Quelle est l’efficacité des mesures proposées par le chef de l’Etat dans le Plan Eau ? Ciblent-elles les bons enjeux ? Peut-on aller plus loin ?
Jeudi 30 mars, Emmanuel Macron annonçait, dans la lignée des débats sur les méga-bassines, un vaste « Plan Eau » destiné à mieux gérer la ressource en eau en France. Après un été 2022 où la sécheresse a été particulièrement intense, un hiver 2022-2023 marqué par la sécheresse hivernale, des mesures étaient attendues pour permettre d’éviter une crise de l’eau qui se généralise.
Les annonces faites sont diverses : 53 mesures, touchant autant les particuliers que les grands secteurs économiques et le secteur public. En vrac : tarification variable, réutilisation des eaux usées, outils de surveillance des consommations, hausse des budgets des Agences de l’Eau… Mais sont-elles suffisantes pour répondre aux enjeux de l’eau, dans un contexte de réchauffement climatique ?
Que contiendra le Plan Eau du gouvernement ?
D’après les annonces du Président de la République, le Plan Eau devrait être structuré autour de 5 axes principaux.
- Une politique de sobriété de l’eau par secteur
L’idée est d’encourager l’ensemble des secteurs, notamment les plus gros consommateurs d’eau, à mener des économies d’énergie. Pour l’agriculture, par exemple, qui est le secteur consommant le plus d’eau en France, le plan propose notamment un programme d’investissement de 30 millions d’euros pour développer des systèmes d’irrigation moins gourmands en eau, ainsi que 30 millions pour développer et optimiser l’usage des systèmes de rétention d’eau.
Pour le secteur de la production d’électricité nucléaire, qui consomme également de grandes quantités d’eau notamment pour le refroidissement des centrales (12% de l’eau consommé en France selon les estimations du ministère), le plan prévoit également des investissements pour développer des systèmes plus efficients. L’idée est de passer à des systèmes de refroidissement en circuits fermés pour économiser.
Dans l’ensemble des secteurs, le plan propose des mesures diverses pour accompagner les acteurs dans une forme de sobriété de l’eau.
- Une tarification progressive
C’est l’une des mesures phares du Plan Eau dévoilé par le Président : l’instauration d’une tarification progressive sur l’eau. Dans l’idée, le prix des consommations d’eau augmenterait progressivement avec les volumes. En d’autres termes, plus on consomme, plus on paie cher, ce qui incite à faire des économies et à adopter des comportements de sobriété.
La mesure, testée notamment à Grenoble depuis le début de l’année, devrait permettre aider les consommateurs à changer leurs pratiques de consommation d’eau. Dans l’idée, le dispositif pourrait être progressif et peut-être même contenir des critères de revenus, afin de permettre aux ménages les plus défavorisés de consommer suffisamment d’eau, tout en faisant peser le coût sur les ménages aisés.
- Un « EcoWatt de l’eau »
Il est aussi question de développer une forme d’ « EcoWatt de l’eau », soit un système de surveillance et de mesure des consommations d’eau à toutes les échelles. Il s’agit autant de développer les outils de suivi des consommations en temps réel, que de mettre en place des dispositifs permettant de mieux évaluer les tensions sur la ressource en eau et le stress hydrique.
L’idée est de pouvoir plus facilement adapter nos consommations lors des épisodes de sécheresse, par exemple, comme on a pu le faire avec le système EcoWatt, qui incitait à réduire ses consommations d’électricité en période de risque de coupure.
- Moderniser le réseau et éviter les fuites
180 millions d’euros par an devraient également être mobilisés pour moderniser, transformer et entretenir le réseau de distribution d’eau. L’idée est de limiter au maximum les fuites d’eau sur le réseau. On estime ainsi que 20% de l’eau consommée en France est perdue à cause des fuites dans les réseaux de distribution notamment.
Pour y faire face, il faut rénover, entretenir, et aussi développer des systèmes de capteurs pour identifier les fuites.
- La réutilisation des eaux usées
Enfin, le plan prévoit de développer massivement la réutilisation des eaux usées en France. Il faut dire que le pays est relativement en retard sur ce sujet par rapport à ses voisins. En Italie, ou encore en Espagne, les eaux « recyclées » représentent déjà respectivement 8 et 15% de l’eau consommée, alors que ce chiffre est de seulement 1% en France.
Objectif : parvenir à 10% d’ici 2030, grâce à un plan d’investissement global. Une partie de ces projets seront gérés par les Agences de l’Eau, dont le budget devrait passer de 2.2 à 2.7 milliards par an.
Ce Plan Eau sera-t-il efficace ?
Dans l’ensemble, ces mesures vont plutôt dans le bon sens. La lutte contre les fuites et les gaspillages est par exemple une mesure structurelle indispensable pour réduire nos consommations d’eau. Et cela fait longtemps que le renouvellement du réseau fait partie des objectifs écologiques structurels de la France, puisque ce sont les lois Grenelle de 2010 qui avaient mis cet enjeu au calendrier des politiques publiques. Objectif : passer de 20-25% de fuites à 10-15% sur l’ensemble du réseau. L’annonce va donc clairement dans le sens d’une politique structurelle de réduction des gaspillages.
De même, les annonces faites par le Président de mobiliser des fonds pour transformer structurellement les secteurs les plus consommateurs, comme l’agriculture et le nucléaire, sont essentielles pour lutter contre les surconsommations d’eau. Les exploitations agricoles, ou plus précisément 7% des surfaces cultivées en irrigation, consomment ainsi près de 57% de l’eau en France. Un chiffre qui pourrait être nettement réduit grâce à des changements de pratiques agricoles, ou de nouveaux systèmes d’irrigation (goutte à goutte, par exemple).
Pour agir sur la demande, la tarification progressive devrait permettre également de réduire les consommations d’eau potable, notamment pour les usages les moins prioritaires (piscines, nettoyage, par exemple). Le GIEC, dans les sections de son rapport dédiées à la crise de l’eau en Europe, montre ainsi que les incitatifs de prix sont très utiles pour moduler la consommation d’eau. L’organisme met aussi en avant la réutilisation des eaux usées comme une manière de limiter les pressions sur la ressource hydrologique, et après tout, il ne s’agit que d’appliquer la logique du recyclage à l’eau.
Sur le papier, les mesures du Plan Eau sont donc adaptées à l’enjeu de la crise de l’eau en France. Pourtant, les moyens et les objectifs ne sont sans doute pas à la hauteur du problème, qui s’aggrave avec la crise climatique.
Des moyens insuffisants et des mesures structurelles oubliées
Par exemple, l’exécutif a promis 180 millions d’euros supplémentaires par an pour renouveler les réseaux d’eaux et lutter contre les fuites et gaspillages. Un montant qui peut paraître élevé, mais qui est en réalité très faible comparé à l’enjeu de la rénovation des canalisations d’eau Françaises. La rénovation d’un seul kilomètre de canalisations coûte en effet plusieurs dizaines de milliers d’euros (les estimations allant de 80 000 à 150 000 euros), et la France compte plus de 850 000 kilomètres de canalisations. Pour rénover ne serait-ce qu’un cinquième du réseau, notamment dans les zones les plus affectées par les fuites, il faudrait probablement mobiliser entre 10 et 20 milliards.
Sachant que les canalisations sont vieillissantes, et que l’on en rénove moins d’ 1 % par an depuis les grands plans lancés en 2014 suite aux lois Grenelle, il faudra des décennies avant de parvenir à un réseau « sobre », si l’on accélère pas considérablement le rythme. Or on manque déjà d’eau, et le phénomène va s’amplifier. L’enjeu est comparable à celui de la rénovation thermique des bâtiments : le gisement d’économies est énorme, le coût colossal, mais aujourd’hui, les moyens financiers, humains et techniques ne suivent pas. Et si ces 180 millions d’euros par an seront certainement utiles, ils ne permettront pas de résoudre le problème assez vite.
C’est la même chose pour les transformations sectorielles, et notamment celles de l’agriculture. Les budgets ne sont pas très élevés : 30 millions par exemple pour développer des systèmes d’irrigation plus performants. En face, ce sont des dizaines de milliers d’exploitation qui sont irriguées en France. Difficile de trouver un chiffre précis, mais des estimations de 2010 comptaient autour de 70 000 exploitations irriguées dans le pays. 30 millions d’euros, c’est donc moins de 500 euros par exploitation irriguée. Difficile de croire que ces montants vont changer radicalement les pratiques d’irrigation.
Surtout, le plan passe à côté de certains enjeux essentiels. En matière agricole, l’enjeu est une transformation radicale des modèles et des pratiques pour réduire structurellement la consommation d’eau (et les impacts environnementaux). C’est-à-dire ? Eh bien, en France, les surfaces irriguées concernent surtout la production de céréales et d’oléagineux, notamment le maïs, le colza, mais aussi les prairies. Il s’agit donc de cultures destinées (principalement) à l’alimentation des animaux d’élevage, souvent exportées. Or, c’est précisément ce modèle agricole qu’il faut transformer : moins d’élevage, une agriculture plus végétale, qui dédie moins d’espace et de ressources à la production d’aliments d’origine animale. Là dessus, le plan ne dit rien.
L’agriculture, l’eau et le climat : un plan peu ambitieux
Le plan ne dit pas non plus grand chose sur les pratiques qui peuvent être mises en place pour adapter l’agriculture française au réchauffement climatique : adopter des cultures moins gourmandes en eau, changer les pratiques de culture. Des montants devraient être développés dans le cadre d’une enveloppe globale de 100 millions. Mais ces chiffres (qui restent à préciser) sont dérisoires par rapport aux enjeux de l’adaptation au réchauffement climatique.
On chiffre à plus de 2 milliards par an (!) les efforts à mener pour s’adapter aux changements climatiques en France, avec une grosse part des mesures à prendre dans l’agriculture. Et le coût du réchauffement climatique pour l’agriculture française en 2050 est quant à lui estimé par les pouvoirs publics à près de 4 milliards par an en 2050. On aurait donc tout intérêt à mettre sur la table des moyens pour mener des changements structurels profonds : une transition vers l’agro-écologie, une agriculture plus végétale, un changement dans les usages des sols, comme le suggèrent le rapport de synthèse du GIEC.
À la place, on préfère miser sur les méga-bassines, qui font bénéficier de 30 millions de budget dans le plan eau. Méga bassines pourtant jugées coûteuses et peu efficaces par le GIEC, et qui pourraient même constituer une maladaptation face au stress hydrique qui va augmenter dans les prochaines années. Une rustine.
Symbole du manque d’ambition transformative pour l’agriculture, Marc Fesneau, Ministre de l’Agriculture, s’adressait à la FNSEA (syndicat agricole majoritaire) au même moment que la présentation du Plan Eau, en déclarant qu’on ne demanderait « pas d’efforts supplémentaires » aux agriculteurs. Pas de baisse des prélèvements, donc, pour le premier secteur consommateur d’eau du pays. Logique puisque l’on maintient sous perfusion un modèle agricole qui n’est plus adapté au climat du 21ème siècle.
Mieux anticiper la crise de l’eau
En résumé, le Plan Eau proposé par l’exécutif contient des mesures utiles qui vont globalement dans le bon sens, mais ne se donne pas vraiment les moyens de son ambition en visant des changements structurels profonds.
On manque d’une vision claire sur les financements et sur la planification écologique nécessaire pour faire face à la crise de l’eau. On manque d’une politique de transformation de l’agriculture dans un contexte où elle est remise en cause par le réchauffement climatique. On manque de moyens, tout simplement. C’est donc la même dynamique que celle qui a été impulsée à la Conférence de l’ONU sur l’eau, où de belles annonces ont été faites, sans que rien de très concret n’ait été décidé en termes de processus ou de moyens.
On continue donc de faire ce que l’on a déjà fait avec le climat : des petits pas, qui montrent que l’on anticipe pas réellement la profondeur de la crise, et qui nous obligeront probablement à prendre des mesures palliatives en urgence lorsque la crise deviendra intenable.
Voir aussi : Sobriété subie ou sobriété choisie ?
Photo de Erda Estremera sur Unsplash