof Palme pointe toute la violence de la Guerre du Viêtnam, étiquetant l’utilisation de l’agent orange de « crime qualifié parfois d’écocide, qui requiert une attention internationale ». La destruction d’un écosystème doit être punis, d’autant plus lorsqu’il remet en question la survie même des populations en ces lieux détruits, ce qui est bien souvent le cas.
En ce sens, l’écocide se rapproche donc des crimes les plus graves (génocide, crime de guerre, crime d’agression ou crime contre l’humanité) reconnus par la Cour pénale internationale (CPI) en 1993, permettant à cette dernière de combler les lacunes des lois nationales et de poursuivre toute personne qui serait actrice d’un crime de cette envergure dans un état où la justice est défaillante. Mais alors même que l’intégration des crimes d’écocide est évoquée, et malgré la multiplication d’actes de destruction de l’environnement dans la deuxième moitié du 20e siècle, à l’image de l’assèchement de la mer d’Aral, la destruction de l’Amazonie, la catastrophe de Bhopal, l’extraction du pétrole dans le delta du Niger, le crime d’écocide ne sera jamais inclus.
Reconnaissance de l’écocide : où en sommes-nous ?
Panorama du droit international et des droits nationaux sur l’écocide
Depuis 30 ans, la reconnaissance du crime d’écocide le droit, international comme national est une question récurrente. En effet, la crise écologique généralisée impose de se questionner sur nos structures juridiques afin de faire émerger une meilleure protection environnementale. Or, sans reconnaissance du crime d’écocide, il est difficile d’identifier les responsables stratégiques des pollutions ou dégradations environnementales, qu’ils fassent partie d’un État ou d’une entreprise ou soient des individus privés. Il est donc pratiquement impossible de les sanctionner et de faire émerger une vraie responsabilité juridique environnementale.
Pour le moment, aucun pays ne reconnait strictement le crime d’écocide, bien qu’une dizaine de pays aient adopté des réglementations allant dans le sens d’une plus forte reconnaissance des dommages et crimes environnementaux.
Par exemple, en 2017, la France a créé un délit de « dégradation grave à l’environnement » dans son Code pénal, qui peut être puni jusqu’à 10 ans de prison et 4,5 millions d’euros d’amende. En Nouvelle-Zélande, une loi a été adoptée en 2017 reconnaissant le fleuve Whanganui comme une entité juridique ayant des droits et des devoirs, ce qui permet de mieux protéger cet écosystème. En Équateur, la Constitution de 2008 reconnaît les droits de la nature et permet aux citoyens de déposer des plaintes contre les atteintes à l’environnement.
De plus, en 2011, le Conseil de l’Europe a proposé une résolution pour reconnaître l’écocide en tant que cinquième crime international, aux côtés du génocide, des crimes contre l’humanité, des crimes de guerre et du crime d’agression. Bien que cette résolution n’ait pas encore été adoptée, elle a suscité un débat important et a contribué à faire avancer la reconnaissance de l’écocide comme un crime international.
Écocide dans le droit pénal français : crime ou délit ?
En France, la Convention citoyenne pour le climat, proposait d’introduire le concept d’écocide dans la constitution. Mais cette proposition n’a pas été retenue par le gouvernement d’Emmanuel Macron. La loi Climat et résilience, a choisi, à la place d’intégrer un délit d’écocide dans le droit français. La différence est importante car la notion d’écocide renvoie à un « délit » et non à un « crime » : les sanctions et les mesures juridiques associées sont donc nettement inférieures. De ce fait, la notion d’écocide en droit français implique un début de reconnaissance des dégâts causés à l’environnement sur le plan juridique, sans aller jusqu’au bout de la logique et d’instaurer un véritable crime environnemental.
Les enjeux et débats juridiques
La notion d’écocide pose de nombreuses questions juridiques, car elle s’insère au carrefour de nombreuses normes et problématiques de droit. Par exemple, les dommages portés à l’encontre de l’environnement dépassent généralement les frontières des pays, ce qui pose la question de l’extra-territorialité du droit ? Peut-on condamner pour des « crimes » dont les conséquences sont en dehors de notre juridiction ? Qui sont les réels responsables ? Comment punir les responsables s’ils sont dans un pays étranger ? Comment est géré le crime d’écocide lorsque les dommages s’étendent entre plusieurs régions ? Que faire de la différence de sanctions entre deux pays ? Le fameux « continent de plastique » situé dans l’océan Pacifique reste un exemple des limites des crimes d’écocide nationaux. Cette déchèterie de plein air est localisée dans les eaux internationales, donc sous l’autorité d’aucun État. La responsabilité est divisée entre plusieurs pays, et il reste compliqué de mettre cette responsabilité sur des acteurs précis.
C’est pour répondre à ces questions que des acteurs, à l’image du mouvement citoyen « End Ecocide on Earth », appellent à l’intégration du crime écocide dans le droit international afin d’harmoniser les sanctions, mais surtout faciliter les procédures judiciaires en cas de crimes contre l’environnement.
En attendant, aucun cadre juridique n’est actuellement en place au niveau international. Cinquante ans après la première mention de l’écocide, il reste encore un long chemin avant que le crime d’écocide soit intégré au droit international. Et les divisions entre les pays et les intérêts, financiers comme politiques, des nombreux acteurs mondiaux participent certainement à réduire les chances de consensus sur le sujet.
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